santsdontHuaweidépendlargementpour
la fabrication de ses smartphones. La
société chinoiseaalors décidé de«dés
américaniser»sac haîne de production.
Or Taïwan fabrique 70%d’un matériau
dont la Chine pourrait difficilement se
passer :les semi conducteurs, essentiels
àl’élaborationdeproduitsélectroniques.
Fin 2019, Huawei s’est hissé au rang de
premierclientdeTaiwanSemiconductor
ManufacturingCompany(TSMC),leader
mondialdessemi conducteursdepointe.
Depuis juin, cettesociété, dont la plu
part des usines sont restéesàTaïwan,
afficheunecroissancepositive:«TSMC
est dans une situation de quasi monopole.
naises de participer au plan«Made in
China 2025», qui viseàdévelopper cer
taine sindustries clés,enp arti culie rdans
le domaine des hautes technologies,età
réduire ainsi la dépendance aux fournis
seurs internationaux. Ce programme est
perçu comme dangereux par M.Trump,
qui s’est lancé dans une guerre technolo
giquecontrelegéantdestélécommunica
tionsHuawei,vucommeunconcurrentdes
mastodontesaméricains.Selonlui,lanou
velle technologie 5G de l’entreprise chi
noise pourrait serviràcapter illégalement
desdonnées,notammentcellesdel’armée.
Leprésidentaméricainamenacéd’im
poserl’arrêtdesexportationsdecompo
19
LEMONDEdiplomatique–FÉVRIER 2020
DE RELOCALISERLEUR PRODUCTION
une chance pour Taïwan?
YANG MAO-LIN.–«Made inTaiwan. Slogan Section VI», 1990
géant voisin, l’échiquier électoral clas
sique se retrouve bouleversé. La guerre
commerciale ainsi que la contestation à
Hongkong ont réduitles chances du
principal opposantàMmeTsai, M. Han
Kuo yu (KMT). Après la défaite écra
santedesonpartiauxélectionsmunici
pales de novembre 2018, la présidente
aremontélapente.Elleaétérééluepour
unsecondmandatavecunscoreencore
plus élevé qu’en 2016:8,2 millions de
voix (57,1%des suffrages exprimés),
contre 6,9 millions ilyaquatre ans.
Toutefois, la majorité destaishang
demeurentattachésauxliensavecPékin.
«Toutes les grandes entreprises taïwa
naises ont la plupart de leurs usines en
Chine. SiTaïwan entretient desrelations
instables avec elle, personne ne viendra
investir chez nous!Et, àcestade, il est
toujours plus profitable pour une entre
prise taïwanaised’investir sur le conti
nent qu’auVietnam»,souligneLeeSuen
cheng, chercheuràlaN ational Policy
Foundation(NPF),unorganequiapporte
desconseilsjuridiquesetfinanciersaux
dirigeants du KMT.
Ce qu’il redoute particulièrement,
c’est la fin de l’accord cadre de coopé
rationéconomique(ECFA).Ratifiépar
leParlementtaïwanaisen2010,cetexte
asupprimé les droits de douane sur la
plupar tdes marchandises quicirculent
entre les deuxrives du détroit et déve
loppélecommerce.Ildevraitêtreréexa
minéenjuin2020,etsaremiseencause
toucherait de plein fouet le secteur de
la pétrochimie et de la mécanique. La
présidente assure qu’elle souhaite sa
reconduction, mais la décision dépend
aussi de M. Xi.
SelonlejournaljaponaisNikkei Asian
Review(4), le dirigeant chinois pourrait
être tenté de ne pas renouveler l’ECFA,
aurisquedeperdrelesinvestisseurstaï
wanais. Même si, selon Roy Lee,
«lorsqueTaïwan développe des poli
tiques hostiles, le gouvernement chinois
contre attaque en promulguantdes
mesures incitatives pour lesTaïwanais
sur le continent». En général, ces
mesures traduisent principalement une
volontédelesséduireetdefavoriserleur
identificationàlaC hine (5).
Annoncées par Pékin le4novem
bre 2019, les vingt six nouvelles incita
tions(6)permettentauxentreprisestaïwa
L’entreprise est en position de force, car
la Chineabesoin d’elle,commente
Mathieu Duchâtel, directeur du pro
gramme Asieàl’Institut Montaigne à
Paris, quiaenquêté sur l’offre 5G de la
Chine face aux sanctions américaines.
