Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

08 // EVENEMENT Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 Les Echos


Ils sont étranglés par la chute du
prix du baril. Venezuela, Angola,
Nigeria, Iran, Irak... tous dépendent
massivement du pétrole pour leurs
exportations ou recettes budgétai-
res. Leur notation par les agences
Moody’s, Standard & Poor’s (S&P)
ou Fitch est menacée. Le 26 mars,
S&P en a sanctionné sept. Moody’s
souligne que la situation est problé-
matique pour des pays comme
Oman, Bahreïn, l’Irak et l’A ngola.
En revanche, le Qatar, la Russie,
l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, en
meilleure situation budgétaire sont
moins vulnérables.



  • LE NIGERIA
    C’est le premier exportateur de
    pétrole d’Afrique. Pour Oxford Eco-
    nomics, « la révision du prix de réfé-
    rence du pétrole dans le budget du
    Nigeria réduira les revenus d’au
    moins 45 % », si ce n’est plus. Le
    pétrole fournit la quasi-totalité de
    ses recettes e n devises et 80 % de ses
    recettes budgétaires. Sa chance est
    que le pétrole représente seule-


ment un quart de son PIB. Grâce à
son agriculture et à une industrie
légère performante, le Nigeria dis-
pose d’atouts pour faire le dos rond
quelques mois. Ensuite, il d evra c er-
tainement recourir à l’emprunt
pour assurer le niveau de vie de ses
190 millions d’habitants.


  • L’ IRAK
    Le pa ys est frappé de plein fouet. Son
    « point mort », le niveau de prix
    auquel il équilibre son budget ali-
    menté quasi exclusivement par les
    royalties sur le pétrole, est de 85 dol-
    lars. Quatre fois plus élevé que le
    cours actuel. Moody’s estime ainsi
    que « les recettes fiscales et les expor-
    tations diminueraient probablement
    de plus de 10 % du PIB de 2019 en
    2020 » dans ce pays en l’absence de
    tout ajustement tel qu’une hausse de
    la production pétrolière.

  • LES MONARCHIES DU GOLFE
    Même si elles disposent des fonds
    souverains les mieux dotés de la
    planète, les monarchies du Golfe
    souffriront. Leur « point mort » est
    généralement supérieur à 80 dol-
    lars le baril. « Bien que les déficits
    budgétaires aient grimpé dans
    l’ensemble des pays du Golfe [...], la
    plupart d’entre eux disposent
    d’importants actifs financiers sur
    lesquels puiser. En conséquence, les


inquiétudes concernant l’assainisse-
ment budgétaire peuvent être repor-
tées à 2021 », souligne Scott Liver-
more, économiste chez Oxford
Economics.


  • L’ IRAN
    Téhéran sera encore plus mis en
    difficulté par la chute des prix que
    ses voisins du golfe Persique, puis-
    qu’il ne dispose ni de réserves
    financières ni de capacités
    d’emprunts en raison de son isole-
    ment économique et financier
    absolu. Il a réalisé sa première opé-
    ration de troc avec des pays euro-
    péens il y a deux jours, mais c’était
    uniquement pour une opération
    humanitaire afin de l’aider à faire
    face à l’épidémie de Covid-19. L’Iran
    pourrait être le pays au monde au
    pire bilan en la matière.

  • LES PAYS D’A FRIQUE NOIRE
    « Dans les pays de la Communauté
    économique et monétaire de l’Afri-
    que centrale, la baisse des prix pétro-
    liers s’ajoutera à la tendance à la
    baisse de la production de l’or noir »,
    note Moody’s qui s’attend à un creu-
    sement des déficits de leur balance
    courante. La baisse des recettes
    budgétaires serait inférieure à 3 %
    du PIB au Nigeria et au Gabon.
    L’Angola dépend fortement du
    secteur pétrolier (62 % des recettes


publiques t otales en 2019) et
d’exportations (96 %). Moody’s a
annoncé mardi un possible abais-
sement de sa notation. Un recul de
10 dollars du prix du baril entraîne
une perte de 2 à 2,5 milliards de dol-
lars de recettes publiques (environ
3 % du PIB) et une baisse de 5 mil-
liards de recettes d’exportation.


