Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

Les Echos Lundi 23 mars 2020 EVENEMENT// 03


Alain Ruello
@AlainRuello
et Renaud Honoré
@r_honore
avec Leila de Comarmond
@leiladeco


Récompenser tous les salariés du
privé qui, f aute de pouvoir travailler
chez eux, acceptent, en cette
période de pandémie de coronavi-
rus, de gagner leur entreprise sou-
vent la peur au ventre? Oui, répon-
dent en chœur gouvernement et
patronat, avec l’onction présiden-
tielle. Pour ce qui est d’arrêter la
forme de cette prime et donc de
savoir qui doit la verser, c’est une
autre question, qui divise les deux
camps.
Du côté des trois organisations
patronales, on demande une exo-
nération des charges salariales
pour les intéressés. « Le temps de la
crise pour que leur salaire aug-
mente », défend Alain Griset, le pré-
sident de l’U2P, qui regroupe arti-
sans, commerçants de proximité et
professions libérales. « C’est une
piste, mais il faut évidemment que
cela passe au niveau des finances
publiques. E n tout cas, les entreprises
ne pourront pas financer une
prime », souligne Geoffroy Roux de
Bézieux.


Bercy prône
la prime Macron...
Cette idée patronale est pour le
moment a ccueillie fraîchement p ar
le gouvernement. « Il faut que cha-
cun fasse preuve de mesure dans ce
qu’il demande. Les instruments sont
dé jà sur la table ; aux entreprises de
s’en saisir », explique-t-on à Bercy.
Avec un plan d’aides évalué à
45 milliards d’euros et un déficit
dont personne ne sait jusqu’à quel
point il va se creuser, l’exécutif
estime avoir mis en œuvre des
moyens colossaux. Surtout, il pré-
fère attendre de juger des effets du
premier train de mesures, encore
en débat au Parlement, avant
d’ouvrir à nouveau la boîte à outils.
C’est la raison pour laquelle
Bruno Le Maire p ousse les e ntrepri-
ses à recourir au dispositif de la


Medef, U2P et CPME
demandent une exonéra-
tion de charges salariales
pour ceux qui vont sur leur
lieu de travail le temps de la
crise. Bercy renvoie à la
« prime Macron » sans
charges, dont les conditions
de versement vont être
assouplies pour les TPE.


Système D


LA
CHRONIQUE
Docteur
Véronique
Hentgen

Propos recueillis par
Elsa Freyssenet
@ElsaFreyssenet

« Ces derniers jours, nous a vons
vidé l’hôpital de tous les
patients – à part ceux, intransfé-
rables, de cancérologie et
d’hématologie – pour faire de la
place aux personnes Covid+.
Jeudi a été une journée vrai-
ment c alme q ui contrastait avec
l’agitation de la préparation.
Cela a basculé dans la nuit de
jeudi à vendredi avec une arri-
vée massive de patients à hospi-
taliser ou à transférer directe-
ment en réanimation.
Nous venons de créer une
deuxième unité de “réa” dans
les salles d’anesthésie et les
blocs opératoires, ce qui nous
fait 40 lits au total. Nous gar-
dons les cas les plus graves et
nous dispatchons les autres sur
les établissements publics et
privés du département.

Surblouses inadaptées
Toutes nos réserves en person-
nel sont déjà mobilisées et sui-
vent des formations accélérées
au coronavirus. Et nous avons
un besoin faramineux de maté-
riel qui n’arrive pas! D epuis ven-
dredi, nous n’avons plus de sur-
blouses médicales. Nous en
avons acheté en catastrophe là
où nous pouvions, mais celles
que nous avons trouvées ne
nous protègent pas du Covid-19 :
elles n’ont pas d’élastique et ne
ferment pas aux poignets. Au-
dessus des g ants, l a peau des soi-
gnants est à l’air, ce qui accroît le
risque de contamination.

