Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1
« C’est un confinement total et
absolu de l’ensemble d e la population
dont nous avons besoin, à l’instar des
mesures déployées en Chine »,
défend l’Isni, dans u ne lettre
ouverte à Emmanuel Macron, en
demandant l’arrêt des transports
en commun et le « ravitaillement
des familles au domicile par des per-
sonnels protégés intégralement et
avec des masques FFP2 ».
Dans s a décision, le Conseil d’Etat
ne leur a pas entièrement donné
raison, refusant d’ordonner le
« confinement total » , mais a enjoint
au gouvernement de revoir d’ici à
48 heures certaines dérogations de
déplacement. Il juge « trop large »
l’autorisation de pratiques sporti-
ves individuelle et demande aussi
au gouvernement de « préciser » le
« degré d’urgence » des motifs de
santé justifiant un déplacement.
Comme de nombreux soignants,
le président du syndicat, Justin
Breysse, s’inquiète de voir les gens
continuer à circuler à Paris : « C’est

lunaire. Où vont tous ces gens dans
leur voiture? Au travail? Bruno
Le Maire ferait mieux de faire fermer
les entreprises. Il faut sauver la santé ;
ensuite, on s’occupera de sauver le
PIB. » Emanuel Loeb, chez Jeunes
Médecins, estime que « la confusion
et les messages contradictoires de
l’exécutif n’ont pas permis à la popu-
lation d e se rendre c ompte de la gravité
de la situation ». Le syndicaliste juge
« criminel » le maintien du premier
tour des élections municipales.
« Quand l’Italie a commencé le confi-
nement, pourquoi ne l’avons-nous
pas fait? Ce qui se passe est dramati-
que, le politique est responsable,
j’espère qu’on pourra faire condam-
ner les c oupables », accuse-t-il e n évo-
quant l’affaire du sang contaminé.

Se tuer à la tâche
Les hôpitaux vont avoir du mal à
tenir le choc, et les victimes seront
nombreuses. « Nous tenons à aler-
ter la p opulation du fait q u’il n’y a ura
pas de places en réanimation pour

tous les patients graves quel que soit
leur âge », écrit l’Isni. « Dans le
Grand Est, même des patients de
moins de 70 ans ne sont plus orientés
en réanimation tant c’est saturé. »
Tous s’inquiètent des fortes ten-
sions sur l’approvisionnement en
masques et en tenues de protection

. « Les soignants se tuent à la tâche »,
accuse Emanuel Loeb, en évoquant
une amie radiologue avec un seul
masque pour toute la journée ou un
établissement en rupture de stock
temporaire. « On a des dizaines
d’internes atteints par le Covid sur le
territoire, mais il n’y a aucune comp-
tabilisation à l’échelle nationale.
Infirmiers, aides-soignants, j’en ai
croisé des malades qui ne sont même
pas dépistés et qui continuent à tra-
vailler », poursuit Justin Breysse.
A l’Assistance publique-Hôpi-
taux de Paris, la direction a indiqué
vendredi que tous les soignants
peuvent être dépistés dans les hôpi-
taux où ils travaillent.
—S. G.


Des médecins exigent un confinement « total »


A-t-on péché par optimisme face à
la crise du coronavirus? Oui,
répondent Jeunes Médecins et
l’Isni. Les deux syndicats représen-
tant les étudiants en médecine et l es
internes ont annoncé en fin de
semaine qu’ils portaient plainte en
référé devant le Conseil d’Etat , afin
d’obtenir du gouvernement qu’il
durcisse les règles du confinement.
Objectif : protéger les soignants, en
première ligne face au virus, et
l’ensemble des Français.
Samedi, quatre syndicats de
médecins hospitaliers se sont joints
à eux pour appeler la population à
« un confinement total » : anesthé-
sistes-réanimateurs (SNPHARE,
SNARF), gynéco-obstétriciens
(Syngof), pharmaciens-biologistes
(FNSIP.BM).


Deux syndicats d’étudiants
en médecine ont saisi
en référé le Conseil d’Etat
afin d’obtenir un durcisse-
ment du confinement.


Lors du Conseil de défense de vendredi, le chef de l’Etat a assuré que « l’Etat tient ». Photo Gonzalo Fuente/Reuters

hospitalisés et 2 en réanimation.
Certains d’entre eux continuent à
travailler à distance, pour pro-
duire des études, explique la
direction, précisant que tous n’ont
pas été infectés à l’hôpital, et qu’il y
a des masques, même s’ils sont
rationnés.

