Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

Les Echos Lundi 23 mars 2020 EVENEMENT// 07


Le président du Conseil européen, Charles Michel, et les chefs d’Etat et de gouvernement tiendront
une vidéoconférence, jeudi, pour la troisième fois depuis le début de la crise liée au coronavirus.

partenaires, Angela Merkel en prio-
rité, de franchir une nouvelle étape
témoignant de la solidarité budgé-
taire et financière de la zone. « Si
c’est le chacun pour soi [...], si on dit à
l’Italie “d ébrouillez-vous tout seuls”,
l’Europe ne s’en relèvera pas », a
insisté vendredi sur LCI Bruno Le
Maire, le ministre des Finances. La
BCE n’ayant pas vocation à acheter
éternellement de la dette italienne,
« un plan européen de mobilisation
donnerait un signal de solidarité
utile », explique Xavier Ragot, prési-
dent de l’OFCE.
Paris et la Commission euro-
péenne poussent dès lors à créer
des « eurobonds ». « Nous exami-
nons tout. Tout ce qui est utile dans
cette crise sera utilisé », a affirmé
vendredi Ursula von der Leyen, pré-
sidente de l’exécutif européen,
questionnée sur cette piste. Une
telle émission conjointe de dettes
spéciales pour la zone euro consti-

tuerait un fort signal politique pour
une Europe qui a jusqu’ici brillé par
la désunion, font valoir ses parti-
sans. « Il faut montrer que les institu-
tions sont prêtes à faire tout ce qu’il
faut quelle que soit l’évolution de la
situation », insiste-t-on à Paris.

Pas de coupable,
que des victimes
Une instance comme le Mécanisme
européen de stabilité ( MES), créé en
2012 l ors d e la crise de la dette, p our-
rait servir d’intermédiaire financier
pour émettre la dette commune.
L’Italie bénéficierait ainsi
d’emprunts bon marché grâce au
crédit financier de ses partenaires.
Vendredi, son Premier ministre,
Giuseppe Conte, a exhorté l’UE à
utiliser « toute la puissance » du
MES. Une autre option sur la table
est d’utiliser directement les res-
sources de ce fonds de secours de
l’euro, doté de centaines de mil-
liards d’euros, pour octroyer des
prêts de précaution aux pays les
plus frappés par la pandémie. On
évoque aussi la création d’un nou-
vel instrument de financement
rapide, sur le modèle de celui du
Fonds monétaire international
(FMI). Klaus Regling, le président
du MES, explore depuis la semaine
dernière différentes options.
C’est un test fort de solidarité
pour l’Europe. Lors de la crise de la
dette, l’Allemagne et les pays du
Nord s’étaient longtemps opposés à
devoir « payer » pour les Etats du

sud du continent, a ccusés de
laxisme budgétaire. La situation
n’est toutefois pas vraiment compa-
rable : « Ici, la cause de la crise e st exo-
gène et frappe ou va frapper tous les
pays sans distinction », explique-
t-on à Paris. C hacun a intérêt à aider
les autres pour une guérison rapide
et commence à le comprendre. En
témoigne le retour à plus de solida-
rité entre Etats dans la gestion sani-

taire de la crise. A la BCE, les g ouver-
neurs allemands et néerlandais ont
validé sans sourciller le plan de
750 milliards d’euros.
Signe que Bruxelles semble prête
à dépasser toutes ces habituelles
lignes rouges, Ursula von der Leyen
a proposé vendredi soir la suspen-
sion d u Pacte de stabilité, et avec elle,
des règles de discipline budgétaire
imposées aux dix-neuf Etats qui

partagent l’euro. Ils pourront lutter
contre la récession sans plus avoir à
respecter les limites de 3 % du PIB de
déficit et de 60 % du PIB de dette. Du
jamais-vu. Même au plus fort des
crises de 2008 et de 2012, la mesure
n’avait jamais été évoquée.

