Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

Les Echos Lundi 23 mars 2020 HIGH-TECH & MEDIAS// 25


Des films vont bientôt


sortir en e-cinéma


Véronique Richebois
@VRichebois


D’amont en aval, la chaîne d’appro-
visionnement du livre est à l’arrêt,
avec des imprimeries fermées, des
livraisons à l’arrêt, des ventes de
droits gelées, des Salons du livre
annulés ou reportés comme ceux
de Livre Paris, des librairies closes...
Et enfin, des reports de best-sellers
anticipés, tels que ceux de
Guillaume Musso, Joël Dicker, Ber-
nard Minier, Virginie Grimaldi...
qu’accompagne l’impossibilité


matérielle d’en imprimer et d’en
distribuer de nouveaux.
Immédiatement après l’annonce,
samedi 14 mars, de la fermeture de
tous les commerces n’étant pas de
« première nécessité », et lundi der-
nier, du confinement, les librairies
ont baissé le rideau, FNAC et Cultura
compris. Ne subsiste que les hyper-
marchés et les surfaces alimen-
taires, les sites d’occasion, les (rares)
points de vente de journaux et
livres... et Amazon.
Tout avait pourtant bien com-
mencé. En dépit d’un premier
semestre difficile et de l’impact des
grèves en décembre, les ventes de
livres au détail ont progressé en
2019 de 1,3 %, selon les chiffres de
« Livres Hebdo », une aubaine qui
ne s’était pas produite depuis 2015.
Et 2020 démarrait « avec une crois-
sance de 7 % des ventes de livres chez
les libraires indépendants, jusqu’à la
semaine du 17 février, qui a coïncidé

si celui-ci a annoncé faire désor-
mais passer au second plan le com-
merce des livres, pour privilégier la
livraison de produits alimentaires.
Il n’empêche. Même moins pré-
sent, le géant de l’e-commerce terri-
fie les plus petits. Mercredi, un
libraire indépendant, Frédéric
Siméon, confiait à « Marianne » :
« Si Amazon récupère notre chiffre
d’affaires en quelques semaines, ce
sera une catastrophe [...]. On s’attend
à un trou de 50.000 ou 60.000 euros
en fonction de la durée du confine-
ment et personne n’est p réparé à faire
face à un tel manque à gagner. »
Interrogé sur ces propos sur
France Inter jeudi matin, le minis-
tre de l’Economie s’est dit prêt à
« ouvrir une réflexion avec le minis-
tère de la Culture pour savoir si quel-
que chose peut être fait sur les librai-
ries ». Avant d’ajouter : « Je ne vois
pas pourquoi ce serait uniquement
Amazon qui pourrait récupérer le

marché, au risque de fragiliser les
librairies », soulignant qu’à ses yeux
« les librairies sont un commerce de
première nécessité. »

Interdire la vente de livres
à Amazon
Mais prudente, sa déclaration a
embarrassé le secteur. Et le SNL a
exigé, via un communiqué, que « les
conditions strictes imposées par le
gouvernement, dont la limitation
maximale des contacts, s’imposent
également aux opérateurs qui conti-
nuent, comme si de rien n’était, de
vendre et de livrer des produits défi-
nis comme “non indispensables”
dans la période actuelle. »
Pour l’heure, les éditeurs s’orga-
nisent. Déjà, un plan d’urgence doté
d’une première enveloppe de 5 mil-
lions d’euros, a été mis en place par
le Centre national du livre (CNL)
pour la filière du livre, afin de
répondre aux difficultés immédia-

tes des éditeurs, des auteurs et des
libraires.
Enfin, les éditeurs eux-mêmes
s’organisent. « Nous avons réagi très
vite en faisant la promotion de nos
livres sur le numérique, i ndi-
que Muriel Beyer, directrice des
Editions de L’Observatoire
(Humensis). Tous les livres prévus
pour avril-mai ont été déplacés soit
en septembre, comme “La Longévité
heureuse” de Luc Ferry, soit en octo-
bre-novembre, soit en 2021. Au
mieux, je prévois de sortir des livres
au dernier office de mai. »
Même type de prévision
pour Vincent Monadé, président de
Média Participations : « Si l’on par-
vient à redémarrer en mai, nous
aurons réalisé un chiffre d’affaires
nul pendant les semaines de confine-
ment, mais sur une période tradi-
tionnellement “maigre”. L ’important
va être de savoir rebondir au second
semestre, primordial. »n

Quand le marché de l’édition doit affronter de plein fouet la pandémie


Alors que les chiffres
de ventes redémarraient,
le secteur du livre est
violemment freiné dans
son élan. La chaîne d’appro-
visionnement est bloquée
et les éditeurs tablent,
au mieux, sur un redémar-
rage entre mai et juin.


le titulaire des droits d’exploita-
tion, à savoir le distributeur et/ou
le producteur, le demande. L’ins-
truction de chaque demande, qui
se fera « au cas par cas », sera
menée en « pleine concertation »
avec les représentants de la filière,
précise le CNC. « Le public doit
pouvoir accéder aux films, mais il
nous faut également assurer les
équilibres fondamentaux qui per-
mettent de financer la création à
moyen et long terme, ainsi que la
reprise d e l’activité au moment de la
réouverture des salles », a indiqué
Dominique Boutonnat.

