Les Echos Lundi 6 avril 2020 IDEES & DEBATS// 13
art&culture
Jordan Wolfson, nouvelle star
de l’art contemporain américain
Judith Benhamou-Huet
@judithbenhamou
Il s’appelle Jordan Wolfson.
En France, peu connaissent
encore cet artiste améri-
cain né en octobre 1980
auquel le « New Yorker » a
consacré un portrait au
long cours sur 28 pages. Et
si la puissante galerie amé-
ricaine Zwirner, installée à Paris depuis
octobre 2019, n’avait pas dû fermer ses por-
tes, elle aurait montré jusqu’au 21 mars sa
dernière production. Wolfson est la nou-
velle sensation de l’art contemporain et on
peut parier que la crise actuelle ne le
balaiera pas. Car, comme l’explique David
Zwirner « Jordan Wolfson a changé la
manière dont on conçoit la sculpture ». Ceux
qui ont eu la chance de voir sa dernière pro-
duction à Paris pourraient en témoigner.
La « chose » inphotographiable, à peine
descriptible, utilise une technologie appe-
lée « Hypervsn », déjà pratiquée par l’artiste
français Cyprien Gaillard. L’installation
hypnotique est composée de 20 ventilateurs
et de microlumières LED. Mises en mouve-
ment, celles-ci composent des images holo-
graphiques 3D qui apparaissent de manière
syncopée. Il l’a baptisée « Artistes, amis,
racistes » sans donner aucune explication.
Des cœurs, des lapins, des étoiles de David,
des chiffres apparaissent et disparaissent
en relief et comme par magie... On peut y
voir un zapping dans l’iconographie fami-
lière des réseaux sociaux qui mélange des
images « mignonnes », des icônes de la cul-
ture du divertissement et des questions
d’identité. Au royaume du
« politically correct » si
cher au monde anglo-
saxon, Jordan Wolfson
dérange parce qu’il ne
prend pas parti. Il raconte
ce qu’il voit par des créa-
tions chocs, sans commen-
taire ni justification.
Lady Gaga en sorcière
En 2017 il montrait en réalité virtuelle une
séance de passage à tabac en règle dans
« Real Violence » faisant du spectateur le
voyeur d’une scène, certes simulée, mais
atroce. Certainement la plus médiatique
sur les réseaux sociaux, son œuvre
« Female Figure » (2014) consiste en un pan-
tin articulé, évoquant par sa silhouette, une
Lady Gaga crasseuse, portant jambières et
minijupe, qui se reflète dans un miroir. De
face, son visage de sorcière est en partie dis-
simulé par un masque au nez crochu, coiffé
d’une perruque blond platine. Elle répète en
gesticulant : « Toucher c’est aimer, mainte-
nant ferme les yeux ». Et ses yeux guidés par
un système de reconnaissance faciale sui-
vent notre regard.
Une parodie là encore cauchemardesque
et hypertechnologique de la société média-
tique qui transforme en icône des Narcisse
pathologiques. La presse se déchaîne, mais
les musées l’exposent... comme la très
emblématique Kunsthaus de Bregenz, en
Autriche, en 2021, après la Tate de Londres
ou le Stedelijk d’Amsterdam. « J’essaie juste
de créer des expériences qu’on ressent physi-
quement en témoignant de mon expérience
aujourd’hui », conclut l’artiste.n
Jordan Wolfson. Photo Inez & Vinoodh Courtesy the artist, David Zwirner and Sadie Coles HQ, London
ART
Jordan Wolfson
https://
http://www.davidzwirner.com/
artists/jordan-wolfson
Sur YouTube :
https://youtu.be/
mVTDypgmFCM
https://youtu.be/
73 Qhhh_KyQQ
Polar sur Potomac
Isabelle Lesniak
@IsabelleLesniak
Quoi de mieux que la lec-
ture pour échapper au con-
finement? Anna, jeune
bibliothécaire de la prison
du DC (District of Columbia), est persuadée
de l’effet positif que peuvent exercer John
Steinbeck, Elmore Leonard, Chris Offutt ou
James Lee Burke sur le moral de la popula-
tion carcérale et passe régulièrement avec
son chariot plein de leurs livres devant les
cellules des hommes à la combinaison
orange. Seuls les ouvrages à caractère
sexuel ou incitant à la violence sont bannis.
Parmi les gros lecteurs qui attendent
impatiemment la visite d’Anna, Michael
Hudson, en détention provisoire pour vol, a
récemment découvert que les ouvrages
recommandés par la jeune femme avaient
le pouvoir de « le sortir de sa cage ».
Personnages ambigus
Lorsqu’il se retrouve dehors, libéré après
23 mois derrière les barreaux, il compte sur
sa nouvelle passion, combinée à un travail
ingrat mais stable dans une pizzeria de
quartier, pour se réinsérer socialement et
familialement dans un Washington en voie
de gentrification malgré la ségrégation
raciale. Sauf que le privé pourri qui l’a sorti
de taule décide de l’embarquer dans ses
escapades punitives douteuses. La rédemp-
tion est-elle au bout du
roman?
