Les Echos Lundi 23 mars 2020 ENTREPRISES// 23
DÉFENSE
Ninon Renaud (avec A.B.)
@NinonRenaud
— Correspondante à Berlin
A l’heure où la France est «en guerre
contre le Covid-19», pour reprendre
l’expression du président de la
République française, Emmanuel
Macron, pas question pour autant
de négliger l’éventualité d’une
guerre conventionnelle. C’est donc
du bout des lèvres, ce qui en dit long
sur l’état de la relation franco-alle-
mande dans le domaine de la
défense, que les députés allemands
de la commission du budget ont
donné leur feu vert la semaine der-
nière au lancement du projet fran-
co-allemand de char du futur, le
MGCS pour « main ground combat
system ». Toutefois, ils condition-
nent leur soutien à un engagement
du gouvernement allemand en
faveur de la consolidation de l ’indus-
trie militaire terrestre nationale.
A court terme, les députés ne
pouvaient pas bloquer le lance-
ment de l’étude de concept du
MGCS, dotée d’une première enve-
loppe de 30 millions d’euros de cré-
dits. Leur feu vert était cependant
nécessaire p our permettre a ux gou-
vernements français et allemands
de signer dans de bonnes condi-
tions l’accord-cadre de mise en
œuvre du programme. Berlin a
besoin du soutien du Bundestag,
puisqu’il devra voter dans la durée
les crédits pour le char du futur,
dont le coût de développement est
estimé à 750 millions d’euros d’ici à
2027, précise-t-on dans l’entourage
du gouvernement. Le chemin pro-
met cependant d’être escarpé.
Consolider l’industrie
militaire allemande
Les élus conditionnent leur soutien
futur à la remise d’un rapport du
gouvernement sur la consolidation
de l’industrie militaire t errestre alle-
mande. Ils le veulent avant le 17 juin
prochain. Face à la mobilisation de
l’exécutif français pour l’avion du
futur (FCAS), ils regrettent le peu
d’empressement du leur pour le
char. Au point qu’une majorité de
députés de la coalition d’Angela
Merkel craignent que ce projet, dont
l’Allemagne a la direction, ne leur
échappe au profit des Français qui
pilotent déjà le FCAS.
Deux entreprises participantes
sur trois (KMW et Rheinmetall)
sont allemandes, et les besoins
d’équipement en chars outre-Rhin
seraient plus importants que ceux
de la France. L’Allemagne possède
officiellement plus de 350 chars
lourds de type Leopard 2, mais
moins d’une centaine sont opéra-
tionnels. La France détient environ
200 chars Leclerc, dont plus de la
moitié à rénover avant 2025.
Toutefois l’histoire a la mémoire
longue. Au pays des Panzer, les
députés craignent encore d’être
lésés dans le partage industriel avec
la France. Car KMW et la société
française Nexter appartiennent au
holding KNDS, détenu à 50 % par
l’Etat français et à 50 % par la
famille allemande Bode, proprié-
taire de KMW. Aussi nombre de
députés outre-Rhin craignent un
éventuel droit de préemption fran-
çais sur KMW en cas de désengage-
ment de la famille Bode. « Il n’y a
rien de tel à l’ordre du jour », affirme-
t-on avec force à Paris.
Au Parlement néanmoins, nom-
bre de députés rêvent toujours
d’une consolidation « allemande »,
qui relancerait le projet avorté de
fusion de Rheinmetall avec KMW,
quitte à défaire la seule coentreprise
franco-allemande de l’armement.
Dans ce contexte, le dossier
menace de faire du sur-place jus-
qu’au renouvellement du Bundes-
tag prévu f in 2021. Si l es s ondages s e
concrétisent, l’Allemagne sera
alors dirigée par une coalition for-
mée par les chrétiens-démocrates
(CDU) et les Verts. Proeuropéens,
ces derniers se sont abstenus lors
du vote mercredi au Bundestag et
pourraient permettre de débloquer
la situation.
En attendant, pour les entrepri-
ses concernées, la notification pro-
chaine de l’étude d’architecture
devrait permettre de créer vite un
groupement « arbeitsgemeins-
chaft », détenue à 33 % par chacune
des trois entreprises. Elle aura jus-
qu’à fin 2021 pour définir ce que
pourrait être le MGCS. Cette équipe
de projets sera basée à Koblenz sous
l’autorité du Baimww, l’équivalent
allemand de la Direction générale
de l’armement. Les gouvernements
visaient 2025 pour un premier
démonstrateur.n
lLes députés allemands ont validé le lancement
de l’étude d’architecture pour le projet de char du futur.
lIls exigent cependant de leur gouvernement un soutien
à la consolidation de leur industrie militaire terrestre,
qui semble peu compatible à long terme avec
le partenariat franco-allemand.
