Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1
40 –LESECHOSWEEK-END

CULTURE&STYLEVOYAGES


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Le 25 mai 2007, Google entreprend via Street
View d’archiver nos rues. Quelques mois plus
tard,Jonselance dans«9-Eyes»,une collection
d’images insolites, glanées au hasard par
la caméraà«neufyeux »deGoogle. Un cheval
maigrichon sous une barre d’immeuble, une
fille qui montre ses fesses, un arc-en-ciel sur un
champ de coton, une bande devoyous les armes
àlamain...«Jepouvais mefairedes marathons
de 12à16heures, complètement droguéàla
Ritaline, en ne mangeant presque pas.Pendant
au moins quatreheures, j’étais complètement
en transe »,racontera l’artiste au siteVice.Son
expérience démontre que lesbeauxvoyages,
réels ou virtuels, nécessitent toujours du temps.

HERE COMES THE SUN
En Californie, les méduses dansent au ralenti
dans l’aquarium de MonterayBay.ÀVenice
Beach, un skateur virevolte indifférent aux
mesures de confinement. Les maillots jaunes du
tour du monde ne saisissaient que desPolaroid.
Jean Cocteau le savait :«Jedois avancer
àlasurface du globe par saccades, comme
les libellules quirasent le lac et s’arrêtent un peu
surchaque fleur.»Lancéeàlapoursuite deFogg
en 1889, la reporter américaineNellie Bly
déclareraàunjournal du Kansas :«Iln’y a
vraiment pas grand-choseàvoiràl’étranger pour
un Américain. »ÀNewYork, le virusafigé
TimesSquare. Publicités et écrans géants ne
s’adressent plus qu’à la webcam qui pivote,
zoome et dézoomeàlarecherche de rares êtres
vivants. Elle attrapecependant des souvenirs de
spectateurs:HarryBelafonte dans le Manhattan
évacué deLe Monde, lachair et le diable;Will
Smith dans leNewYorkdévasté par le virus
deJe suis une légende;Tom Cruisedans
le Broadway désert deVanilla Sky...LeCovid-19
atransformé la ville en décor de cinéma.
Àlafin, Fogg remporte son pari. La somme
qu’il empoche couvre trèsexactement les frais
de sonpériple. Les compteurs sontàzéro
et laboucle parfaite... En chemin, néanmoins,
il atrouvél’amour,évènement improbable au
cours d’unvoyage virtuel.ÀLondres désormais,
pluspersonne ne traverse le passage piéton des
Beatles. La caméra duPark Plaza CountyHall
fixelagrande roue figée du LondonEye. Alors,
je me connecteàlaNasa etàlacaméra du
Node 2,postéeàl’avant de l’ISS. Doucement, les
nuages glissent sur lesocéans et les continents.
Tout bouge.Tout tourne. Sur la plage 7
d’« Abbey Road », George Harrison chante
que le soleil arrive.

Xavier de Maistreest
le père desvoyageurs
immobiles. En 1794,
l’officier assigné
àrésidencesuite
àune affairededuel,
écrit unsavoureux
dialogue entre
lui-même, sesmeubles
et sa bibliothèque,
auxquels il s’adresse
ainsi :«Daignez
m’accompagner dans
monvoyage;nous
marcheronsàpetites
journées, en riant,
le long du chemin, de
voyageursqui ont vu
Rome etParis;aucun
obstacle ne pourra
nous arrêter;et, nous
livrant gaîmentànotre
imagination, nous
lasuivrons partout
où il lui plairadenous
conduire. »
Voyageautour de ma
chambreestdisponible
gratuitement sur
gallica.bnf.frou
wikisource.org

RÉCIT D’UN VOYAGE
IMMOBILE

En haut:les douves
du Palais impérial, à
Tokyo, bordées de
cerisiers, le 24 mars.
Il yaquelques jours,
elles étaient encore
sillonnées de barques
de promenade.

Au centre:
la grande roue du
London Eyeàl’arrêt,
au bord de la Tamise.
En bas:
Times Square,
àNew York, vidé par
le coronavirus.

PAUL BR

OWN

/REX

/SIPA

ILYAST

AYFUNS

ALCI

/ANAD

OLUA

GENCY

/AFP

JEENAH

MOON

/REUTERS
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