Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

06 // EVENEMENT Lundi 23 mars 2020 Les Echos


En fin de semaine, à l’Assemblée, Bruno Le Maire a demandé aux entreprises de ne pas céder
« au chacun pour soi ». Photo Ludovic Marin/AFP

très vite, après le début de la
crise, demandé la suppression
du jour de carence qui avait été
rétabli en 2018 pour les agents
des fonctions publiques d’Etat,
hospitalière et territoriale. Cette
décision « était très attendue,
notamment dans la fonction
publique hospitalière », souligne
Olivier Dussopt.
Le refus du gouvernement, la
semaine dernière, de reprendre
un amendement au projet de loi
de finances rectificative déposé
par des députés socialistes et
visant à suspendre ce jour de
carence en cas de contamination
au Covid-19 avait fait monter la
pression. La Coordination des
employeurs publics territoriaux
s’était dite « indignée » par ce
refus, jugé « totalement incompré-
hensible ». « La position du gouver-
nement est dogmatique et inappro-
priée v u le contexte actuel »,
appuyait Johan Theuret, président
de l’Association des DRH des gran-
des collectivités.

« Sagesse »
Vendredi, on s’orientait plutôt vers
la suppression du jour de carence
pour les seuls soignants atteints
par le coronavirus, sous la pres-
sion de Gérald Darmanin, le
ministre de l’A ction et des Comp-
tes publics, alors qu’Olivier Dus-
sopt plaidait pour une suspension
générale. Edouard Philippe a fina-
lement tranché en faveur de la
seconde solution.
« Le gouvernement et le Premier
ministre se sont enfin rangés à la
sagesse... Merci pour tous les
agents publics qui y voient une
reconnaissance de leur engage-
ment », s’est félicité samedi Phi-
lippe Laurent, le porte-parole de
la Coordination des employeurs
publics territoriaux, tandis que
Johan Theuret y voyait « un vrai
signal aux fonctionnaires qui se
mobilisent de façon exemplaire
pour assurer la continuité des ser-
vices publics vitaux ».n

Isabelle Ficek
@IsabelleFicek,
Laurent Thévenin
@laurentthevenin
et L. de C.

Virage à 180 degrés. Le Premier
ministre a annoncé, samedi à
l’Assemblée nationale, la suppres-
sion temporaire de tout jour de
carence avant indemnisation
journalière p ar l’Assurance-mala-
die. La mesure a été adoptée via
un amendement gouvernemen-
tal au projet de loi d’urgence pour
faire face à l’épidémie de Covid-19.
« Pour la seule période de l’urgence
sanitaire, je crois important de sus-
pendre le dispositif des jours de
carence, dans le privé comme dans
la fonction publique », a déclaré
Edouard Philippe. « C’était le cas
pour les périodes de confinement –
quarantaine, garde d’enfants ou
précaution médicale – dans le privé
[...] et dans le public [...]. Nous l’élar-
gissons à tous les arrêts maladie,
quel que soit le motif, pendant la
durée de l’état d’urgence sani-
taire », explique aux « Echos » le
secrétaire d’Etat à la Fonction
publique, Olivier Dussopt.

Polémique dans le public
Jusque-là, le gouvernement cam-
pait sur un refus de modifier,
même temporairement, l es
règles en cas d’arrêt maladie soit,
dans le privé, trois jours de
carence pour une bonne partie
des salariés (pris en charge par
leur employeur) et dans le public
un jour (pour lequel aucune com-
pensation n’était autorisée).
C’est du côté du public que la
polémique était montée. Les syn-
dicats de fonctionnaires avaient

Les salariés du privé
et les fonctionnaires
malades seront indemni-
sés dès le premier jour
d’arrêt maladie pour
la « période de l’urgence
sanitaire ».

Suppression temporaire


des jours de carence


maladie


délais de paiement entre entreprises
ne doivent pas augmenter ». Le
ministre de l’Economie et des
Finances a aussi demandé à la
Direction générale de la concur-
rence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF)
de veiller au respect de ces règles.
« Ne cédons pas au chacun pour soi »,
a-t-il demandé aux entreprises.

