Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

Les Echos Lundi 23 mars 2020 IDEES & DEBATS// 13


art&culture


Laszlo De Simone,


l’Italien cosmique


Du côté de Turin, un artiste rare fait de la résistance : son nom, Andrea Laszlo
De Simone. Photo Ivana Noto.

Philippe Noisette
@NoisettePhilip

A l’écoute en février dernier
des candidats du Festival de
San Remo, grande
« messe » de la chanson
transalpine, on pouvait se
demander si celle-ci avait un avenir. Des
interprètes plus préoccupés de leur look que
des mélodies, des formats standardisés à la
pelle, on en était là. Pourtant, du côté de
Turin un artiste rare fait de la résistance : son
nom, Andrea Laszlo De Simone. La petite
histoire veut que ce trentenaire a appris en
autodidacte tout un tas d’instruments de
musique. Mieux encore, selon ses dires, il n’a
jamais collectionné de disques, même ceux
des grands comme Lucio Battisti ou Franco
Battiato, dont il semble pourtant le digne
héritier.
Andrea Laszlo De Simone ne sauvera sans
doute pas à lui tout seul la pop italienne, mais
avec son EP « Immensità » il nous donne des
nouvelles des étoiles. Faisant suite à l’album
plus confidentiel qu’était « Uomo Donna »
(2017), « Immensità » réussit l’exploit de
redonner des couleurs à ce printemps
morose. Quatre titres qui ne s’usent pas à
l’écoute, et entre chaque, des atmosphères
dignes d’un long-métrage. « Immensità » le
titre éponyme ouvre donc cette symphonie
de chambre entre folk lointain et variété élé-

gante. « L’immensité est
dans chaque choix infime,
dans chaque deuil et dans
chaque renaissance ; c’est
l’univers tout entier dans
lequel nous vivons », résume
De Simone. Violon, violon-
celle ou trompette accom-
pagnent le chanteur et compositeur – cer-
tains musiciens sont issus du Conservatoire
de Paris.

Ritournelle intersidérale
On aime sa voix un brin traînante, son
phrasé tout en douceur. Une « dolce vita »
peut-être trompeuse... Le second titre « La
Nostra fine » est sans doute le chef-d’œuvre
de cet EP. Ample, ce morceau est digne des
grands moments de la chanson italienne des
années 1970 tout en regardant vers les espa-
ces infinis du folk américain. Andrea s’y
révèle de plus excellent multi-instrumen-
tiste. « Mistero », ensuite, a des allures de
ritournelle intersidérale, un peu comme si
Laszlo De Simone était le trait d’union entre
l’étoile pop Italienne Lucio Battisti et le tru-
blion électro français Sébastien Tellier.
« Conchiglie » clôt l’aventure – 25 minutes et
14 secondes a u total – avec une é légance folle.
La voix de Andrea Laszlo De Simone semble
murmurer, nappée de chœurs et de cordes.
Difficile de lui résister. L’immensité n’a
jamais semblé si proche de nous.n

MUSIQUE
Andrea Laszlo
De Simone
« Immensità »,
un EP Ekler’o’shock.
En écoute sur Spotify,
Deezer et Apple Music.