Eviter l’épuisement
Si les sommités de l’AP-HP se sont
exprimées avec calme, le propos
est alarmant. « Les soignants sont
les soldats d’une guerre dont nous
n’imaginions pas qu’elle puisse
arriver », a expliqué le professeur
Rémi Salomon. Comme en temps
de guerre, un certain nombre de
tâches vont être réattribuées. Nous
devons éviter que les équipes au
front ne s’épuisent trop vite. »
Les épidémiologistes prévoient
que la tempête va s’abattre sur la
région parisienne à partir de la
semaine prochaine. En prévision,
l’AP-HP a aujourd’hui quasiment
doublé ses capacités de lits de
soins intensifs, qui sont d’environ
200 lits en temps normal. D’ici la
fin du week-end, elle espère par-
venir à ouvrir 1.000 lits de réani-
mation, dont 600 pour ventiler les
patients en détresse respiratoire.
L’arrivage de 186 ventilateurs
neufs est imminent.
Certains de ces lits fonctionne-
ront « en système dégradé », a pré-
cisé le médecin-réanimateur
Antoine Vieillard-Baron. C’est de la
médecine de crise, ce que l’AP-HP
appelle le « capacitaire phase 3 ».
De plus, « d’ores e t déjà, nous prépa-
rons la phase 4, la réanimation hors
les murs », a-t-il poursuivi. Autre-
ment dit, on cherche où mettre les
patients quand le service déborde,
et on forme des soignants non spé-
cialistes de la réanimation. Quant
aux non-soignants, les hospita-
liers les supplient, à nouveau, de
rester chez eux. —S. G.

La région Ile-de-France se pré-
pare à prendre de plein fouet la
vague du coronavirus, qui a déjà
submergé l’Alsace. Vendredi, le
directeur général de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris,
Martin Hirsch, a tenu une confé-
rence de presse en compagnie de
nombreux hauts gradés de ses
établissements, en particulier le
professeur Bruno Riou, qu’il vient
de nommer directeur de crise. A
cette o ccasion, il a lancé un vérita-
ble appel au secours en direction
de la communauté soignante.
« J’ai un message important
pour tous les professionnels », a-t-il
expliqué : certains vont être de
toute façon réquisitionnés ; quant
à ceux qui ne le seront pas, « tous
les professionnels doivent s’ins-
crire » s’ils ont un diplôme de
santé et des disponibilités, afin de
prêter main-forte. Martin Hirsch
a indiqué un numéro vert (le 0805
280 270) et l’adresse du site Web
créé le jour même par l’agence
régionale de santé (renforts-
covid.fr), qui peut déjà faire appel
à la réserve sanitaire.
Au passage, Martin Hirsch a
exprimé son admiration pour le
personnel soignant : l’épidémie
« suscite quelque chose de jamais
vu », s’est-il ému, « c’est comme s’il
y avait trois fois plus de soignants »
qu’il n’y en a en réalité, tant ils sont
impliqués. Quelque 250 patients
sont déjà en réanimation au sein
de la quarantaine d’établisse-
ments du groupe. D’autres ont été
accueillis dans des établisse-
ments publics ou privés de la
région. Côté soignants, 345 ont été
infectés et dépistés, dont 3 sont

L’AP-HP accueille déjà
250 malades en réanima-
tion. Il craint de manquer
de personnel, car 345 soi-
gnants ont été infectés.

L’appel des hôpitaux de


Paris à tous les soignants


res que la grippe. D’o ù le risque
d’embolie du système, et d’accrois-
sement général de la mortalité. « A
un moment, dans l’Oise, il y avait une
heure d’attente au 15. En cas d’infarc-
tus, c’est fini », témoigne le prési-
dent du syndicat des internes ISNI,
Justin Breysse.
Pour faire face à cette crise iné-
dite depuis cent ans, l’hôpital est
mal équipé. Les réductions de coûts
depuis dix ans l’ont é puisé. L a pénu-
rie de masques met en danger les
soignants – le premier décès de pra-
ticien hospitalier est survenu
dimanche. Olivier Véran a reconnu
samedi que le rationnement était
une nécessité, car la production
nationale monte en charge, mais
n’atteint encore que 6 millions de
masques par semaine, contre des
besoins de 24 millions, rien que
pour les professionnels de santé.
Le gouvernement est également

critiqué sur la parcimonie du dépis-
tage, alors que l’Organisation mon-
diale de la Santé a appelé à « tester,
tester, tester ». Avec 4.000 diagnos-
tics par jour, la France n’a pas à rou-
gir, a répliqué Olivier Véran, tout en
promettant de « faire évoluer rapi-
dement sa capacité de dépistage »,
« au moment où nous lèverons le
confinement ».
L’union nationale n’aura qu’un
temps. Le week-end dernier,
l’Assemblée nationale et le Sénat ont
certes trouvé un accord permettant
l’adoption de la loi sur l’état
d’urgence sanitaire. Néanmoins, les
professionnels de santé et l’opposi-
tion ont déjà fait savoir qu’elles
feraient les comptes après l’épidé-
mie. Le député Damien Abad, prési-
dent du groupe LR à l’A ssemblée
nationale, a promis u ne commission
d’enquête à l’automne pour « tirer
toutes les leçons de l’épidémie ».n

lPlus de 1.700 malades du Covid-19 étaient en réanimation samedi.


lLe nombre de personnes infectées se situerait entre 30.000 et 90.000, selon le ministère de la Santé.


lL’accélération de l’épidémie va se poursuivre avant que le confinement porte ses fruits.