Nous appelons donc aux
dons des entreprises de l’agroa-
limentaire et des peintres en
bâtiment pour récupérer des
blouses opérationnelles. C’est
pareil pour les masques. On fait
du système D car l’Etat n’assure
pas sa mission. J’ai travaillé à
Madagascar lors de l’épidémie
de choléra : nous manquions
aussi de matériel, mais c’était un
pays en voie de développement.
Je suis en colère! On nous
envoie au front sans armes. En
ce moment, sept à dix s oignants
de l’hôpital sont contaminés
chaque jour. Ceux qui ne déve-
loppent pas de forme grave pas-
sent u ne semaine c hez eux, p uis
ils reviennent travailler.
Nous allons essayer de tout
faire pour que cette épidémie
tue le moins possible, mais
après, il y aura des comptes à
rendre. L’erreur, c’était la tarifi-
cation à l’acte, lorsqu’on a exigé
des hôpitaux qu’ils soient renta-
bles. Du coup, on a fait la chasse
aux stocks et aux réserves de
personnel. En termes de santé
publique, c’était aberrant. Mais
personne ne nous a écoutés,
alors qu’on le répète depuis dix
ans. O n le paie maintenant. Pour
nous tous, les soignants, il y aura
un avant et un après-coronavi-
rus. On n’oubliera pas et j’espère
que les responsables politiques
n’oublieront pas non plus! »n

Chaque jour un soignant
témoigne. Le docteur
Véronique Hentgen est
infectiologue et pédiatre
dans un hôpital qui
se consacre désormais
entièrement à la lutte
contre le coronavirus.

« On nous envoie au
front sans armes. »

Une employée de l’usine Valmy, à Mably dans la Loire, emballe un masque de protection. Le fabricant
a accru ses capacités de production face à l’afflux de la demande. Photo Philippe Desmazes/AFP

prime Macron. Instaurée en pleine
crise des « gilets jaunes », elle est
exonérée de charges et d’impôt jus-
qu’à 1.000 euros et versée aux sala-
riés gagnant moins de trois fois le
SMIC. Elle a été reconduite cette
année, mais son versement est con-
ditionné à la signature d’un accord
d’intéressement avant le 30 juin.
« J’invite toutes les fédérations,
toutes les grandes entreprises qui ont
un accord d’intéressement, notam-
ment dans l es secteurs vitaux comme
l’agroalimentaire ou la grande distri-
bution, à verser cette prime de
1.000 euros totalement défiscalisée à
leurs salariés », a déclaré vendredi,
sur LCI, le ministre d e l’Economie et
des Finances.

... TPE et PME
n’en veulent pas
Le hic, c’est que du côté des petites
entreprises, la condition prime
Macron-accord d’intéressement ne
passe toujours pas. « Trop risqué,
trop compliqué », martèle Alain Gri-
set. « Il n’y aura pas ou très peu d e pri-
mes volontaires, les sociétés n’auront
pas la trésorerie », abonde Geoffroy
Roux de Bézieux, pour qui la prio-
rité ce n’est pas l’argent mais de ras-
surer les salariés. Message entendu
par le gouvernement. Il a fait adop-
ter samedi par l’Assemblée natio-
nale un amendement à son projet de
loi d’urgence repoussant l’échéance
du 30 juin (à une date non encore
fixée) et supprimant l’obligation
d’en passer par un accord d’intéres-
sement dans les TPE.
Reste que pour verser une
récompense aux salariés, encore
faut-il qu’il reste des employeurs,
rappelle Alain Griset. « Je suis inca-
pable de prédire dans quel état on
sera dans quinze j ours avec le prolon-
gement du confinement et l’augmen-
tation du nombre de décès », dit-il,
pointant du doigt le risque, qui
donne des sueurs froides au sein de
l’exécutif, d’un arrêt beaucoup plus
prononcé de l’activité.n

La façon de récompenser les salariés qui vont


travailler divise patronat et gouvernement


« Il n’y aura pas
ou très peu
de primes
volontaires,
les sociétés
n’auront pas
la trésorerie. »
GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX
Patron du Medef

