Le Monde - 18.03.2020

(Nancy Kaufman) #1
ACTUALITÉ
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 18 MARS 2020 | 3

La mission ExoMars reportée à 2022


ESPACE - Des problèmes de parachutes, d’avaries électriques et de logiciels ont contraint
les équipes du programme russo-européen à attendre une prochaine fenêtre de tir

C


e fut, de l’aveu même de
Jan Wörner, « une décision
très difficile ». Mais le direc­
teur de l’Agence spatiale euro­
péenne (ESA), en accord avec Dmi­
tri Rogozine, son homologue
russe, l’a prise et annoncée offi­
ciellement jeudi 12 mars : la mis­
sion ExoMars, destinée à déposer
sur la Planète rouge un atterris­
seur russe et un rover européen a
été repoussée de deux ans. Elle
devait à l’origine décoller cet été
et faire partie de la rafale des
quatre missions spatiales – les
trois autres étant l’américaine
Mars 2020, la chinoise Huoxing­1
et Hope des Emirats arabes unis –
profitant de la fenêtre de tir de
2020 vers Mars. Etant donné que,
pour des raisons d’alignement pla­
nétaire, cette fenêtre ne s’ouvre
que tous les vingt­six mois, Exo­
Mars devra désormais attendre la
suivante et quittera la Terre entre
août et octobre 2022.
Contrairement à la litanie ac­
tuelle de reports et d’annulations
en tout genre, cette décision n’a
que très peu de rapport avec la
pandémie de Covid­19. Problè­
mes techniques et retards dans la
phase préparatoire en consti­
tuent les causes principales.
Trois points ont été mis en
avant. Le premier concerne le mo­
dule de descente : « Quatre équipe­
ments ont montré des problèmes
électriques pendant les tests et au
moins un doit être retourné au fa­
bricant, explique François Spoto,
chef du programme ExoMars à
l’ESA. Ce ne sont pas des dispositifs
d’une très grande complexité,
mais ils remplissent des tâches
importantes comme commander
l’ouverture des parachutes ou les
vannes des rétrofusées », qui frei­
nent l’atterrisseur juste avant
qu’il ne se pose. « On ne peut pas
faire de compromis avec ces systè­
mes­là », ajoute François Spoto.
Connu depuis longtemps, le
deuxième problème est celui des
parachutes censés ralentir l’atter­
risseur après son entrée dans l’at­
mosphère martienne. Des tests
réalisés en 2019 avaient mis en
évidence des brûlures et des dé­
chirures lors de l’extraction des­
dits parachutes. Après un change­
ment dans le design des sacs qui
les contiennent, des premiers es­
sais effectués au sol en décembre
ont obtenu de bons résultats.

Ceux­ci devaient être confirmés
en février et mars par des tests à
haute altitude depuis des ballons­
sondes. Toutefois le calendrier a
dérivé car la société américaine
qui doit les réaliser a donné la
priorité aux essais de la capsule
spatiale Starliner de Boeing. Les
tests des parachutes d’ExoMars
ont donc été reprogrammés
pour la fin mars­début avril mais
la décision annoncée le 11 mars
par Donald Trump d’interdire
l’entrée des Européens sur le sol
américain pour trente jours com­
plique les choses...

« Prudence et circonspection »
Le troisième et dernier point fai­
ble concerne le logiciel de bord de
la mission. Si l’ESA avait décidé de
décoller cet été, « toutes les valida­
tions n’auraient pas pu être faites
avant le départ, explique François
Spoto. Il aurait certes été possible
de télécharger la dernière version
du logiciel pendant la phase du
voyage vers Mars, mais ç’aurait
quand même été prendre un ris­
que ». La prudence l’a donc em­
porté, d’autant plus que l’ESA a

par le passé déjà subi deux revers
martiens cuisants : en 2003 avec
l’échec de la mission Beagle­2 et
en 2016 lorsque le démonstrateur
Schiaparelli s’est écrasé à l’atter­
rissage. « ExoMars est un pro­
gramme­phare européen à 2 mil­
liards d’euros, rappelle François
Spoto, et nous voulons absolu­
ment que ce soit un succès.
Comme Mars est un domaine où
l’ESA a une expérience limitée, il
faut paver notre chemin avec pru­
dence et circonspection. »
Si l’Agence spatiale européenne
a « gagné » deux ans avec ce
énième report – au tout début du
projet, le décollage était prévu
pour 2009 –, pas question pour
autant de prendre son temps.
« Plus tôt le satellite sera prêt,
mieux ce sera », affirme avec force
François Spoto. Lequel pointe le
territoire inconnu qui s’ouvre de­
vant lui, celui du stockage des
engins pendant deux ans, qui n’a
jamais été étudié dans le détail :
« Il faut que ce soit fait dans un
environnement ultra­propre afin
d’éviter toute pollution du labora­
toire du rover. »

