Les Echos - 23.03.2020

(Tina Sui) #1

Les Echos Lundi 23 mars 2020 EVENEMENT// 09


pour le régime communiste – est
passé de 5,2 % en décembre à 6,2 %
en janvier et février, également à un
record. Et ce, sans même tenir
compte des centaines de millions de
travailleurs migrants empêchés de
revenir dans les villes reprendre leur
travail. Dans ces circonstances, tous
les économistes ont drastiquement
abaissé leur prévision de croissance
pour la Chine, anticipant une forte
contraction au premier trimestre.

L’activité redémarre
Pékin aussi se prépare à revoir ses
objectifs de croissance. S elon
l’agence Reuters, le gouvernement
chinois pourrait réduire l’objectif de
croissance à 5 % cette année, contre
une prévision à 6 % fixée (mais non
publiée) en décembre. Mais cette
prévision est déjà jugée peu crédible.
« Les officiels sont toujours dans le
déni concernant la croissance et
l’ampleur des mesures de relance »,
note Julian Evans-Pritchard, de
Capital Economics, qui table sur une
contraction de –16 % au premier tri-
mestre et de –3 % en 2020. « Soit ils
vont truquer les chiffres à un niveau
sans précédent, soit ils nient l’étendue
des dommages et leur durée », pour-
suit-il. Bien que l’activité ait redé-
marré en Chine, elle n’est toujours
pas revenue à des niveaux normaux.
De nombreuses entreprises sont au
bord de la faillite dans les services
faute de demande, et les perspecti-
ves des industries exportatrices
s’assombrissent à mesure que l’épi-
démie se répand dans le monde.n

données officielles, n’a pas les
mêmes moyens qu’en 2008 et veut
croire que la reprise économique est
proche. « Les indicateurs économi-
ques montreront probablement une
amélioration significative au
deuxième trimestre et l’économie chi-
noise reviendra au niveau de produc-
tion potentielle assez rapidement », a
déclaré le vice-gouverneur de la
Banque populaire de Chine, Chen
Yulu, lors d’une conférence de
presse dimanche. Et de se tourner
vers les institutions multilatérales
(FMI, G20 etc.) pour coordonner les
efforts mondiaux.
L’économie chinoise a pourtant
été durement affectée. Pékin ne le
cache pas. La production indus-
trielle s’est contractée de 13,5 % en
janvier et février, pour la première
fois en trois décennies. Les ventes au
détail ont, elles, plongé de plus de
20 % et les investissements de
24,5 %. Pendant ce temps, le taux de
chômage urbain – un critère clé

La Chine fait le choix d’une relance ciblée


Frédéric Schaeffer
@fr_schaeffer
—Correspondant à Pékin


Pas de mesures « bazooka » pour la
Chine. Ou en tout cas pas mainte-
nant. Alors que la deuxième écono-
mie de la planète a subi, en février,
un choc sans précédent et devrait se
contracter au premier trimestre
pour la première fois depuis la fin de
la Révolution culturelle, Pékin fait le
choix de mesures budgétaires et
monétaires graduelles et ciblées
pour soutenir les entreprises.
Vendredi dernier, la Banque cen-
trale chinoise (PBOC) a surpris les
marchés en maintenant inchangé
son principal taux directeur,
anéantissant les espoirs de voir la
Chine se joindre à la baisse des taux
de la Banque centrale européenne
(BCE) et de la Fed américaine. Elle
envoie ainsi clairement le message
que Pékin ne se précipitera pas
pour suivre les appels internatio-
naux en faveur d’efforts de relance
massifs et immédiats.
La Chine, où l’épidémie de coro-
navirus ne progresse plus, selon les


Alors que la deuxième
économie de la planète
a subi, en février, un choc
sans précédent et devrait
se contracter au premier
trimestre pour la première
fois depuis la fin de la
Révolution culturelle,
Pékin refuse de prendre
des mesures « bazooka ».


contracter de 4 % au deuxième tri-
mestre, et l’économie de la zone e uro
reculer de 2,2 % sur l’ensemble de