Feu vert sous condition au char
du futur franco-allemand
En attendant le lancement du char du futur, la ministre des Armées française, Florence Parly (à dr.),
et son homologue allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, ont signé en février l’accord de mise
en œuvre de l’avion du futur issu de la coopération entre les deux pays. Photo Charles Platiau/Reuters
Anne Feitz
@afeitz
ArcelorMittal s’adapte à son tour à
la crise sanitaire. Le géant de l’acier
a annoncé son intention de réduire
sa production d’acier plat en
Europe « afin que la santé de nos
salariés soit maintenue et la produc-
tion alignée sur la demande », a-t-il
indiqué. De source syndicale, des
lignes sont progressivement fer-
Anne Bauer
@annebauerbrux
D’un côté, l’avion du futur. De
l’autre, le char du futur. Tels sont les
deux grands projets de la coopéra-
tion franco-allemande lancée en
2017 par Angela Merkel et Emma-
nuel Macron dans la défense. Le
premier, dont le coût est estimé à
8 milliards d’euros, est enfin sur les
rails, avec une organisation indus-
trielle établie et la signature, le
20 février, des premiers crédits
d’études importants (150 millions
d’euros). Personne ne conteste la
nécessité de s’organiser pour con-
server en Europe une supériorité
aérienne. Le second, plus modeste,
de l’ordre du milliard en coûts de
développement, n’attend donc plus
ruines, traverser des murs, sans
perdre sa capacité de réaction
immédiate face à un tir de missile.
« Il faut une diversité d’outils entre
le segment médian que vont apporter
les véhicules Griffon et Jaguar, en
livraison dans le cadre du pro-
gramme Scorpion, et le segment de
combat de haute intensité avec les
Leclerc, insiste le général Sainte-
Claire Deville. Comme un chef d’or-
chestre, le combattant a besoin d’une
gamme complète d’instruments. »
« On ne va p as remplacer le
Leclerc ou le Leopard par un simple
mélange des deux chars en 2035. Un
des enjeux majeurs du MGCS porte
sur la robotisation du champ de
bataille. Les états-majors français et
allemands sont d’accord sur la néces-
sité de développer un système aussi
utile à l’est qu’au sud », poursuit-il.
Dans un premier temps, Nexter,
KMW et Rheinmetall vont donc
étudier notamment la communica-
tion, la détection et l’autonomisa-
tion, le but étant de converger sur
une architecture dans dix-
huit mois.n
nien du Donbass. En Israël, l’armée
utilise ses chars Merkava en combi-
naison avec de l’infanterie légère,
tandis que les Canadiens, les Néer-
landais ou les Danois avaient
engagé leurs chars dans les plaines
d’Afghanistan. Daech, même, a uti-
lisé des chars d’origine soviétique,
notamment à Mossoul.
« Dans un environnement où vous
ne pouvez imposer la supériorité
aérienne, le binôme char-infanterie
reste le socle du combat », rappelle le
général Sainte-Claire Deville. Mais
au sein des armées, le débat per-
dure : quand le colonel Michel
Goya avertit dans un entretien à
« Marianne » que le combattant de
demain sera « un type en jean et bas-
ket avec un AK-47 », Joseph Henro-
tin, rédacteur en chef du magazine
spécialisé « DSI », souligne que seul
le char aligne au combat une puis-
sance de feu en tir direct, sous pro-
tection et en mouvement. Les con-
flits ont aussi montré que le char, en
apparence lourd et peu maniable,
est un outil du combat urbain. Là, il
est le seul à pouvoir franchir des
trouver un équilibre entre puissance
de feu, mobilité et protection », expli-
que-t-il. « A cela, le projet franco-alle-
mand de char du futur ajoutera trois
technologies majeures : des commu-
nications efficaces (connectivité), des
capacités de détection jour-nuit ren-
forcées (capteurs, Big Data, intelli-
gence artificielle) et de l’automatisa-
tion (véhicules, drones auto-
nomes) », poursuit-il. C’est pour-
quoi, précise le général, « davantage
qu’un char, le projet porte sur un sys-
tème de combat terrestre, le Main
Ground Combat System (MGCS) ».
Divers conflits récents ont con-
firmé l’utilité militaire du char.
L’appui des chars Abrams a été
décisif dans le conflit russo-ukrai-
que la notification par les gouverne-
ments de son étude d’architecture.
Pourtant, des interrogations
subsistent sur l’utilité dans un
monde numérisé d’un char lourd.
De fait, la France, qui détient plus
de 200 chars Leclerc, n’en a engagé
aucun dans ses dernières opéra-
tions extérieures, ni au Sahel ni en
Irak. Tout juste envoie-t-elle quel-
ques exemplaires du Leclerc dans
les pays Baltes dans le cadre des
« mesures de réassurance » déci-
dées par l’Otan pour renforcer la
présence militaire face à la Russie.