Le Clézio, impressionniste


et impressionnant


Thierry Gandillot
@thgandillot

La Bretagne, J. M.G. Le Cle-
zio n’y est pas né, n’y a jamais
vécu ; il n’y a passé que quel-
ques mois chaque été,
entre 1948 et 1954. Mais,
écrit-il, « c’est le pays qui m’a apporté le plus
d’émotions et de souvenirs ». Plus que l'Afri-
que, le Mexique ou l'île Maurice, donc. Sans
se soucier de la chronologie, le prix Nobel de
littérature fait remonter des souvenirs, des
impressions, des sensations, des émois.
Même s’il s’en défend, il y a une certaine nos-
talgie dans ses propos. Quand il retourne à
Sainte-Marine, il ne reconnaît à peu près
plus rien. Un pont surdimensionné enjambe
l’Odet, qui rend obsolète le vieux bac qui glis-
sait sur une chaîne grinçante deux fois par
heure ; des ronds-points, des routes bario-
lées de peinture blanche, encombrées de chi-
canes, des portiques en bois pour interdire le
passage des camping-cars, des panneaux,
des bornes ont modifié le paysage.
Le Clézio a le sentiment qu’on lui a volé un
trésor – un trésor qu’il ressuscite dans
« Chanson bretonne ». On croise Mme Le
Dour et ses deux filles, la marquise de Morte-
mar qui donne chaque été en son château du
Cosquer une fête où elle n’apparaît pas, un
mystérieux sonneur de biniou entendu une
nuit dans un bois. Les moissons se font sous
un soleil de plomb ; des doryphores d omesti-
qués tournent à la queue leu leu dans une

arène de sable construite
par lui ; un poulpe vient à
chaque marée b asse le
saluer en entourant ses mol-
lets de ses tentacules. Le Clé-
zio évoque la lande et les
vagues, la pointe de la Tor-
che, l’immense pierre à
polir de Penmarc’h vieille de 10.000 ans, les
remembrements, les chemins creux et les
haies, l'effacement de la langue bretonne,
Douarnenez devenue musée après l’effon-
drement de la pêche et des conserveries.

« Un vide dans le corps »
Dans le second texte, plus bref, « L’Enfant et
la Guerre », Le Clézio remonte le temps. Né
en 1940, il a des souvenirs à la fois vagues et
précis, inventés ou rêvés, dont il tente de
démêler les fils. La bombe qui explose dans
le jardin de Nice ; la De Dion jaune paille sur
cale après que les Allemands en ont enlevé
les pneus ; la douceur du sein maternel ; la
faim qui « crée un vide dans l e corps » ; la mort
de Mario, le résistant italien, tué par son pro-
pre engin explosif, dont on ne retrouvera
qu’une mèche rousse ; les mouches qui
s’agglutinent sur la plaie de la jambe de sa
grand-mère... Et ce sentiment qui domine :
« Dans cette imagerie de la guerre, il n’y a pas
de bons ni de méchants. Il n’y a pas d’ennemis.
Il y a d’un côté des enfants, de l’autre la
machine aveugle e t féroce, aux mains d ’adultes
que leurs uniformes et leurs armes mettent à
l’abri de toute identification. »n

SOUVENIRS
Chanson bretonne,
L’ Enfant et la Guerre
Deux contes
de J.M.G. Le Clezio
Gallimard, 154 pages,
16,50 euros.

LE POINT
DE VUE

d’Eric de Kermel


Le pangolin, meilleur


allié des Gafa


Alors oui, il est exact que les écologis-
tes rêvent d’un autre monde. D’un projet
pour l’humanité à réécrire en tirant les
leçons de cette épidémie, mais aussi des
images d’Australie, des banquises qui
fondent, des migrants qui se noient.
Et si on appuyait sur « pause » pen-
dant quelque temps? Cessant de regar-
der BFM et les cours de la Bourse nous
reprendrions les questions dans l’ordre,
par le début... C’est quoi vivre? C’est quoi,
une humanité? C’est quoi « réussir sa
vie »? Peut-on la réussir seul, derrière
notre écran, livré par Amazon?
Le plus précieux d’une vie, ce qui fait
naître le bonheur n’est-il pas unique-
ment lié à ces liens qui nous sont
aujourd’hui, mais temporairement,
interdits : lien avec la personne âgée,
dont le visage s’éclaire quand ses petits-
enfants lui rendent visite, lien des
amoureux qui se retrouvent et
s’embrassent, lien d es écoliers dans l eur
cours d’école autour d’une partie de
billes, lien avec les sourires des caissiè-
res ou du boulanger, lien de ceux qui
dansent et chantent ensemble à 50,
à 1.000 à 5.000 d ans une salle de concert
ou dans les gradins d’un stade! La vie
est une aventure risquée, la preuve, tout
le monde en meurt... Ce que voudraient
simplement les écologistes, c’est que, le
temps où nous la vivons, nous ne la pas-
sions pas à la détruire, mais à la proté-
ger, la découvrir, la célébrer!

