Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1
LESECHOSWEEK-END– 39

VOYAGES


que je retrouverai auJaponquelques clics
plus loin.Àl’heure où j’entreprends cevoyage,
le Royaume-Uni nes’est pas encore résolu au
confinement, en fin d’après-midi quelques rares
curieux reproduisent le pas desFabFour sous
l’objectif d’un smartphone. Image printanière,
bonheur de marcher dans une ville comme
quatre garçons dans levent. PhileasFogg,lui,
avait prévenu son domestiquePassepartout :
«Nous marcherons peu ou pas. »Maispourquoi
Londres?Une clé se cachepeut-être dans le
labyrinthe de laNational Gallery. Parleportail
de Google Arts&Culture, je me glisseàtravers
les salles du musée virtuel :Les Époux Arnolfini
de VanEyck,LesParapluiesde Renoir... la
boussole me guideversPluie,vapeur et vitesse
de WilliamTurner.Image fascinante d’une
locomotivequi écartèle uneaverseà150 km/h.
En 1844,Turner représente un Empire qui


Le Duomo,àMilan (à gauche),
et la place Saint-Marc,àVenise.
Photos extraites de la série
«Coronavirus:postcards from
italian webcams», du photographe
Graziano Panfili. Un travail effectué
àpartir d’images de webcams
témoignant de la vie suspendue
dans une Italie confinée.

CARNET PRATIQUE


Pour se mettreenroute
Quelquesportails de webcam :
skylinewebcams.com,
earthtv.com,
earthcam.com,webcamtaxi.com
En français :
vision-environnement.com
ettoutesleswebcams.com
Leprojet de l’artiste
Jon Rafman :
9-eyes.com

Àlire
JulesVerne,
LeTour du monde en 80 jours,
Folio Classiques.
JeanCocteau,
Tour du monde en 80 jours,
Gallimard,CollectionL’Imaginaire.

domine les technologies et dévore les distances.
Le monde selonFogg.Àpartir de là, nous
allonspoursuivre le milliardairevers l’est,
invariablement.Faire le tour de laTerre reste
la seule façon de retrouver sonpoint de départ
sans revenir sur ses pas.
Et voici Venise.Perchée comme une
gargouille sur la basilique Saint-Marc,
la caméra de l’hôtelConcordiaregarde la nuit
s’allonger sur la cité somnambulique.Venise
confinée, vidée de ses visiteurs. Un jogger
solitaire traverse ce qui était, ilyaquelques
semaines encore, la terrasse duFlorian.Àlafin
des années 1810, bienavant les croisiéristes,
Lord Byronavait l’habitude de prendre ici son
café. Il habitait un palais sur le Grand Canal,
où il lui arrivait paraît-il de se baigner.L’œil
électronique de l’hôtelPonte Anticoobserve
les derniers rayons du jour tomber sur le Rialto.

Une lumières’éteint.«Legondolier muetrame en
silence »,souffle Byron.Venises’assoupit.
Voldenuit.Je saute d’une plage égyptienne
àuntemple de Katmandou. De clic en clic,
le monde défile dans le hublot digital.Pendant
ce temps, indifférent, confiné dans les cabines et
les compartiments,Fogg pourfend Suez et
l’océan Indien. Le chapitre 14s’intitule :«Dans
lequel PhileasFoggdescend toute l’admirable
vallée du Gangesans même songeràlavoir ».
Pour Jean Cocteau, qui suit sa piste en 1938 :
«Cevoyagen’est pas dédié aux décorsmais au
temps.Àdes héros d’une entreprise abstraite qui
met en œuvrel’heure, la distance, les longitudes,
les méridiens... »Fogg passera 16 heures à
HongKong. Du haut de sa terrasse, lawebcam
duHarbour Grand Hotelde Causeway Bay
balaye la ville comme un phare. Leport
de Victoria sort de la nuit. Les lumières des
buildingss’éteignent dans la brume du delta
desPerles, le trafics’intensifie sur l’autoroute
qui filevers les quartiers d’affaires. Dans
la baie, le bal des ferrys acommencé. Il est
23 heuresàParis. Dans monportable, au creux
de mes mains, nous sommes déjà demain.

ENTRE NEUF YEUX
ÀTokyo,l’impassible caméra sentinelle
du ShibuyaCommunityNewssurplombe
le carrefourmythique de la ville. DansLost
in Translation,lamégalopole devenait le miroir
des solitudes modernes et l’ons’identifiait
àScarlettJohansson, silhouette dans la houle de
10 000 piétons qui transitent chaque jour
sur ces zébrures. Dix mille passants dans l’œil
d’un cyclope. Combien d’inconnus, de l’autre
côté,àobserverleflot se retirer en 55 secondes,
au tempométronomique des feux de
signalisation?Plus loin, surYouTube, Sakura
LiveCam regarde les barques glisser sur les
canaux, lePalais impérial, levent qui emporte
les fleurs de cerisiers. Un dimanche ordinaire.
Il est temps de traverser l’océan. Là-bas, sur
une plage sans bikini, un employé installe les
transats. La caméra de l’hôtelSheratonpivote
à180 degrés, zoome et ferre trois surfeurs dans
l’écume orangée. Le dimanche quis’achève
àTokyo commence en Amérique. Depuis
Waikiki, lePacifiques’étendvers le jour d’après.
Désormais, nous remontons le temps.
L’artiste canadienJonRafman est
un pionnier des traversées numériques.
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