  • VENEZUELA
    Assis sur les principales réserves
    de pétrole de la planète, grâce aux
    gisements non conventionnels, le
    Venezuela n’a pas attendu la chute
    des cours pour plonger dans une
    crise économique et sociale sans
    équivalent. En raison d’une politi-
    que économique aberrante, le
    pays souffre d’une inflation se
    comptant en millions de pour
    cent e t les pénuries y sont gravissi-
    mes. Le non-entretien de son
    appareil productif a fait plonger
    ses exportations et son habitude
    d’exproprier les investisseurs
    étrangers en fait un pestiféré. Ses
    seuls ballons d’oxygène pour-
    raient v enir de Chine ou de Russie.
    Y. B. et R. H


a
Retrouvez l’intégralité du texte
sur lesechos.fr

Sombre horizon pour nombre de pays producteurs


Nigeria, Iran, Irak, Angola,
Venezuela... de nombreux
pays à niveau de revenu
faible ou intermédiaire
et très dépendants
de leurs exportations
de pétrole vont souffrir.


Le prince héritier Mohammed ben Salmane et le président américain Donald Trump à Washington en mars 2017. Photo Rex/Shutterstock/Sipa

Vincent Collen
@VincentCollenet
Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York


Deux tweets de Donald Trump
auront suffi à faire rebondir les
cours du pétrole de 30 %. « Je viens
de parler à mon ami MBS d’Arabie
saoudite (le prince héritier Moham-
med ben Salmane, NDLR), qui s’est
entretenu avec le président Poutine
de Russie, et je m’attends et j’espère
qu’ils vont réduire d’environ 10 mil-
lions de barils » leur production de
pétrole, a tweeté le président améri-
cain jeudi. Dans un deuxième mes-
sage, il a évoqué une baisse de pro-
duction pouvant aller jusqu’à
15 millions de barils.
Dans la foulée, l’agence officielle
saoudienne SPA a indiqué que
l’Arabie s aoudite a appelé à une réu-
nion « urgente » d e l’Opep et
d’autres pays, dont la Russie, pour
parvenir à un « accord équitable qui
rétablira l’équilibre des marchés
pétroliers ». Un appel qui intervient
« à la demande du président des
Etats-Unis Donald Trump », a pré-
cisé SPA.
Ces d erniers jours, Donald
Trump avait exprimé sa préoccu-
pation face à la guerre des prix
menée par l’Arabie Saoudite et la
Russie qui, associée à la pandémie
de coronavirus qui pèse sur la
demande, ont créé un cocktail déto-
nant pour les producteurs de brut
américains.
« C’est la plus grande réduction
d’impôts que nous ayons jamais
accordée, si vous voyez les choses
sous cet angle, car les gens vont payer
99 cents pour un gallon d’essence
(soit 0,25 euro le litre, NDLR) » et


cela « va aider les compagnies
aériennes », a mis en avant Donald
Trump mercredi. Mais au moment
où l e Covid-19 cloue les avions au sol
et où 90 % de la population améri-
caine est appelée à se confiner, c’est
surtout « préjudiciable » à l’indus-
trie pétrolière, reconnaît le prési-
dent américain.
Après avoir parlé à Vladimir Pou-
tine et MBS en début de semaine,
Donald Trump doit recevoir ce ven-
dredi à la Maison-Blanche les
grands patrons du secteur pétrolier,
d’ExxonMobil à Chevron en pas-
sant par le spécialiste du pétrole de
schiste Occidental.

Rancœur entre MBS
et Poutine
Moscou et Riyad ont eu ces derniè-
res années de nombreux sujets de
litiges avec Washington : les Etats-
Unis ont pesé sur les cours mon-
diaux du pétrole en développant à
marche forcée leur pétrole de
schiste. Moscou conteste aussi les
sanctions américaines, notam-
ment celles qui retardent le projet
de gazoduc Nord Stream 2 ou celles
prises contre la compagnie russe
Rosneft pour ses relations avec le
Venezuela. Ces derniers jours,
l’Arabie saoudite n’avait d’ailleurs
pas modifié d’un iota ses prévisions
de production pour avril et mai,
ouvrant les vannes au maximum
pour porter ses exportations à un
record historique.
Washington a toutefois des argu-
ments à faire valoir à Riyad. « Face à
la puissance militaire de l’Iran, l’Ara-
bie saoudite ne peut pas exister dans
la région du Golfe sans le soutien des
Etats-Unis, rappelle Paul Stevens,
chercheur associé à Chatham
House. Mohammed ben Salmane

sait ce qu’il risque s’il remettait en
question cette alliance. »
La rancœur entre MBS et P outine
est profonde depuis l’échec des
négociations entre l’Opep et la Rus-
sie le mois dernier à Vienne. « Mais
l’ampleur de la pandémie leur per-
mettra de ne pas perdre la face lors-
qu’ils accepteront de négocier pour
réduire leur production », poursuit
le même expert.