Un faible nombre de films
Si la mesure est importante pour
la profession, elle n’aura toute-
fois qu’une portée limitée. Une
soixantaine de films (comme
« De Gaulle », « Un Fils » ou « La
Bonne Epouse ») seraient poten-
tiellement concernés par ce chan-
gement. « Mais il n’y aura pas plu-
sieurs dizaines de demandes »,
estime un professionnel. Quant
aux films dont la sortie était pré-
vue dans les prochaines semai-
nes, ils seront fortement incités à
passer par la case VOD, en jouant
sur le mécanisme des aides au
cinéma. En effet, lorsqu’un film ne
sort pas en salle, le CNC peut récla-
mer la restitution des aides dont il
a pu bénéficier.
L’institution vient de lancer une
concertation avec la filière du
cinéma et de l’audiovisuel pour
mettre en place des dispositions
particulières afin que des films
sortant directement en VOD à
l’acte ou DVD/Blu-ray ne rem-
boursent pas ces aides. « L’objectif
est de maintenir une forme de chro-
nologie des médias, sans sortie en
salle, et ainsi de préserver la chaîne
de valeur, avant que les films
n’aillent sur les chaînes payantes,
les chaînes gratuites et la SVoD
[vidéo à la demande par abonne-
ment] », dit un spécialiste.n

Marina Alcaraz
@marina_alcaraz
et Sébastien Dumoulin
@sebastiendmln

Les films actuellement coincés
dans les cinémas fermés devraient
pouvoir sortir bientôt en vidéo à la
demande à l’acte ou en DVD. C’est,
en tout cas, l’une des mesures pré-
vues par le projet de loi d’urgence
destiné à faire face à l’épidémie de
Covid-19, adopté par l’Assemblée
nationale ce week-end.
Ce projet de loi introduit en effet
une disposition permettant que le
Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC) puisse
modifier la fenêtre de sortie pour
les films qui faisaient l’objet d’une
exploitation en salle au 14 mars.
Alors que les cinémas ont été fer-
més à cause de l’épidémie, mi-
mars, la chronologie du cinéma
va donc être fortement bousculée,
de manière temporaire.

« Des réponses
exceptionnelles »
« A période exceptionnelle, il nous
faut apporter des réponses excep-
tionnelles », a déclaré Dominique
Boutonnat, le président du CNC,
dans un communiqué, qui avait
réclamé cette mesure. Habituelle-
ment, un film qui fait l’objet d’une
sortie en salle de cinéma ne peut
être exploité sous forme de VOD à
l’acte ou de DVD/Blu-ray qu’après
un délai de quatre mois à compter
de la date de cette sortie (ou de
trois mois sur dérogation).
De fait, avec la nouvelle loi, le
CNC pourrait donc permettre une
sortie en e-cinéma tout de suite si

La loi d’urgence sur
le Covid-19 prévoit que les
films qui étaient en salle de
cinéma au moment de leur
fermeture puissent sortir
en vidéo à la demande
à l’acte ou en DVD.

Des aménagements
pour les opérateurs télécoms

Le projet de loi d’urgence veut faciliter la vie
des opérateurs. Il prévoit de les dispenser
temporairement des déclarations préalables et autres
délais consultatifs avant travaux. « L’idée est de faire
en sorte de réduire les délais d’intervention,
pour réparer ou ajouter des antennes en urgence.
Le trafic a doublé en deux jours, ce n’est pas neutre »,
explique le sénateur Patrick Chaize. « Il faut que
les opérateurs puissent accéder facilement aux parties
communes des immeubles et aux toits-terrasses sans les
délais administratifs habituels, liés notamment au Code
de l’urbanisme, ajoute le député Eric Bothorel. En
revanche, nous n’avons pas souhaité ajouter de mesures
particulières concernant l’utilisation des données
des opérateurs télécoms. En l’absence de tests médicaux
généralisés, cela ne servirait à rien. Et les risques
de dérapage sont réels. Derrière, c’est “Black Mirror”. »

avec le début des inquiétudes », indi-
que Guillaume Husson, directeur
délégué du Syndicat de la librairie
française (SLF).
Avec la fermeture des librairies,
puis la décision de confinement, la
paralysie a gagné le monde du livre.
Avec un ennemi clairement dési-
gné : le géant Amazon, qui capte
désormais 22,2 % des ventes. Même

« On s’attend à
un trou de 50.000
à 60.000 euros
et personne n’est
préparé à faire
face à un tel
manque à gagner. »
FRÉDÉRIC SIMÉON
Libraire

Titulaire jusqu’au 20 décembre
prochain d’une autorisation de dif-
fusion via la TNT pour sa chaîne
premium et pour ses versions thé-
matiques (Canal+ Sport, Canal
Cinéma) jusqu’en 2025, Canal+ va
devoir prendre une décision dans
les semaines qui viennent – ou les
mois qui viennent, si le calendrier
devait être décalé en raison de la
crise sanitaire –, car le CSA a lancé
un appel d’offres pour l’attribution
de cette fréquence.