(


Lire l’éditorial
de Lucie Robequain
Page 16

lLa Commission européenne a proposé vendredi


la suspension des règles de discipline budgétaire


imposées aux Etats qui partagent l’euro.


lLa France demande encore plus de solidarité


via l’émission d’obligations européennes.


L’ Europe ouvre


grand les vannes


budgétaires


Catherine Chatignoux
@chatignoux
et Derek Perrotte
@DerekPerrotte
—Bureau de Bruxelles


Jusqu’où et comment riposter éco-
nomiquement à une crise unanime-
ment jugée inédite par sa nature et
son ampleur? La question sera au
cœur de la semaine européenne,
avec en point d’orgue une nouvelle
vidéoconférence des leaders des
Vingt-Sept, jeudi. Première riposte
continentale, le programme de la
BCE de rachat supplémentaire de
750 milliards de titres doit soulager
les Etats et les taux d’intérêt, apaiser
les marchés et surmonter le choc
immédiat.
Les Etats membres multiplient
leurs dépenses de soutien, sans
désormais quasi plus compter, avec
une dernière salve de l’Allemagne,
qui se prépare à adopter un budget
spécial d’au moins 150 milliards
d’euros. Mais, pour indispensables
qu’elles soient à court terme, ces
dépenses en cascade risquent de faire
resurgir ensuite la question de la sou-
tenabilité de la dette des Etats de la
zone euro. L’Italie, en particulier, est à
la fois le pays le plus durement frappé
par la pandémie et le deuxième plus
endetté (130 % du PIB) de la zone.
Depuis une semaine, Emmanuel
Macron essaie de convaincre ses


EUROPE


ses dès la semaine dernière. La pre-
mière salve allège les règles de pas-
sage au travail partiel avec effet
rétroactif dès le 1er mars. L’agence
nationale de l’emploi peut désor-
mais rembourser intégralement les
cotisations de sécurité sociale des
employeurs lors de la mise au chô-
mage partiel, contre 60 % actuelle-
ment. Ceci vaut dès que 10 % des
effectifs sont touchés contre un tiers
auparavant. Selon la presse alle-
mande, le coût du dispositif est éva-
lué à 10 milliards d’euros pour 2 mil-
lions de personnes.
A titre de comparaison, l’Etat
avait déboursé plus de 20 milliards
lors de la crise de 2009. Dans un
deuxième tir, l’Etat apporte une
garantie illimitée pour des prêts aux
entreprises via la banque publique
de développement, le KfW. Le gou-
vernement prépare en outre un
fonds d’urgence de 1 milliard d’euros
pour aider les PME à payer, par
exemple, leur loyer, a indiqué le
ministre d es Finances, Olaf S cholz. Il
devrait aussi assouplir certaines exi-
gences de fonds propres des ban-
ques. La troisième salve devait partir
jeudi après-midi, avec la création
d’un « fonds de solidarité » d’au
moins 40 millions d’euros pour
aider quelque 2,5 millions d’indé-
pendants et de micro-entrepre-
neurs. Le gouvernement devrait
lever, dès ce lundi, les verrous de
l’endettement pour financer ces
aides, annonce la presse allemande.


  • EN ITALIE : LES LICENCIE-
    MENTS INTERDITS
    PENDANT 60 JOURS


Le gouvernement italien a adopté le
11 mars un décret d’urgence pour
soutenir les entreprises et les ména-
ges en difficulté. Un plan d’aides
d’une valeur de 25 milliards d’euros
qui fera exploser la limite de 3 % du
PIB du déficit public prévue par le
Pacte de stabilité. Parmi les mesures
envisagées, la couverture de tous les
salariés contraints d’êtres placés en
chômage partiel à cause d’un arrêt
de la production. Quelle que soit la
taille de leur entreprise et le montant
des salaires. La Cassa Integrazione
Garantita versera au salarié 80 % de
son salaire pendant au moins les
neuf prochaines semaines et les
licenciements sont interdits au
cours des soixante prochains jours.
Les travailleurs autonomes, sai-
sonniers et les ouvriers agricoles
percevront une indemnité de
600 euros au mois de mars. Conf-
industria approuve le décret gouver-
nemental même si elle estime qu’il
pourrait être a mélioré. Elle
demande qu’il s’accompagne vite
d’un « plan choc » pour garantir la
liquidité des entreprises et faire front
à la chute de la consommation des
ménages. « Il faudra reconstruire
l’économie à la suite d’un événement
qui peut être comparé à une guerre »
affirme le patronat italien.