Demande en chute libre
Les Etats-Unis, de leur côté, ont
moins de marge de manœuvre pour
réduire leur production : la Maison-
Blanche ne peut pas décréter un
niveau de production à ne pas
dépasser comme dans les pays de
l’Opep. Et l’industrie pétrolière

paraît divisée sur les mesures à
prendre, entre les majors qui préfè-
rent laisser jouer le marché et des
acteurs plus petits qui attendent des
mesures de soutien ou paraissent
prêts à réduire leur production.
« Trump ne peut pas les ignorer, le
Texas est un Etat-clé pour gagner les
élections », souligne aussi Denis Flo-
rin, associé fondateur de Lavoisier
Conseil. Il reste désormais à voir si la
réduction de production promise
par Donald Trump aura bien lieu,
dans quel calendrier et à quelle hau-
teur, alors que la production combi-
née de la Russie et de l’Arabie saou-
dite atteint 23 millions de barils par
jour. Et à voir, enfin, si elle aura un
impact durable face à une demande
en chute libre.n

lLe président américain a annoncé


jeudi que Moscou et Riyad pourraient


réduire leur production de pétrole


de 10 voire 15 millions de barils.


lL’Arabie saoudite a appelé dans


la foulée à une réunion « urgente » des


producteurs de l’Opep et d’autres pays.


Pétrole : Trump fait pression sur Riyad


et Moscou pour réduire la production


« La Russie et l’A rabie


saoudite conservent


un intérêt commun »


E


n provoquant une guerre
des prix sans précédent sur
le marché du pétrole, l’Ara-
bie saoudite et la Russie vont pro-
bablement parvenir à faire baisser
la production au Canada, en mer
du Nord et au Venezuela. Le
pétrole de schiste américain souf-
frira à court terme, mais il repren-
dra de la vigueur dès que les cours
remonteront, estime Denis Florin.

Pourquoi l’Arabie
et la Russie font-elles baisser
les prix du pétrole alors
qu’elles sont les premières
à en souffrir?
D’abord, les deux pays n’avaient
pas anticipé l’impact récessif
qu’aurait le coronavirus, ils ne
pensaient pas que la demande
chuterait d e façon aussi massive et
brutale. Ensuite, ils ont voulu pro-
fiter de la situation p our prendre le
contrôle d u marché. Ils parient sur
l’élimination des producteurs aux
coûts les plus élevés comme le
Venezuela, les puits les plus
anciens de la mer du Nord ou les
sables bitumineux du Canada. Et
aussi sur l’annulation de grands
projets que les compagnies inter-
nationales retarderont ou annule-
ront face à la chute des cours. La
Russie et l’Arabie sont en mauvais
termes actuellement, mais il s’agit
là d’une alliance objective c ar leurs
intérêts sont communs.

Mais leur véritable ennemi,
n’est-ce pas le schiste
aux Etats-Unis?

Il n’est pas du tout prouvé que la
production américaine de pétrole
sera la principale victime de la
guerre des prix. A court terme, oui,
il y aura des faillites aux Etats-
Unis, beaucoup de petites compa-
gnies vont disparaître o u au moins
réduire leur production. Mais les
majors, comme Exxon ou Che-
vron, en profiteront pour se ren-
forcer. Et dès que les prix remonte-
ront, la production de pétrole de
schiste pourra rapidement repar-
tir à la hausse, grâce au faible
temps de cycle du pétrole non con-
ventionnel et à la solidité de l’éco-
système américain. Politique-
ment, Moscou, qui affichait viser
les Etats-Unis, aura alors partielle-
ment manqué sa cible. Mais, si la
production recule au Venezuela,
en mer du Nord, au Canada ou au
Brésil, le marché sera en partie
rééquilibré et l’objectif économi-
que du Kremlin – et de Riyad – sera
au moins partiellement atteint à
mesure que la demande repartira.

Donald Trump pourrait-il
décider de préserver
la production américaine,
sur le modèle des pays
de l’Opep ou de la Russie?
Trump sait qu’il doit faire quel-
que chose pour aider l’industrie
pétrolière du Texas, un Etat clé
pour l’élection de novembre. Il n’a
pas le pouvoir de décréter un
niveau de production pour le
pays, mais il peut bannir certai-
nes importations de pétrole ou
les taxer pour p rotéger la p roduc-
tion nationale. C’est une menace
qu’il peut brandir pour inciter
l’Arabie saoudite à atténuer la
guerre des prix.
Propos recueillis par V. C.

DENIS FLORIN
Associé fondateur
de Lavoisier
Conseil

« Trump sait
qu’il doit faire
quelque chose
pour aider
l’industrie
pétrolière
du Texas. »
Free download pdf