Avec l’arrivée de la 5G, le monde aura
de plus en plus besoin de matériel haut
de gamme.L’avance de TSMC va perdu
rerdans un avenirprévisible;cela donne
un levier puissantàTaipei.»
Leprogramme«MadeinChina2025»
risque de constituer une bombeàretar
dement pour cette industrie. Déjà, la
Chine aattiré trois mille ingénieurs taï
wanaisspécialisésdanslessemi conduc
teurs, soit 10%dec eux dévolusàce
champ de rechercheàTaïwan.«Cette
fuite des cerveaux est un risque depuis
quelques années. Globalement, la guerre
commerciale n’a fait qu’accélérer des
tendances qui existaient déjà,explique
Roy Lee.Les Chinois n’envisagent pas
de dépendreindéfiniment de technologies
taïwanaises. Pour eux, c’est une question
de sécurité nationale:lepays ne veut
plus dépendred’États tiers pour des tech
nologies essentiellesàsasurvie. Qu’ar
riverait ilsil ’îlecessaitd’un coup de les
fournir?[Pékin] imagine queTaipei, à
un moment ou un autre, penchera du côté
des États Unis.»
ALICEHÉRAIT.
ENVIRONNEMENTAUXDEL’ESSOR ÉCONOMIQUE
explosions chimiques à la chaîne
(5)Andrew Jacobs, Javier C. Hernandez et Chris
Buckley,«BehinddeadlyTianjinblast,shortcutsand
lax rules»,op. cit.
(6)Jean-FrançoisTremblay,«Chemicalblastkills
dozensinChina»,Chemical and Engineering News,
vol. 97, no13,Washington,DC, 1eravril 2019.
(7)HouLiqiang,«Casualtiesfromnaturaldisasters,
workplaceaccidentsfallsharply»,China Daily,Pékin,
19 septembre 2019.
(8) «Nearly half of Chinese provinces miss water
targets, 85%ofS hanghai’sriver water not fit for
human contact», Greenpeace East Asia, Kowloon,
1 erjuin 2017.
(9) «Killer air», Berkeley Earth, août 2015,
http://www.berkeleyearth.org
(10)Jean-FrançoisTremblay,«Relocatingchemical
plants in China»,Chemical and Engineering News,
vol. 95, no38, 25 septembre 2017.
(11)ShengHong,YifanYie,XiaosongLietNathan
Liu,«China’schemicalindustry:Newstrategiesfor
anew era», McKinsey&Company Chemicals,
mars 2019.
(12) «US and China in close race for top spot on
global R&D »,Chemical and Engineering News,
vol. 98, no3, 15 janvier 2020.
(13)AlainBadiou,Méfiez-vous des Blancs, habitants
du rivage,Fayard, Paris, 2019.
Forbes.En mai 2018, l’explosion d’un
réservoirdebenzèn edans son unité de
Shanghaïavaittué 6ouvriers.
Àl’ouvertureduCongrèsduP articom
muniste chinois (PCC), le 18 octo
bre 2017, M. Xi avait reconnu :«Nous
sommesàprésent faceàune contradic
tion majeureentreundéveloppement
déséquilibré et inadéquat et l’aspiration
pressante des Chinoisàune vie meil
leure.»Le président l ui même ingé
nieurchimistediplômédelaprestigieuse
universitéTsinghua de Pékin semble
avoirretenulaleçondelaviolentemani
festationpopulairedeDalian,àlam i août
2011.AprèslepassagedutyphonMuifa,
des milliers d’habitants réclamaient la
délocalisation d’une usine menacée par
les vagues dans le quartier de Fujia, qui
avaitdûêtreévacuéenraisond’unrisque
de pollution au paraxylène, un liquide
inflammable. Les autorités avaient
ordonné sa fermeture immédiate. La
crainte d’une catastrophe est constam
ment présenteàl’esprit des Chinois.
Depuis 2008, universitaires et scienti
fiquesn’ontcesséd’attirerl’attentionsur
lesrisquesqueposentlesentrepriseschi
miques proches des habitations, des
écoles,desgares,etc.Ilsontcalculéque,
dans le périmètre de Binhai, les«seuils
d’accident», c’est à dire le niveau de
stockagedeproduitsdangereux,seraient
atteints en 2015, entraînant alors des
explosions en chaîne (5).