Les PME « manquent
de fonds propres »
Le médiateur des entreprises, Pierre
Pelouzet, qui est en première ligne
sur ce sujet, « appelle l es entreprises à
un sursaut de solidarité nationale »
et souhaite que « les entreprises ne
créent pas de problèmes économi-
ques à leurs fournisseurs ». Sur le
même ton, le patron du Medef,
Geoffroy Roux de Bézieux, est bien
conscient du problème. Il a envoyé
une lettre à tous les adhérents de
l’organisation patronale, dans
laquelle il demande « solennelle-
ment aux entreprises d’adopter une
ligne de conduite solidaire ».
Pour le numéro un du Medef,
« les délais de paiement doivent être
assouplis le plus possible et les péna-
lités de retard suspendues, afin que
ceux qui sont en manque de trésore-
rie puissent bénéficier dku soutien de
ceux qui en ont. » Selon un respon-
sable patronal, « on essaie d’abord
d’intervenir p our l aver le linge s ale en
famille ; si ça ne suffit pas, on passera
à l’étage au-dessus. »
Denis Le Bossé, président du
cabinet ARC spécialisé dans le
recouvrement de créances, s’attend
à un besoin très important de cash

des PME pour gérer leur trésorerie.
Pour lui, « il faudrait graver dans la
loi l’obligation pour les clients de
payer leurs fournisseurs à 30 jours.
Cela permettrait de réinjecter 26 mil-
liards d’euros de cash dans les tréso-
reries d es PME », estime-t-il. L a crise
dévoile aussi, selon lui, une fai-
blesse des PME françaises : « Elles
manquent de fonds propres. » Leur
fragilité n’en est donc que plus
grande. D’où l’urgence à raccourcir
le plus possible les délais de paie-
ment afin de sauvegarder le tissu
productif du pays.n

lEn pleine crise du coronavirus, plusieurs grands


groupes tentent de se constituer un matelas de liquidités


et allongent pour cela les délais de paiement.


lFragilisés, leurs fournisseurs en souffrent.


lBercy et la Banque de France s’en inquiètent.


Bercy sonne l’alarme sur les délais


de paiement entre entreprises


Guillaume de Calignon
@gcalignon
avec Leïla de Comarmond
@leiladeco


Et si, en pleine é pidémie de corona-
virus, l’économie risquait de souf-
frir de thrombose? Ce n’est pas
encore, à proprement parler, le cas,
mais Bercy et la Banque de France
s’en inquiètent. Des entreprises ont
de plus en plus de mal à se faire
payer par d’autres entreprises qui
sont leurs clients. En quelque sorte,
pour poursuivre dans la méta-
phore médicale, le sang risque de
ne plus circuler correctement, le
cash restant bloqué, gardé par cer-
tains par souci de sécurité ou par
peur de l’avenir.
« Quelques entreprises ne com-
prennent pas ce qu’est la solidarité
nationale », se plaint un haut fonc-
tionnaire à Bercy. « Plusieurs multi-
nationales cherchent à se constituer
un matelas de liquidités, alors
qu’elles n’en ont pas besoin, elles ont
accès au crédit bancaire », pour-
suit-il. Selon François Asselin, le
patron de la CPME, « dans certains
groupes et administrations, toute la
chaîne administrative est partie au
soleil ou en télétravail en interrom-
pant la chaîne de décisions et donc la
validation des paiements. »
En clair, les fournisseurs ne sont
pas payés. Des PME risquent donc
de souffrir sur le plan financier à
cause du mauvais traitement de
groupes plus importants. Ce qui


ENTREPRISES


LE GRAND ENTRERIEN EUROPE 1 - CNEWS - « LES ÉCHOS »//


place par le gouvernement. Le
ministre a rappelé que l’Etat avait
débloqué en urgence 45 milliards
d’euros d’aides, dont 35 milliards
correspondent à des reports de
paiement d’impôts et de charges
sociales. Ces facilités doivent aller
« vers c eux qui en ont l e plus besoin »,
a-t-il mis en garde, invoquant « la
solidarité nationale ».
« Toute entreprise qui peut payer
ses salaires et ses fournisseurs doit le
faire. [...] Il ne doit pas y avoir de passa-
ger clandestin. » Au sujet d’une mobi-
lisation des congés payés pendant la

Hauts-de-France, Xavier Bertrand.
« Ce ne serait pas totalement raison-
nable, a répondu le ministre. Si nous
ne faisons pas attention pendant la
“guerre” aux finances publiques,
nous pouvons faire face à des difficul-
tés importantes après. » A ce propos,
celui qui tient les finances de l’Etat
français a laissé entendre que la pré-
vision de déficit à 3,9 % pour 2020,
actualisée cette semaine par le gou-
vernement, serait probablement
dépassée. « Tout dépendra de la lon-
gueur des difficultés », a-t-il déclaré,
estimant que la priorité pour l’ins-
tant est d’ordre sanitaire.