  1. Cette baisse, relativement
    modeste pour l’année, se base sur
    « un rebond rapide au second semes-
    tre », dès que les mesures de distan-
    ciation sociale s’assoupliront, que les


dépenses reprendront, et que les
effets des mesures de relance moné-
taire et budgétaire se feront sentir.
« Au regard des performances de
l’économie chinoise, nous prévoyons
désormais une forte contraction de
5 % du PIB de la zone euro en 2020 »,
avance, de son côté, l’équipe de

recherche de Morgan Stanley. Quid
de la Chine, d’où est partie l’épidé-
mie? Pour la Deutsche Bank, « la
baisse sans précédent de l’activité en
janvier-février » devrait mener à une
chute du PIB du premier trimestre
de 5 % en glissement annuel (–9 %
entre deux trimestres). Les mesures

de distanciation sociale ont entraîné
un effondrement de 43 % des recet-
tes des restaurants au cours de ces
deux mois, une chute de 37 % des
ventes de voitures et un recul d’envi-
ron 13 % pour tout le reste. Un
rebond est attendu au deuxième tri-
mestre, à + 0,7 % en glissement

Les scénarios noirs d’une profonde récession


l La récession mondiale est quasi assurée, selon la plupart des économistes.


lReste à savoir si l’économie ne va pas plonger dans une dépression comparable à celle des années 1930.


lLa course contre la montre a commencé.


Richard Hiault
@RHIAULT


Tous l’admettent. Une sévère réces-
sion va frapper l’économie mon-
diale. Son ampleur risque d’être iné-
dite depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Reste à en déter-
miner l’ampleur. Exercice difficile,
tant la situation évolue de jour en
jour. Cette dernière semaine, la pré-
sidente de la Banque centrale euro-
péenne (BCE), Christine Lagarde,
n’était guère optimiste. Chaque mois
de confinement devrait réduire la
croissance européenne de 2,1 p oints.
Selon la durée des blocages, elle
pourrait donc amputer l’économie
européenne de 5 points de crois-
sance, voire pire.
Le ton est bien plus grave q ue celui
de la Commission européenne, pour
qui l’impact direct de la crise, tous
canaux confondus, réduirait la
croissance de 2,5 points cette année.
« Elle pourrait tomber en dessous de –
1 % avec un rebond substantiel, mais
pas complet en 2021 », juge-t-elle.


Les économistes unanimes
Les économistes privés sont tout
aussi alarmistes. La Deutsche Bank
prévoit une baisse du PIB réel au
deuxième trimestre de 24 % (taux
annualisé ajusté des variations sai-
sonnières) dans la zone euro, dont
28 % en Allemagne. Pour l’année
entière, le PIB de la zone euro recule-
rait de 2,9 % (– 3,3 % pour l’Allema-
gne). Pour Goldman Sachs, « la zone
euro sera en récession au premier
semestre, avec une contraction du PIB
réel de 1 % au premier trimestre et de
3 % au deuxième trimestre ». Pour
l’année 2020, le PIB reculerait de
1,7 %. L’Italie paierait un lourd tribut
avec une chute de 3,4 %. L’Allema-
gne est créditée de – 1,9 %, et la
France de – 0,9 %. Chez Oxford Eco-
nomics, Angel Talavera, responsa-
ble de la recherche Europe, estime
que le PIB de la zone euro devrait se


INTERNATIONAL


annuel (+7,4 % d’un trimestre à
l’autre). Côté américain, la Deutsche
Bank s’attend à ce que l’activité con-
naisse « la plus forte contraction de
l’après-guerre mondiale », la banque
misant sur un plongeon d’environ
13 % en rythme annualisé du PIB au
deuxième trimestre. Lors de la crise
de 2008, le PIB s’était contracté de
seulement 8,4 % (rythme annualisé)
au quatrième trimestre 2008. Le
précédent record – le plongeon de
10 % au premier trimestre de 1958 –
devrait être battu, souligne la ban-
que. Les économistes de JPMorgan
Chase, quant à eux, créditent les
Etats-Unis d’une baisse de 2 % du PIB
au premier trimestre et de 3 % au
deuxième.
D’une manière générale, la majo-
rité des prévisions joue la carte d’une
conjoncture en V avec un fort trou
d’air au premier ou au second tri-
mestre et un rebond dès la fin de la
crise. Reste que la situation est loin
d’être stabilisée. Ces prévisions ne
seront peut-être plus d’actualité
dans les prochaines semaines. C’est
la première fois, depuis les années
1930, que nous faisons face à « une
calamité mondiale » d’une telle
ampleur, a déclaré sur Bloomberg
TV Scott Minerd, directeur général
des investissements de Guggen-
heim. Pour lui, le risque n’est rien de
moins que d’assister à l’émergence
d’une nouvelle dépression
mondiale.n