A la fois thriller riche en
scènes d’action, ode
vibrante à la littérature et
portrait psychologique tout
en finesse de personnages
souvent moralement ambigus, « A peine
libéré » propose un nouveau voyage pas-
sionnant dans la région natale de George
Pelecanos, dont la saga policière dite du
« DC Quartet » avait marqué les esprits
dans les années 1990. Devenu scénariste, ce
fils d’immigrés grecs a puissamment décrit
Baltimore dans la série culte de Davis
Simon, « The Wire », avant de commettre
quelques infidélités au Maryland : dans la
série « Treme » qui racontait la Nouvelle-
Orléans dévastée après le passage de l’oura-
gan Katrina ou dans « The Deuce », une
plongée spectaculaire dans le New York du
porno des années 1 970.
De retour à sa muse, Pelecanos impres-
sionne par sa connaissance encyclopédi-
que des lieux qui lui sont chers. Chaque
page de « A peine libéré » sent le vécu.
L’auteur sexagénaire qui vit depuis 2006
avec femme et enfants à Silver City, une ban-
lieue aisée de Washington, en connaît inti-
mement tous les codes. Sans entraver
l’intrigue, la profusion de détails culturels,
vestimentaires, géographiques ou architec-
turaux qu’il livre façonne un tableau poin-
tilliste et subtil de la capitale américaine.n
ROMAN AMÉRICAIN
A peine libéré
de George Pelecanos
traduit par Mireille Vignot
Calmann-Lévy, 263 pages,
19,90 euros.
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LE POINT
DE VUE
de Heiko Maas
et Olaf Scholz
L’Europe doit
apporter une
réponse solidaire
et inconditionnelle
à la crise
C
e virus ne connaît ni fron-
tière, ni couleur de peau, ni
nationalité. Nous compatis-
sons tous à la douleur des habitants
de Bergame, Madrid, Strasbourg et
beaucoup d’autres villes en Italie, en
Espagne et en France. La lutte héroï-
que du personnel soignant et des
médecins pour la survie des malades
nous émeut profondément. La pan-
démie de Covid-19 pose à tous les
pays européens le plus grand défi
sanitaire, sociétal et économique
depuis la création de l’Union euro-
péenne. La vérité de cette terrible
pandémie c’est aussi qu’au début,
l’Europe n’était pas suffisamment
préparée pour faire face à tous les
aspects de la crise et qu’elle n’a pas
trouvé d’emblée de réponse euro-
péenne convaincante à tous les pro-
blèmes. Il est maintenant décisif que
nous apportions, dans un esprit de
solidarité, une réponse européenne
globale. Chacun de nos pays ne sor-
tira fort de cette crise que si l’Europe
la surmonte avec force et unité.
La protection des personnes
est la priorité absolue
La protection des citoyennes et des
citoyens constitue la priorité absolue
pour nous tous dans l’Union euro-
péenne. Pour nous, aider est une évi-
dence. Par conséquent, nous nous
servons des capacités disponibles en
Allemagne pour traiter chez nous
des patients gravement malades en
soins intensifs venant d’hôpitaux ita-
liens et français, ou pour prêter assis-
tance à l’Espagne en y envoyant des
médecins allemands. Nous avons
fourni du matériel médical ainsi que
des respirateurs à l’Italie. Et nous
avons évacué dans des avions alle-
mands des milliers de touristes euro-
péens de pays dont l’approvisionne-
ment en soins est souvent beaucoup
moins bon qu’en Europe.
Afin de ralentir la propagation du
virus, presque tous les pays de l’UE
ont annoncé des restrictions massi-
ves pour leurs citoyennes et citoyens.
Dans maints endroits, la vie publi-
que a quasi cessé pour éviter la con-
tagion. Ces mesures sont justes. Elles
ont toutefois des répercussions pro-
fondes sur nos économies. Quand les
magasins ferment, que les événe-
ments sont annulés et que les usines
doivent arrêter temporairement leur
production, alors ce sont des mil-
lions d’Européennes et d’Européens
qui ont peur pour leur emploi, leur
entreprise et leur existence. Les Etats
membres de l’UE ont différentes
marges de manœuvre financières
pour réagir à cette crise économique
dont ils ne sont pas responsables.
Protéger emplois
et entreprises
Pratiquement tous ont déjà mis en
place des programmes d’aide pour
protéger les emplois et les entrepri-
ses. En un rien de temps, des sommes
énormes ont été débloquées dans
tous les pays pour donner aux socié-
tés et aux entreprises les crédits-re-
lais dont elles ont urgemment besoin
retour à la politique d’austérité après
la crise financière et susciteraient un
traitement inégal des différents Etats
membres.