L’épidémie de coronavirus s’accélère,


les hôpitaux se préparent à un long siège


Solveig Godeluck
@Solwii
et Grégoire Poussielgue
@Poussielgue


« La vague est là. » Alors que la
France s’apprête à entrer dans sa
deuxième semaine de confinement
pour lutter contre l’épidémie de
coronavirus, Emmanuel Macron a
une fois de plus préparé les esprits à
une longue bataille. « Nous ne som-
mes pas au bout de ce que cette épidé-
mie va n ous faire vivre », a-t-il d éclaré
dans les colonnes du « JDD ».
Il ne fait plus de doute que les
Français vont rester bloqués chez
eux plus de quinze jours. Le conseil
scientifique rendra son avis lundi,
mais son président, Jean-François
Delfraissy, a d’ores et déjà estimé
dans « Le Monde » que le confine-
ment durerait « plus longtemps
qu’annoncé ». La pression pour res-
treindre la circulation des Français
est forte : des médecins accusent
l’exécutif de légèreté ; Nice, Béziers,
Montpellier, Perpignan ont mis en
place des couvre-feux ; les voies sur
berge, le Champ de Mars et l’espla-
nade des Invalides ont été fermés à
Paris. Les contrôles ont été renfor-
cés, et la police fait même appel à
des drones.


Des malades évacués
Dans son bilan quotidien de samedi,
la direction générale de la santé a
résumé la situation : « extension
nationale et aggravation rapide de
l’épidémie ». Dimanche, 7.240 mala-
des sont hospitalisés, dont 1.746 cas
graves en réanimation. Depuis le
début de l’épidémie, 674 personnes y
ont laissé la vie, dont 112 de plus rien
que la journée d’hier. Le décompte
macabre devrait continuer à s’accé-
lérer, car les personnes infectées
avant le confinement continuent à
affluer aux urgences.
« Dans les premiers jours, la situa-
tion va continuer à s’aggraver avant
que les effets du confinement se fas-
sent sentir », a reconnu Olivier
Véran, lors d’une conférence de
presse. Alors que près de 16.000 cas
de contamination étaient officielle-
ment enregistrés dimanche, le
ministre a estimé le nombre de


SANTÉ


malades réels « entre 30.000 et
90 .000 », en comptant ceux qui
avaient des symptômes, mais
n’avaient pas été dépistés et les por-
teurs sains. Les médecins libéraux,
qui voient passer ces malades non
diagnostiqués, ont également pu
constater l’ampleur de la contagion.
Dans le Grand Est déjà saturé, on
évacue les malades vers le sud de la
France, mais aussi en Allemagne et
en Suisse, et l’hôpital de campagne
du service de santé des armées
devrait commencer à fonctionner
lundi. La Corse a également com-
mencé à transférer des malades vers
le continent. Les hôpitaux d’Ile-de-
France et des Hauts-de-France se
préparent à recevoir de plein fouet
la vague qui monte de jour en jour.

L’Agence régionale de santé fran-
cilienne a demandé à tous les éta-
blissements capables d’accueillir
des malades du Covid-19, publics
comme privés, de déprogrammer
les soins non urgents et de se tenir
prêts. E lle a lancé u n appel à bonnes
volontés de soignants, mais aussi
d’autres compétences (déve-
loppeurs, etc.). Son directeur, Auré-
lien Rousseau, évoque dans « Le
Monde » le début du pic autour du
1 er avril, toute la question étant de
savoir s’il restera inférieur à la jauge
d’environ 1.300 lits disponibles en
soins intensifs.

Masques rationnés
Ce qui rend ce virus particulière-
ment tueur et dangereux pour le
système de santé, c’est qu’il provo-
que des formes graves chez des
gens peu âgés, non fragiles. La moi-
tié des personnes hospitalisées en
réanimation ont moins de 60 ans.
La plupart guérissent. Mais elles
sont souvent intubées pendant
deux semaines, mobilisant du per-
sonnel spécialisé, ou encore d es res-
pirateurs. Le Covid-19 consomme
bien plus de ressources hospitaliè-

Prévu autour
du 1er avril, le pic
restera-t-il inférieur
à la jauge de 1.300 lits
disponibles en soins
intensifs?

EVENEMENT


Lundi 23 mars 2020Les Echos

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