UnrapportdeG reenpeaceétablitque,
pour la seule période de janvier à
août 2016, la Chineaenregistré prati
quement un accident chimique par jour,
pour un total de 199 morts et 400 bles
sés (6). Selon le gouvernement, le nom
bre de morts au travail, tous secteurs
confondus,estpasséde140000en
à34000en2018.MaisM.SunHuashan,
vice ministre chargé de la gestion des
urgences, précise que«si, dans l’indus
trie du charbon,lasituation s’est amé
liorée, les accidents majeurs dans le
secteur chimique ont tendanceàaug
menter».Entre janvier et août 2019,
«trois accidents graves ont fait
103 morts» sans parler de tous les
autres,moinsspectaculaires(7).Cesvic
timessont,pourlaplupart,desemployés
pauvresd’originerurale.Lasituationest
tellequelesentreprisesépargnéesparles
explosions et les accidents célèbrent
publiquementetavecfasteleur«million
d’heures homme sans blessuredonnant
lieu àunarrêt de travail[Lost Time
Injury,LTI]»,àl’image du fabricant de
produitscosmétiquesdeShanghaïJahwa
Project, en août 2016.
CommeceuxdelaJTCàYancheng,les
entrepôtsdelaRuiHaiInternationalLogis
ticsàTianjinétaienttropprochesdeshabi
tations. De plus, la nuit du sinistre, le
12août2015,ilsabritaient3000tonnesde
produitsdangereux,bienplusquelaquan
tité autorisée, et notamment1300 tonnes
de nitrate d’ammonium, soit plus de
500 fois la quantité de cet engrais qui fut
utiliséeen1995dansl’attentatd’Oklahoma
City,aux États Unis (168 morts, plus de
600blessés).Unanplustôt,uneinspection
deroutineyavaitmisaujour4261tonnes
de produits dangereux.
Àlas uitedecedésastre,lesautorités,
soupçonnantdesmalversationsdansl’at
tribution des permis et des irrégularités
danslagouvernancedel’entreprise,ont
diligentédesenquêtes.Douzeemployés
et membres du personnel administratif
ontétéarrêtés.Parmieux,lepropriétaire
principal de la Rui Hai (fondée en
novembre 2012), M.Yu Xuewei,mem
bre du conseil d’administration du
conglomérat d’État Sinochem, mais qui
avait caché cette acquisition, ainsi que
son associé, M. Dong Shexuan. Le père
decedernierétaitlec hefdelapolicedu
portetauraitfacilitél’obtentiondesper
misdelapartdesservicesdesincendies
et de l’environnement.
taux 2025 pour celles traitant avec les
produitslesmoinsdangereux.Legouver
nement achargélesautoritésprovinciales
et les municipalités de les aider financiè
rement,toutcommeilleuraconfiélerelo
gement des salariés ou la formation pro
fessionnelle de ceux qui ne peuvent
travaillersurlesnouveauxsites(10).Pour
l’heure, aucun bilan n’a été effectué.
Lanouvelleréglementationapeud’im
pactsurlesgrossesunitésdepétrochimie,
deproductiondepolymèresoud’intermé
diaires,déjàdotéesdesmoyensdecontrôle
desémissionsetdetraitementdeseffluents
(déchets). En revanche, elle pèse lourde
ment sur la myriade de petites unités de
fabricationdepesticides,decolorants,de
surfactants, d’additifs alimentaires, etc.,
utilisésparl’agricultureetlesconsomma
teurs locaux. Des milliers de ces petites
fabriquesrelevantdusecteurprivéontété
fermées,sansgrandesconséquencespour
laproductionnationale.Danslaprovince
du Shandong, parexemple ,lad isparition
de25 %dec esusinesnes’esttraduiteque
par une baisse de5%delaproduction.
LesexpertsducabinetMcKinsey&Com
panyChemicalsprévoientque,durantles
trois àcinq prochaines années (11), les
autorités appliqueront fermement la nou
velle réglementation dans les zones dites
de «changement radical», c’est à dire
dans ces parcs industriels qui fournissent
lamoitiédesproduitschimiquesdupays.