Le mécanisme européen de stabi-
lité (MES) offre déjà aux pays de la
zone euro la possibilité de lever des
capitaux ensemble et aux mêmes
conditions favorables. Pour la
France, cela signifierait un apport
d’argent frais de 54 milliards d’euros.
Ces ressources devraient pouvoir
être utilisées pour toutes les dépen-
ses nécessaires dans la lutte contre le
coronavirus. Ce dont nous avons
besoin, c’est non pas d’une troïka, de
contrôleurs ou d’une commission qui
développe des programmes de réfor-
mes pour un pays, mais d’aides rapi-
des et ciblées. C’est précisément ce
que peut apporter le MES si nous le
développons judicieusement.
Fonds de garantie européen
En outre, nous proposons un fonds
paneuropéen de garantie des crédits
qui permettra à la Banque euro-
péenne d’investissement (BEI) d’ali-
menter les petites et moyennes
entreprises en liquidités. Cela per-
mettrait de garantir des finance-
ments-relais, des délais de rembour-
sement plus longs ainsi que des
nouveaux crédits via des banques
commerciales ou des banques de
développement nationales. Quant au
projet SURE (Support mitigating
Unemployment Risks in Emergency)
qui vient d’être repris par la Commis-
sion européenne, il va permettre
d’aider financièrement les pays de
l’UE qui, comme avec la réglementa-
tion relative au chômage partiel en
Allemagne, viennent en aide aux
entreprises afin qu’elles gardent
leurs employés malgré l’effondre-
ment de la conjoncture.
En fin de compte, une fois que nous
aurons surmonté la crise, il nous fau-
dra remettre l’économie de l’Europe
sur le chemin de la reprise et de la
croissance. Dans ce cadre, nous,
membres de l’UE, devons agir ensem-
ble, dans un esprit de solidarité euro-
péenne et en unissant nos forces afin
de renforcer l’Union européenne.
Nous tous, y compris l’Allemagne,
tiendrons compte de cela lors des
négociations sur le cadre financier
pluriannuel qui fixe le budget de l’UE
pour les sept prochaines années.
Communauté de destin
Tout cela implique des efforts finan-
ciers importants de notre part à tous,
c’est évident. Mais nous sommes cer-
tains qu’ensemble, nous pouvons
surmonter cette crise historique.
Mieux encore : si l’Europe avance
dans la bonne direction, l’Union
européenne, notre communauté de
destin, sortira plus forte de la crise.
Soyons solidaires – pour l’Europe,
contre le virus.
Heiko Maas est ministre fédéral
des Affaires étrangères.
Olaf Scholz est vice-chancelier
d’Allemagne, ministre fédéral
des Finances.
et pour aider les citoyennes et les
citoyens de façon non bureaucrati-
que. Mais cela ne suffit pas. Les
mères et pères fondateurs de
l’Europe savaient que la solidarité
européenne n’est pas à sens unique,
mais qu’elle est l’assurance vie de
notre continent. C’est dans cet esprit
que nous devons agir dans cette crise
historique. Nous avons besoin d’un
signal clair de solidarité européenne
face à la pandémie de Covid 19. L’Alle-
magne est prête à y apporter sa con-
tribution.
Des aides rapides et ciblées
La mission commune de l’Europe
consiste maintenant à compléter les
programmes existants, à combler les
lacunes et à déployer un filet de sécu-
rité pour tous les pays de l’UE qui ont
besoin d’une aide supplémentaire.
Bruxelles a d’ores et déjà fortement
assoupli les critères du Pacte de stabi-
lité ainsi que les règles en matière
d’aides d’Etat. En annonçant le lance-
ment d’un nouveau programme de
rachat de dette publique et privée, la
Banque centrale européenne a
contribué à stabiliser le marché
financier. Plusieurs milliards supplé-
mentaires provenant de fonds spé-
ciaux du budget de l’UE sont versés
comme aides financières dans les
Etats membres concernés.
Maintenant, il nous faut aller plus
loin : les pays les plus touchés par la
crise du coronavirus doivent désor-
mais être stabilisés financièrement
de manière très rapide, simple et
dans la mesure du nécessaire. Nous
proposons donc d’agir rapidement et
ensemble pour qu’il y ait suffisam-
ment de liquidités dans tous les Etats
de l’Union européenne, afin que le
maintien des emplois ne dépende pas
de l’humeur des spéculateurs. Ce fai-
sant, ces moyens financiers ne doi-
vent pas être soumis à des conditions
inutiles qui équivaudraient à un
Les moyens financiers
pour surmonter la crise
ne doivent pas être
soumis à des conditions
inutiles
qui équivaudraient
à un retour à la politique
d’austérité.
L’Allemagne tiendra
compte de la nécessité
de remettre l’Europe
sur le chemin
de la croissance
lors des négociations
sur le cadre financier
pluriannuel qui fixent
le budget de l’UE
pour les sept prochaines
années.