Risque de cession
à un groupe étranger
Si l’appel à candidatures a été visi-
blement taillé sur mesure pour que
Canal+ soit seul à concourir, il n’est
pas certain que le champion fran-
çais de la télévision à péage soit
volontaire pour un renouvellement.
Certes, la fréquence TNT lui permet
de toucher un p eu moins d’un demi-
million de Français qui ne captent
pas la chaîne via une box télécoms
ou le satellite. E t sa convention n égo-
ciée en tant que diffuseur via la TNT
lui confère aussi certains avantages
liés à la chronologie des médias,
comme le droit de d iffuser à la télévi-
sion un f ilm de cinéma s orti e n salles
seulement six ou huit mois plus tôt.

A l’inverse, la diffusion TNT
génère autour d’une vingtaine de
millions de coûts de diffusion et
techniques. Ses obligations d’inves-
tissements dans le cinéma ont aussi
un coût. Enfin, être titulaire d’une
fréquence TNT interdit toute prise
de contrôle majoritaire de Canal+
par un groupe extra-européen. Sans
fréquence TNT qui fait office de
« poison pill », Vincent Bolloré, pre-
mier actionnaire de Vivendi, pour-
rait ainsi céder un jour à un géant
américain cet actif. Si un tel plan
n’est pas actuellement à l’étude, il
s’agit d’une option qui pourrait être
étudiée par cet actionnaire qui
alterne entre les stratégies indus-
trielles ou financières.
Si Canal+ n’a pas encore pris de
décision, c’est d’abord qu’à l’heure
où sa base d’abonnés est fragilisée
en France, couper le signal pour des
centaines de milliers de personnes
représente un risque économique.
Même si la réception par TNT, qui a
été pratiquement divisée par deux
depuis 2012, ne représente plus que
2 % de ses abonnés dans le monde et
6 % en France (contre environ 30 %
pour le satellite et un peu plus de
60 % via l es box télécoms), cette acti-
vité génère encore des revenus.

Le groupe, qui a déjà assuré des
migrations de sa base d’abonnés
dans le passé au gré des évolutions
technologiques (fin de TPS, fin de
l’analogique), peut bien sûr faire des
offres vers la réception par satellite
ou Internet. Mais une partie des
clients pourrait s’évaporer.
En coulisses, Canal+ a entamé
une négociation avec le CSA. Pour
être candidat, le groupe audiovisuel
exige au préalable qu’on lui accorde
une baisse de son taux de TVA, passé
au cours des dernières années de 5 à
10 % alors que celui de France Télévi-
sions reculait, lui, de 5,5 à 2,10 %. Une
telle baisse de la TVA pourrait géné-
rer plus de 100 millions d’euros
d’économies pour Canal+.
La balle est toutefois plus dans le
camp de Bercy que du CSA sur ce
point. Pas sûr que le ministère des
Finances accepte de tirer un trait sur
des recettes. Pas sûr, non plus, q ue le
ministère de la Culture accepte de
faire baisser le taux de Canal alors
que les services de vidéo par strea-
ming comme Netflix sont taxés à
20 %. Au moment où la France veut
imposer à ces services de nouvelles
obligations, le risque est grand
qu’eux aussi demandent une baisse
de leur taux de TVA en échange.n

David Barroux
@DavidBarroux


Canal+ pourrait renoncer à être
diffusée via la TNT d’ici la fin de
l’année. Si aucune décision défini-
tive n’a encore été prise, la filiale
audiovisuelle de Vivendi s’interroge
sur l’intérêt de poursuivre ce mode
de diffusion qui lui permet certes
de toucher un maximum de Fran-
çais, mais qui génère aussi des coûts
et entraîne des obligations.


AUDIOVISUEL


La première chaîne
payante française
demande une baisse
de la TVA pour rester
sur la diffusion
hertzienne.


Elle pourrait se
contenter du satellite
et des box télécoms,
ce qui lui ferait faire
des économies mais
risquerait d’engendrer
une perte de clients.


Canal+ pourrait renoncer


à la TNT


Le CSA ayant lancé un appel d’offres pour l’attribution de sa fréquence, Canal+ doit prendre une décision dans les semaines qui viennent.


Martin Bureau/AFP
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