Enfin, les chars Leclerc n’ont, à ce
jour, jamais officiellement tiré hors
exercice militaire pour la France.
Ce qui n’empêche pas les chars de
jouer un rôle important de dissua-
sion conventionnelle, explique aux
« Echos » le général Arnaud Sainte-
Claire Deville. Avant de rejoindre le
groupe Nexter en 2017, il comman-
dait les forces terrestres françaises
et dirigeait l’école de cavalerie.
« L’histoire militaire montre qu’il
faut un outil de supériorité tactique
en combat terrestre. Celui-ci doit
Pourquoi les armées auront encore besoin de chars dans vingt ans
Le général de corps d’armée
Sainte-Claire Deville,
directeur des relations
institutionnelles chez
Nexter, explique aux « Echos »
la nécessité du programme
franco-allemand.
Seul le char aligne au
combat une puissance
de feu en tir direct,
sous protection
et en mouvement.
mées en Pologne, en Italie et en
France. Objectif, réduire immédia-
tement de 15 % la charge des usines
en Europe, sans exclure des mesu-
res plus radicales en cas d’effondre-
ment de l’activité économique.
Le groupe contrôlé par la famille
Mittal est notamment confronté à
la chute de la production automo-
bile. De nombreux constructeurs,
mais aussi leurs sous-traitants, ont
déjà fermé leurs usines ou s’apprê-
tent à le faire. Dans d’autres sec-
teurs en revanche, la demande reste
intacte. Les industriels de l’embal-
lage, notamment, continuent à
avoir besoin d’acier pour fabriquer,
par exemple, des boîtes de con-
serve. « Nous devons continuer de
tourner, mais en nous adaptant », a
indiqué le groupe dans un flash
interne.
En France, ArcelorMittal a déjà
annoncé la mise sous cocon d’un
haut-fourneau et d’un convertis-
seur à Dunkerque (Nord), à comp-
ter du lundi 23 mars. De même à
Fos-sur-Mer (Bouches du Rhône), il
avait décidé de mettre à l’arrêt un
haut-fourneau, un convertisseur et
une coulée continue, ainsi que le
train à bandes et les activités aval, à
compter du jeudi 19 et « pour une
durée indéterminée ». Avant
d’annoncer en interne vendredi
l’arrêt progressif de toutes l es instal-
lations sur ce site.
Enfin, à Florange (Moselle), où
un cas de contamination a été
déclaré, la production est depuis
jeudi provisoirement suspendue, le
temps de désinfecter les installa-
tions. L’objectif était de redémarrer
dès lundi, avec les effectifs mini-
mums nécessaires à la continuité
de l’activité. Ce sera en réalité plutôt
en milieu ou fin de semaine. « La
santé et la sécurité d e nos salariés res-
tent notre priorité absolue », insiste
le groupe.
L’avenir de la cokerie de Florange
et de ses 250 salariés pourrait être
précipité par la crise. Cette installa-
tion brûle du charbon pour fabri-
quer du coke, qui alimente le site de
Dunkerque. Sa fermeture était pro-
grammée dans les d eux ans, mais l a
chute des besoins de Dunkerque va
conduire le groupe à « réévaluer » la
situation. « On ne peut pas fermer
provisoirement une cokerie », rap-
pelle le président de la CFE-CGC
sidérurgie, Xavier Le Coq.
Ambiance tendue
La situation s’est passablement ten-
due ces d erniers j ours e ntre la direc-
tion et les salariés. « L’ambiance
dans les CSE est électrique », témoi-
gne un syndicaliste. Inquiets sur
leurs conditions de travail, les sala-
riés r éclament des mesures de sécu-
rité que la direction peine à mettre
en place. Invoquant le manque de
masques ou l’impossibilité de res-
pecter les distances de sécurité, la
CGT du site de Fos-sur-Mer avait
déposé jeudi une procédure de dan-
ger grave et imminent.
« La situation est compliquée »,
souligne de son côté Xavier Le Coq,
pour qui « il faut absolument revoir
les organisations pour assurer la
sécurité des salariés ». En outre,
observe-t-il, « si l e groupe a rrête tota-
lement ses usines, d’autres vont pren-
dre sa place : les industriels alle-
mands ou italiens continuent eux de
produire! Fermer des sites, c ’est pren-
dre le risque de les condamner ».n
ArcelorMittal réduit la voilure en Europe
Le géant de l’acier a
annoncé la mise sous cocon
de plusieurs hauts-fourneaux
et lignes de production
européennes, notamment,
en France, à Dunkerque
et à Fos-sur-Mer.
- 1 5 %
D’ACIER PLAT
L’objectif de réduction
de production pour les usines
européennes d’ArcelorMittal.