  • EN ESPAGNE : ACTIVER
    LA MISE EN ACTIVITÉ
    PARTIELLE EN 5 JOURS
    « Eviter qu’une crise temporaire ait
    un impact permanent sur l’emploi. »
    C’est l’axe central du plan de Pedro
    Sánchez pour amortir l’impact de
    la c rise pour les entreprises c omme


pour les salariés. Le gouvernement
a publié mercredi un décret de
mesures exceptionnelles flexibili-
sant le recours à l’activité partielle
afin d’éviter une avalanche de
licenciements. Les n ouvelles d ispo-
sitions accélèrent la procédure
pour pouvoir activer le mécanisme
en 5 jours. Elles prévoient que les
plans de suspension temporaire
d’emploi (ERTEs) liés au coronavi-
rus sont considérés comme « cas de
force majeure », ce qui ouvre le
bénéfice d’un régime spécial. En
cas de réduction du temps de tra-
vail, l’entreprise paie la partie de
salaire correspondante au temps
travaillé, tandis que le service
public de l’emploi prend en charge
la part restante qui est indemnisée
à hauteur de 70 %, avec un plafond
à 1.098,09 euros pour l es personnes
sans enfant.
Les cotisations sociales patrona-
les sont prises en charge par les
caisses publiques à 100 % dans le
cas de petites structures – tra-
vailleur indépendant avec
employés ou bien PME – alors que
la c ouverture est de 7 5 % dans le cas
d’entreprises de 50 salariés et plus.
Cette couverture chômage est
ouverte à tous les salariés, y com-
pris ceux qui n’ont pas cotisé suffi-
samment pour pouvoir en bénéfi-
cier normalement.
Les entreprises se sont ruées pour
activer la procédure dès publication
du décret, et le ministre du Travail
signale avoir reçu 400 à 500 deman-
des dans les premières heures. Les
syndicats calculent qu’au moins un
million de salariés pourraient béné-

ficier du mécanisme dans les pro-
chains jours.


  • EN SUÈDE : LES SALARIÉS
    GARDERONT PLUS
    DE 90 % DE LEUR SALAIRE
    Le 16 mars, le gouvernement rose-
    vert a annoncé un plan de crise
    pour « amortir les conséquences éco-
    nomiques » de l’épidémie qui a déjà
    fait 10 morts dans ce pays de 10 mil-
    lions d’habitants. Au total, ce sont
    jusqu’à 300 milliards de couronnes
    (27 milliards d’euros) que l’Etat est
    prêt à débloquer. Pour préserver
    l’emploi autant que possible, alors
    que le chômage avait déjà aug-
    menté avant la crise (à 6,8 %), les
    entreprises qui devront réduire le
    temps de travail de leurs salariés
    verront l’Etat prendre en charge
    jusqu’à 75 % du coût induit (contre
    50 % avant). Les salariés, eux, gar-
    deront plus de 90 % de leur salaire,
    même en cas d’un temps de travail
    diminué de 40 %.
    Des économistes ont trouvé la
    mesure trop timorée. Tel Lars Cal-
    mfors, professeur d’économie
    internationale à l’université de Stoc-
    kholm : « Pour beaucoup d’entrepri-
    ses cela ne suffira pas à éviter l es p réa-
    vis de licenciement. L’Etat devrait
    prendre presque tout ce coût à sa
    charge. Le pays a de bonnes finances
    publiques, il pourrait se le permet-
    tre. » Les entreprises peuvent aussi
    bénéficier d’un report d’un an du
    paiement de trois mois de charges
    et d’impôts. Quant à la Banque cen-
    trale, elle prêtera jusqu’à 45 mil-
    liards d’e uros aux entreprises (au
    taux actuel de 0 %).