En2017et2018,déjà,lesproductionsde
pesticides, de glutamate de sodium et de
colorants ont enregistré une baisse de 30
à40%quis’esttraduiteparuneaugmen
tation des prix.
Autre conséquence:une restructura
tiondel’industriechimiqueestprobable
pourlesentreprisesenmesured’absorber
lescoûtsopératoiresélevésdelanouvelle
donneenvironnementale.Lesentreprises
privéesoud’État,enassociationavecles
multinationales étrangères, voient s’ou
vrirdevantellesunboulevardpourinves
tir dans la fabrication actuellement
insuffisante d’intermédiaires de syn
thèse. Elles pourrontaussi accéder aux
nouveaux procédés technologiques que
promettentl’exubéranterecherchescien
tifiquechinoise(12)etleplanstratégique
«MadeinChina2025»visantàdévelop
per des industries de pointe comme les
batteriesàflux de vanadium, les piles à
hydrogène, les condensateurs double
couche...
Ledéménagementdesusiness’accom
pagne de celui, difficile et mal vécu, de
lamain d’œuvre.Préfaçantunrecueilde
poèmesdel’ouvrierGuoJinniu,lepoète
Yang Lian décrit l’énorme migration
ouvrièrede«prolétaires nomades»dela
Chine :«Unmonde de muets;des vil
lages abandonnés par une innombrable
foule de jeunes gens qui tournent le dos
àleur maison,àleur chez soi, pour les
villes désorientées,stériles comme des
déserts, pour l’abject environnement du
travail dans les plus basses classes de la
société, et aussi pour un état d’espritbien
plus désolé et misérable que le monde qui
les entoure(13).»
MOHAMEDLARBIBOUGUERRA.
Une eau«impropreàtoutusage»
ONZEfonctionnairesontaussiétéarrê
tés et inculpés de corruption, dont
M.YangDongliang,devenumaireadjoint
de Tianjin après avoir dirigé l’adminis
trationpubliquedelasécuritéautravail.
Son exclusiondu PCCamis ànulacol
lusion du monde des affaires avec des
officielscorrompus.Quelquesmoisplus
tard,enseptembre2016,M.HuangXing
guo,lemairedeTianjinetsecrétairepar
intérimduPCCdelaville,étaitluiaussi
arrêté pour corruption.
Consacrant«les eaux claires et les mon
tagnes luxuriantes»comme objectif poli
tique national, le 13eplan quinquennal de
protectiondel’environnement(2016 2020)
amarquéunenetteévolutiondesautorités
surcett equestion.Ilaaboutiàl’interdiction,
en2018,del’importationdedéchetsplas
tiques des pays occidentaux. Le pouvoir a
instituédesautorisationspourl’installation
d’usinesetincitéàlar elocalisationdesuni
tés de production chimique vers des parcs
industriels gouvernementaux.Ainsi est né
l’immense parc de chimie industrielle de
Shanghaï (SCIP), le premier du genre en
Asie,spécialiséenproduitsdechimiefine
etdepétrochimiedequalitémondiale.Selon
Greenpeace,en2 017,«85%del’eau des
rivières de Shanghaï»était«impropreàla
baignade ouàunusage industriel, et près
de 60 %impropreàtout usage
humain(8)»;92%delapopulation chi
noise respirait durant plus de cent vingt
heures par an un air malsain selon les
normes de l’Organisation mondiale de la
santé,etlap ollutionatmosphériquecausait
lamortprématurée«de1,6 million de Chi
nois annuellement, soit 17%detoutes les
morts enregistrées dans le pays(9)».
Depuis août 2017, les directivesdu
Conseil des affaires d’État dites«circu
laire 77»imposent la relocalisation des
usines tantnationalesqu’étrangères pro
duisantlessubstanceslistéesdansle«cata
loguedesproduitschimiquesdangereux».
Les entreprises ont jusqu’à fin 2020 pour
déménager dans les parcs gouvernemen
(4)KensakuIhara,«TaiwanInc.weighsloyaltyto
mainland in presidential election»,Nikkei Asian
Review,Tokyo, 27 décembre 2019.
(5)Lire «Pékinfaitdel’œilauxcitoyenstaïwanais»,
Le Monde diplomatique,mai 2019.
(6) Samson Ellis,«China dangles carrot to
Taiwaneseinbattleforheartsandminds»,Bloomberg
Businessweek,4novembre 2019.