Enrique Moreira
@EnriqueMoreira

Les employés de la grande distribu-
tion sont en première ligne face au
coronavirus. Auchan, l’un des
géants français du secteur, le recon-
naît et tient à récompenser ses sala-
riés français. Il « versera une prime de
1.000 euros à 65.000 collaborateurs »,
a-t-il annoncé dans un communi-
qué publié dimanche. Cette prime

forfaitaire concerne « l’ensemble des
collaborateurs des magasins, entre-
pôts, drives, services de livraison à
domicile et site d’e-commerce » du
groupe en France. « Comme l’a sug-
géré le ministre de l’Economie, Bruno
Le Maire, cette prime sera versée dans
le cadre de l’accord d’intéressement de
l’entreprise », précise Auchan.
Patronat et gouvernement sont
en effet d’accord p our récompenser
les salariés qui ne peuvent pas tra-
vailler chez eux en cette période de
confinement. Bercy, de son côté,
pousse depuis vendredi les entre-
prises à avoir recours à la prime
Macron, exonérée de charges et
d’impôts jusqu’à 1.000 euros et ver-
sée aux salariés gagnant moins de
trois fois le SMIC.
Cette prime, créée à la suite de la
crise des « gilets jaunes », a été
reconduite en 2020, mais unique-
ment pour les entreprises ayant
conclu un accord d’intéressement
avec leurs salariés. C’est le cas,
d’Auchan (la condition va sauter
pour les TPE dans le cadre de la loi
d’urgence).

Un geste dénoncé par la CGT du
commerce, pour qui « agiter la
prime de 1.000 euros pour encoura-
ger les salariés à travailler, qui plus
est dans des conditions dangereuses,
relève du mépris le plus total pour
la vie humaine ». L e syndicat
déplore, par ailleurs, un premier
décès dû au coronavirus dans le
secteur.

Initiatives solidaires
En annonçant le versement de cette
gratification, le groupe de Lille
« met quand même un peu la pres-
sion » sur les autres enseignes dont
les employés sont également à
l’œuvre, estime dans un tweet le
consultant Oliver Dauvers. Et ce,
« même si ça n’en était pas le but »,
précise-t-il.
Le distributeur, dont le chiffre
d’affaires s’est érodé de 1,4 % au glo-
bal en 2019, à 45,8 milliards d’euros,
et de 2 % dans l’Hexagone, va verser
selon un rapide calcul pas moins de
65 millions d’euros. « Le groupe
Auchan doit connaître comme toutes
les entreprises de France de grosses

difficultés, évidemment, et ils o nt fait le
choix de considérer que la richesse de
leur entreprise, c’était leurs collabora-
teurs », a salué le ministre de l’Action
et des Comptes publics, Gérald Dar-
manin, dimanche matin sur
Europe 1 , invitant « les entreprises q ui
le peuvent » à en faire de même.
Le groupe de près de 329.700 col-
laborateurs assure pour sa part que
sa « priorité est bien sûr de veiller à la
sécurité et à la santé de [ses] équipes
comme de [ses] clients ». « Des mesu-
res de protection sont déjà en place
dans l’ensemble de nos magasins »,
ajoute Edgard Bonte, le président
d’Auchan Retail cité dans le com-
muniqué.
Le géant de la distribution n’en
est pas à sa première initiative soli-
daire pour lutter contre l e coronavi-
rus. Auchan a déjà livré environ
100.000 masques FFP2 aux hôpi-
taux de la métropole lilloise. Cette
réserve, constituée lors de l’épidé-
mie de grippe H1N1, avait été retrou-
vée dans les entrepôts du groupe.
Elle a également permis d’équiper
le personnel.n

Auchan va verser une prime de 1.000 euros à 65.000 employés


Le géant de la distribution
a annoncé son intention de
verser une prime forfaitaire
à ses équipes d’Auchan
et Chronodrive. Le groupe
entend « saluer leur
exceptionnel engagement
dans la crise sanitaire ».
La prime sera remise
« dans le cadre de l’accord
d’intéressement
de l’entreprise ».


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