Ce dernier ayant pour objectif
de chercher des traces de vie pas­
sée sur Mars, il ne doit pas empor­
ter avec lui de matière organique
terrestre qui fausserait les mesu­
res une fois sur place. D’où l’idée
d’assurer, sur son lieu de stoc­
kage, une ventilation perma­
nente avec un gaz propre, et sans
doute aussi de chauffer le labora­
toire avant son départ, afin de le
stériliser. « Il faudra aussi activer
régulièrement le rover pour en
faire tourner les mécanismes et
vérifier la bonne répartition des
lubrifiants qu’ils contiennent »,
ajoute François Spoto.
Tout en reconnaissant que la
déception était immense au sein
d’équipes qui ont travaillé en
continu depuis des mois pour te­
nir un décollage à l’été 2020, Jan
Wörner a assuré, non sans philoso­
phie, qu’en 2022, « nous aurons le
même lanceur, le même site d’atter­
rissage, la même planète et la
même mission ». Effectivement, en
ces temps de profonde incertitude,
il est rassurant de savoir que, dans
deux ans, Mars sera toujours là...
pierre barthélémy

Installation du système de caméra panoramique sur le rover Rosalind Franklin
de la mission ExoMars, en août 2019. MAX ALEXANDER/AIRBUS

Le secret de la bombe à eau percé


PHYSIQUE - Après une modélisation réussie de l’objet, des chercheurs envisagent ses applications


P


arfois une expérience ne
marche pas et compren­
dre pourquoi donne lieu à
une belle publication scientifi­
que dans une revue. En guise
d’expérience, une petite équipe
de l’université de Princeton (New
Jersey, Etats­Unis) cherchait à
faire exploser des... bombes à
eau. Sans y parvenir dans un
premier temps, comme elle
l’explique dans Nature Physics
du 16 mars.
Etienne Jambon­Puillet, à l’ori­
gine du projet et qui avait déjà
étudié l’impact de gouttes sur des
surfaces, s’est demandé ce qu’il en
est de liquides encapsulés dans
des coques élastiques, autrement
dit des bombes à eau, ce jouet qui
éclabousse les passants. « Il y avait
peu d’articles sur ce sujet alors que
cette situation de fluide enfermé
dans une membrane est très fré­
quente, que l’on pense aux outres
antiques ou à nos cellules biologi­

ques », rapporte Pierre­Thomas
Brun, le responsable de l’équipe.
Les chercheurs ont commencé
par fabriquer des coques polymè­
res de différentes tailles, jusqu’à
5 centimètres de diamètre, et de
300 micromètres d’épaisseur.
Puis ils les ont lâchées d’une
certaine hauteur sur le sol, avant
de construire un canon pour aug­
menter les vitesses d’impact
jusqu’à 100 km/h. Mais rien, pas
d’explosion! « Une vraie sur­
prise », témoigne Etienne Jam­
bon­Puillet. La sphère touche le
sol, s’étale sur la surface et rebon­
dit, comme le détaillent des ima­
ges prises en caméra rapide.
Les nombreux essais montrent
que le rayon d’étalement peut
atteindre trois fois le rayon initial.
L’énergie cinétique est dissipée en
énergie élastique, ce qui déforme
la membrane. « Ce qui est joli dans
cet article, c’est l’analogie qu’ils font
entre les gouttes et les capsules. A la

fin tout est clair et le modèle mar­
che », estime Christophe Josse­
rand, directeur de recherche au
CNRS à l’Ecole polytechnique. La
tension de surface qui maintient
les gouttes sphériques est en effet
remplacée par l’élasticité de la
membrane et les équations qui
fonctionnent dans le premier cas,
s’adaptent au second.

Limiter les effets des LBD
Cette réussite de modélisation et
cet « échec » expérimental con­
duisent néanmoins l’équipe à la
solution. Une bombe à eau ex­
plose car le contenant élastique
est plus rempli que son volume
initial. La membrane est donc
déjà tendue avant l’impact et ce
dernier finit en quelque sorte le
travail jusqu’à la rupture. Avec
cette fois de vrais jouets de farces
et attrapes achetés dans le com­
merce, les chercheurs valident
leur idée et éclaboussent enfin le