Eric de Kermel est le directeur
de la rédaction de « Terre sauvage ».

LE POINT
DE VUE

de Nicolas Bouzou
et Gilbert Cette

Tout faire pour


renforcer le rebond


d’après-coronavirus


L


’impact du choc du Covid-19 sur la
croissance sera très fort et large-
ment supérieur à celui de la
grande récession de 2008-2009. A ce
stade et dans une grande situation
d’incertitude, des scénarios envisageant
des pertes d’activité se situant, tant en
France que dans les autres grands pays
européens, dans une fourchette allant d e
–3 % à –15 % du PIB sont crédibles.
Symétriquement, le rebond de l’éco-
nomie réelle en sortie du choc, et en par-
ticulier au terme des périodes de confi-
nement, peut être rapide et fort à partir
du moment où la période actuelle ne se
traduit pas par des destructions de capi-
tal humain ou physique. Les disposi-
tions déjà annoncées par les grandes
banques centrales et les gouvernements
de la plupart des pays de l’OCDE sont
d’une ampleur s ans précédent e t
devraient permettre d’éviter que ce
rebond soit significativement contrarié
par des difficultés financières, tant des
entreprises que des ménages.

Trois dangers
Le prix à payer de ses dispositions
sera une large augmentation des dettes
publiques. Les mesures adoptées et le
jeu des stabilisateurs automatiques aug-
menteront considérablement, et d’au
moins 10 points, le ratio dette/PIB dans
tous les pays. C’est inévitable et de toute
façon le coût financier de l’inaction
aurait été bien plus élevé. La soutenabi-
lité de la dette publique dépendra large-
ment de la croissance après la crise.
Le sujet urgent n’est donc pas finan-
cier. Il est de faire en sorte que le rebond
soit le plus rapide et le plus fort possible.
Nous identifions à ce stade trois dangers
qui pourraient décaler une reprise que
nous voyons à ce stade aux alentours du

mois de septembre. Tout d’abord, que le
confinement et les dispositions limitant
l’activité de certains secteurs (loisirs,
transports...) soient prolongés pendant
une longue période. Ensuite, que les
comportements de demande interne et
externe soient inhibés. Du côté de la
demande interne (consommation et
investissement), par la crainte d’une
seconde vague de l’épidémie et donc
d’autres nouvelles mesures de confine-
ment. Du côté de la demande externe,
par les mêmes effets dans les pays parte-
naires, auxquels s’ajouteraient possible-
ment la poursuite dans certains pays de
périodes de confinement amorcées plus
tard qu’en France. On pense évidem-
ment, par exemple, à l’Allemagne, aux
Pays-Bas, au Royaume-Uni, voire aux
Etats-Unis.
Enfin, les restrictions sur l’offre pour-
raient se prolonger si d’autres pays four-
nisseurs des consommations intermé-
diaires d’entreprises françaises gardent
une activité réduite du fait du prolonge-
ment de périodes de confinement amor-
cées plus tard qu’en France ou du fait
d’une reprise de l’épidémie.

Rebond mécanique
Nul doute que l’action publique sanitaire
s’efforcera de contenir ces trois freins et
de préserver le capital physique et
humain. Il nous faut aussi penser l’après-
crise. Le rebond quasi mécanique de
l’économie pourrait avoir une vigueur
renforcée par différents effets spécifi-
ques. Evoquons-en trois. Tout d’abord, le
choc du Covid-19 aura accéléré le pas-
sage à l’ère digitale pour de nombreux
travailleurs et entreprises. Malheureu-
sement, de nombreux outils utilisés
pour communiquer à distance sont
américains. Il est temps que l’Union

européenne se saisisse de ce dossier en
mettant en place une politique de
concurrence et de financement qui per-
mette l’émergence de géants européens
dans ces domaines.
Ensuite, ce choc aura généralisé par-
tout où cela est possible le recours à de
nouvelles formes d’activité, comme le
télétravail. Cette évolution est, comme la
précédente, porteuse de gains de pro-
ductivité à partir du moment où les
entreprises modifient durablement leur
management pour le baser sur le tripty-
que : sens, autonomie, autorité.