Pas de polémiques
Quant à une éventuelle prolonga-
tion du confinement, le ministre a
renvoyé à la décision du comité
scientifique attendue lundi. Inter-
rogé sur le manque de civisme de
certains Français, Gérald Darma-
nin a estimé que « l’heure n’est pas
aux leçons de morale ». « Les gens ne
sont pas égaux face au confine-
ment », a-t-il relevé, évoquant la
situation de ceux qui vivent nom-
breux dans un petit appartement.
Interpellé sur le manque de mas-
ques e t sur « l’amateurisme »
dénoncé par Marine Le Pen, le
ministre a renvoyé ces polémiques
« à l’après-guerre ». « La polémique
n’a pas lieu lorsque la nation est en
danger », a-t-il répété.n

période de confinement, Gérald
Darmanin estime que « tout le
monde doit pouvoir faire un effort ».
Le ministre s’est montré scepti-
que face à la possibilité pour les sala-
riés d’exercer leur droit de retrait,
dans le cas où ils sont potentielle-
ment confrontés à un risque grave
et imminent p our leur santé. Gérald
Darmanin a salué la décision du
groupe Auchan de verser une prime
de 1.000 euros à ses employés expo-
sés, mais a exclu que l’Etat puisse
financer de telles primes, comme l’a
suggéré le président de la région

Ingrid Feuerstein
@In_Feuerstein


Comment éviter l’e ffondrement
économique, après la crise sani-
taire? Gérald Darmanin, invité du
« Grand Rendez-vous » Europe 1



  • CNews - « Les Echos », était attendu
    sur cette question dimanche. Le
    ministre de l’Action et des Comptes
    publics, qui a répondu exception-
    nellement depuis son bureau à
    Bercy, s’est dit compréhensif face
    aux inquiétudes des Français.
    Alors que la panne économique
    menace, il a toutefois invité ceux
    qui le p euvent à reprendre le travail.
    « Aujourd’hui, si on peut mettre en
    place le télétravail et les conditions
    sanitaires permettant de travailler, il
    faut pouvoir reprendre le travail le
    plus possible », a-t-il déclaré, en
    réaction à la passe d’armes qui a
    opposé le BTP et le gouvernement
    la semaine dernière. De même pour
    les aides fiscales et s ociales mises en


Gérald Darmanin était
l’invité dimanche du
« Grand Rendez-vous »
Europe 1 - CNews -
« Les Echos ». Pour
le ministre de l’Action
et des Comptes publics,
les aides fiscales et sociales
doivent aller « vers ceux
qui en ont le plus besoin ».


« Toute entreprise qui peut payer ses salaires


et ses fournisseurs doit le faire »


Gérald Darmanin a laissé entendre que la prévision de déficit à 3,9 %
pour 2020 serait probablement dépassée. Photo Ludovic Marin/AFP

pourrait entraîner potentiellement
des faillites en cascade. Le crédit
interentreprises représente un
enjeu de 700 milliards d’euros. Le
Printemps ou encore Vinci sont
pointés d u doigt, s elon nos i nforma-
tions. Dans certains secteurs
comme la grande distribution, met-
tre la pression sur les fournisseurs,
établir avec eux u n rapport de force,
est une stratégie. Le problème, c’est
qu’en ce moment, beaucoup d’entre
eux sont fragilisés.

Il est encore trop tôt pour évaluer
l’importance de ces situations.
D’autant que, d’autres, comme le
groupe Jouve ou Iliad, ont indiqué,
eux, qu’ils paieraient en avance,
François Asselin citant, lui, l’exem-
ple du Centre des musées natio-
naux, qui a pris soin de ne pas rom-
pre la chaîne des paiements. Il
existe donc des entreprises et des
administrations vertueuses dans
ces moments difficiles.
En fin de semaine, à l’Assemblée,
Bruno Le Maire a déclaré que « les

Le patron du Medef,
a envoyé une lettre
à tous les adhérents
de l’organisation
patronale, dans
laquelle il demande
« solennellement aux
entreprises d’adopter
une ligne de conduite
solidaire ».
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