    • EN POLOGNE :
      L’ ÉTAT PREND EN CHARGE
      UNE PARTIE DES SALAIRES
      Le gouvernement polonais a
      annoncé mercredi un programme
      national d’environ 47 milliards
      d’euros, soit 9 % du PIB du pays, pour
      soutenir une économie assommée
      par les restrictions de circulation
      mises en place par le gouverne-
      ment. Ce « bouclier anti-crise » ainsi
      que l’ont présenté lors d’une confé-
      rence de presse commune le prési-
      dent, Andrzej Duda, et le Premier
      ministre, Mateusz Morawiecki, pré-
      voit un volet consacré à la sauvegarde
      des emplois et des entreprises. Les
      mesures, qui doivent encore être pré-
      cisées dans la loi détaillant le disposi-
      tif, reposent sur le même principe
      qu’ailleurs en Europe : une prise en
      charge partielle des salaires des
      employés pour éviter la mise en
      faillite des entreprises en difficulté,
      des aides directes pour des personnes
      travaillant à leur propre compte et
      l’étalement des paiements des char-
      ges sociales et fiscales. « Tous les
      domaines de l’économie qui ont besoin
      d’un soutien urgent dans ces circons-
      tances extraordinaires semblent avoir
      été couverts, selon Monika Kurtek,
      économiste en chef à la Bank Pocz-
      towy. La question reste de savoir à
      quelle vitesse les solutions seront mises
      en œuvre et d’où les fonds seront obte-
      nus. » La crise liée au coronavirus
      pourrait réduire le PIB de la Pologne
      de 3,6 % cette année, ce qui serait la
      plus grave récession depuis le début
      des années 1990, selon Morgan Stan-
      ley. —N. S. à Berlin, C. T. à Madrid,
      O. T. à Rome et A. J.




Pour éviter les faillites, les Etats prennent en charge le chômage partiel


C. C.
— avec nos correspondants en Europe


De Paris à Varsovie et de Rome à
Madrid, le mot d’ordre est le même :
empêcher que le coup d’arrêt brutal
donné à l’économie par les mesures
de restrictions liées à la pandémie se
transforme en une violente dépres-
sion. La plupart des compagnies
aériennes ont suspendu leurs vols,
les fabricants d’automobiles fermé
leurs chaînes de production en
Europe, les commerces sont fermés,
les consommateurs confinés...
Les gouvernements européens
ont mis sur la table des dizaines de
milliards pour conjurer la débâcle
économique. Misant sur une crise
violente mais de courte durée, ils
prévoient tous de soutenir massive-
ment les entreprises qui ont dû ces-
ser leur activité du jour au lende-
main, en prenant à leur charge le
paiement du chômage temporaire
de millions de salariés. Un coût
colossal qui ne pourra pas s’étendre
au-delà de quelques semaines.



  • EN ALLEMAGNE,
    LES CHARGES REMBOURSÉES
    DÈS 10 % DES EFFECTIFS
    EN TEMPS PARTIEL
    Le g ouvernement a sorti son
    « bazooka » à « plusieurs milliards
    d’euros » pour soutenir les entrepri-


Face au risque de faillites
massives, les gouverne-
ments de l’Union
européenne ont décidé
de financer très largement
le chômage partiel.


« Si c’est le chacun
pour soi, [...]
si on dit à l’Italie
“débrouillez-vokus
tout seuls”,
l’Europe ne
s’en relèvera pas. »
BRUNO LE MAIRE
Ministre des Finances

Anadolu Agency
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