Enfin, la sortie du choc pourra ali-
menter un climat d’euphorie favorable à
un véritable dynamisme économique. Il
ne faudra surtout pas l’affecter par des
annonces anxiogènes sur la fiscalité ou
par des réformes mal préparées, le trau-
matisme de la conduite du débat sur les
retraites étant encore dans tous les
esprits. Si nous savons mener une bonne
politique économique, associée à une
bonne communication, le rebond de la
croissance permettra d’envisager serei-
nement la baisse de la dette publique,
fortement augmentée par les indispen-
sables et vastes mesures en cours de
déploiement.

Nicolas Bouzou est économiste,
fondateur d’Asterès.
Gilbert Cette est professeur associé
à l’Université d’Aix-Marseille.

Le coût financier
du soutien à l’économie
sera élevé. Celui
de l’inaction l’aurait
été bien davantage.

Alors, à qui profite l a désorganisation
mondiale provoquée par le coronavi-
rus? D’abord, à l’atmosphère! En quel-
ques semaines, la Chine a atteint les
objectifs de l’accord de Paris de baisse
de ses émissions de CO 2 , mais pour
quelques semaines seulement. Peu
importe, cela nous aura au moins
donné une petite idée du décalage entre
l’objectif affiché et la réalité...

Ensuite au pangolin! Animal sau-
vage menacé d’extinction, le plus bra-
conné au monde, et que l’on va laisser
tranquille pour quelque temps... Faut-il
que l’alouette, la baleine ou l’éléphant
nous transmettent à leur tour un
méchant virus pour que nous leur lais-
sions le droit d’exister?

Appuyer sur « pause »
Enfin aux Gafa! Aucun risque d’attra-
per la moindre grippe si chacun reste
bien derrière son écran, s’envoyant des
cœurs rougeoyants par réseaux
sociaux interposés, commandant sur
Amazon tout c e dont n ous avons b esoin
pour ne pas risquer de toucher les
mains de la caissière ou celles du bou-
langer! Mais il ressemble à quoi ce
monde? Ce monde où l ’on se protège de
tout et de tous.

La vie est une aventure
risquée, la preuve, tout
le monde en meurt...

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N


on, les écologistes ne sont pas
« contents » que l’épidémie de
coronavirus se développe sur
tous les continents, provoquant ainsi le
décès de milliers de personnes. Nous
avons tous, écologistes ou pas, des per-
sonnes âgées et fragiles auxquelles
nous sommes attachées, même si nous
défendons les alouettes, les baleines et
les pangolins!
Mais ce qu’espèrent les écologistes,
c’est que l’épidémie de coronavirus sera
le déclic qui provoquera une réelle
remise en question de notre modèle de
société.

Démondialisation
Rien n’est moins sûr, me direz-vous, car
les canicules des étés passés ont été
oubliées dès les frimas de l’automne, et
rien, dans nos politiques publiques,
atteste que nous avons entamé un quel-
conque processus d’adaptation à une
hausse irréversible des températures. Il
en est de même au niveau européen, où
la prochaine PAC se négocie « business
as usual », au point que 3.600 scientifi-
ques interpellent les négociateurs pour
les rappeler à l’ordre écologique! Rien
n’est moins sûr, mais si on essayait d’y
croire un peu...
Qui eût imaginé qu’un jour notre
ministre de l’Economie, tirant de pre-
miers enseignements de l’épidémie,
emploie le mot de « démondialisa-
tion »! Qui sait s’il ne finira pas en pro-
moteur de la décroissance et de la
Illustration Maïlys Glaize pour « Les Echos »déconsommation!

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