« La zone euro sera
en récession au
premier semestre,
avec une
contraction du PIB
réel de 1 % au
premier trimestre
et de 3 % au
deuxième. »
GOLDMAN SACHS

Olivier Tosseri
@OlivierTosseri
—Correspondant à Rome

« Nous allons ralentir le moteur
productif du pays mais nous
n’allons pas l’arrêter. » Trait tiré et
voix grave, Giuseppe Conte s’est
adressé dans la nuit de samedi à
dimanche aux Italiens dans un
discours à une nation encore plus
confinée. « La décision adoptée par

le gouvernement est de fermer à tra-
vers le territoire toute activité pro-
ductive qui n’est pas strictement
nécessaire, cruciale, indispensable
pour garantir les biens et les servi-
ces », a-t-il déclaré. Seules les épi-
ceries et les pharmacies resteront
ouvertes.

La Lombardie martyrisée
En décrétant le 9 mars dernier
l’interdiction de tout rassemble-
ment et la stricte limitation des
déplacements, Giuseppe Conte
espérait garantir le maintien,
même réduit, de l’appareil produc-
tif italien. C’est ce que lui enjoignait
de faire le patronat redoutant la
disparation de nombreuses entre-
prises et l’impossibilité de faire face
à l’inéluctable récession. Mais les
grèves à travers tout le pays pour
réclamer des mesures de sécurité
sanitaire pour les travailleurs et
surtout l’aggravation des bilans ont
convaincu le gouvernement.
Samedi a été une nouvelle jour-
née noire, celle d’un nouveau
record de victimes battu. 793 victi-
mes en 24 heures. Près de 5.
morts depuis le début de l’épidé-
mie il y a tout juste un mois. Le pré-
sident du Conseil s’est résolu à ren-
forcer la quarantaine. Elle ne
s’achèvera ni le 25 mars prochain,
ni le 3 avril. Certains placent l’hypo-
thétique date de son terme à la fin
avril ou début mai. C’est encore
trop tôt pour le dire. Le pic de l’épi-

démie espéré pour la semaine pro-
chaine arrivera plus tard. En atten-
dant les hôpitaux du nord du pays
sont déjà sur le point de céder. La
Lombardie fait figure de région
martyre avec 64 % des victimes et
des services de thérapies intensi-
ves saturées. Tout comme les mor-
gues de Brescia et de Bergame,
dont les cercueils sont évacués par
l’armée pour être incinérés dans
d’autres villes. Plus de 200 maires
ont adressé une missive au prési-
dent du Conseil pour lui demander
de « fermer tout, vraiment » pour
contenir l’expansion du nombre de
contagions. Ils ont été écoutés.
Pas assez, selon le président de la
Lombardie, Attilio Fontana. Dès ce
dimanche et jusqu’au 15 avril au
moins, il a décrété l’arrêt des chan-
tiers de construction et des activi-
tés artisanales sans lien avec les
filières essentielles tout comme
l’interdiction de faire du sport en
extérieur, même seul. Les marchés
hebdomadaires découverts seront
fermés et des restrictions d’heures
et de jours d’ouverture imposées
aux supermarchés. Etre plus de 3
personnes sera, en outre, consi-
déré comme un rassemblement et
passible d’une amende de
5.000 euros. « Nous savons que
nous demandons d’importants
sacrifices. Mais ils sont indispensa-
bles si nous voulons battre ce corona-
virus », a indiqué le ministre de la
Santé, Roberto Speranza.n

L’ Italie arrête toute activité


productive non essentielle


Face à un bilan de victimes
qui ne cesse d’empirer
et à la pression des maires
et des présidents des
régions du nord du pays,
les plus frappées par
l’épidémie, Giuseppe Conte
durcit la quarantaine.

« Nous savons que
nous demandons
d’importants
sacrifices.
Mais ils sont
indispensables
si nous voulons
battre
ce coronavirus. »
ROBERTO SPERANZA
Ministre de la Santé

« Les officiels
sont toujours dans
le déni concernant
la croissance
et l’ampleur
des mesures
de relance. »
JULIAN EVANS-PRITCHARD
Capital Economics
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