laboratoire. « Nous savons main­
tenant contrôler quand une cap­
sule enfermant du liquide peut
éclater ou non à l’impact, souli­
gne Pierre­Thomas Brun. Cela
donne des idées d’applications ».
Et de rêver d’envoyer des boulets
d’eau pour éteindre les incen­
dies, plutôt que des largages en
altitude comme aujourd’hui. Ou
bien des bombes à eau plus sim­
ples à manipuler que des extinc­
teurs. Ou encore de limiter les ef­
fets des projectiles, comme ceux
des lanceurs de balles de défense
(LBD), en faisant en sorte qu’ils
éclatent à vitesse plus faible,
pour limiter les chocs.
« C’est l’esprit de notre labora­
toire : étudier des curiosités anodi­
nes par un travail sérieux et qui
peuvent avoir des débouchés »,
résume le chercheur, qui est en
train de déposer un brevet sur
d’autres applications.
david larousserie

P H Y S I Q U E
Des feuilles artificielles
qui ne givrent pas
Lutter contre le givre est parfois vital,
comme en aéronautique où les surfaces
glacées peuvent modifier les écoulements
d’air et perturber les trajectoires. Une
équipe de l’université Northwestern
(Illinois, Etats­Unis) a testé avec succès
un nouveau type de surface réduisant
la condensation en glace de près de 50 %.
L’idée s’inspire des feuilles des plantes
sur lesquelles le givre n’est pas réparti
uniformément. Les parties convexes,
comme les nervures, sont plus gelées que
les parties creuses. Les chercheurs ont donc
hérissé leur surface d’aluminium de dents
plus ou moins pointues de 5 mm de haut
et constaté que la glace ne se loge pas
au fond des creux.
> Y. Yao et al., « PNAS », 10 mars.

A S T R O N O M I E
Une surface cométaire salée
Bien que mise à l’arrêt depuis 2016, la sonde
Rosetta, qui a observé pendant deux ans
la comète Tchourioumov­Guérassimenko,
continue de faire parler d’elle. Un de ses
instruments a repéré des sels d’ammonium,
constitués d’azote, à la surface de l’astre. Jus­
qu’à présent, cette molécule avait seulement
été détectée dans une poussière éjectée de la

comète par un autre instrument de Rosetta.
Pour être convaincus de la présence de ce
sel, les chercheurs ont dû reproduire sur
Terre plusieurs mélanges analogues à la sur­
face de Tchouri. Cette découverte explique­
rait pourquoi l’azote n’avait jusqu’alors pas
été repéré autour des comètes, car sous la
forme de sels la détection est plus difficile.
Les chercheurs estiment que c’est sous cette
apparence que l’azote serait majoritaire­
ment présent sur les comètes ou astéroïdes.
(PHOTO : DLR, CC-BY 3.0)
> O. Poch et al., « Science », 13 mars.

T E C H N O L O G I E
Un nez artificiel intelligent
L’entreprise Intel, associée à l’université
Cornell (Etats­Unis), a mis au point un algo­
rithme d’identification d’odorants qui sur­
passe nettement ses concurrents. Sur dix
molécules odorantes (ammoniac, acétone,
méthane...) présentées aléatoirement cent
fois, le système a atteint 92 % de réussite,
contre moins de 50 % pour d’autres techni­
ques. En outre, les échantillons présentés
contenaient des odeurs parasites pour
compliquer la tâche. L’algorithme s’inspire
du bulbe olfactif qui répond à des bouffées
de molécules et repose sur de l’apprentissage
statistique en multipliant les exemples.
Enfin, il a été installé sur un processeur
d’Intel, Loihi, dont l’architecture est adaptée
à ce genre de modélisation neuronale.
> N. Iman et al., « Nature Machine
Intelligence », 16 mars.

1 300
C’est, en années, la durée possible de persis-
tance de briques de Lego dans la mer, selon
une estimation de chercheurs de l’université
de Plymouth parue dans Environmental Pollu-
tion le 16 mars. Ces scientifiques ont analysé
50 pièces du célèbre jeu de construction récu-
pérées sur des plages par les bénévoles. Puis
ils les ont comparées, notamment grâce à leur
composition chimique, à des briques de collec-
tion, non érodées par l’eau salée. Les différen-
ces en masse (de 3 % à 40 %) de perte, ainsi
que la dégradation des couleurs, l’apparition
de fractures ou de trous microscopiques font
penser que ces plastiques pourraient persister
dans l’environnement de 100 à 1 300 ans. Les
chercheurs se demandent aussi comment ces
Lego ont pu se retrouver dans les mers (cargai-
son échouée, chute dans les toilettes puis éva-
cuation dans les eaux usées ?), puis sur les pla-
ges, alors qu’ils sont plus lourds que l’eau.

T É L E S C O P E


b

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