14 //IDEES & DEBATS Lundi 6 avril 2020 Les Echos
sciences
SARS-COV-2// L’essai européen visant à tester 4 traitements contre Covid-19 n’a finalement pas
livré ses premiers résultats à la date annoncée. Un black-out qui intervient sur fond de polémique
persistante au sujet de l’hydroxychloroquine.
Les résultats de l’essai Discovery se font attendre
Yann Verdo
@verdoyann
Q
ue se passe-t-il avec Discovery? L’essai clini-
que européen visant à tester l’efficacité de
quatre molécules ou combinaisons de molé-
cules contre Covid-19 semble connaître un démar-
rage difficile, si l’on en juge par le faux espoir suscité
durant le week-end des 4 et 5 avril : alors que les pre-
miers résultats étaient attendus à cette date, comme
l’avait confirmé lundi 30 mars la ministre de la
Recherche Frédérique Vidal, cela a finalement été le
black-out. De quoi alimenter encore un peu plus
l’inquiétude et la confusion dans les esprits, alors que
se profile, en France, le plateau de l’épidémie. En
attendant d’y voir plus clair, tour d’horizon en quatre
points d’une expérimentation de grande ampleur
dont le verdict aura été attendu comme jamais dans
l’histoire de la médecine.
1 HUIT CENTS PATIENTS CONCERNÉS EN
FRANCE, PRÈS DU TRIPLE EN EUROPE
L’essai Discovery, qui est loin d’être terminé et va pro-
gressivement monter en puissance au cours des pro-
chaines semaines, prévoit d’inclure au final quelque
3.200 patients hospitalisés dans plus d’une demi-dou-
zaine de pays européens. L’Allemagne, la Belgique,
l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-
Uni ont ainsi rejoint la France qui a été le premier pays
à se lancer dans la course, le dimanche 22 mars. Au
moins 800 patients, sur les 3.200 du total, seront suivis
dans les différents hôpitaux français participants. Au
démarrage des opérations dans l’Hexagone, cinq
hôpitaux, situés à Paris (hôpital Bichat, où le tout pre-
mier patient diagnostiqué « Covid-plus » avait été
admis le 24 janvier), Lille, Nantes, Strasbourg et Lyon,
avaient intégré le dispositif. Une semaine plus tard,
deux autres centres hospitaliers s’étaient joints à ce
groupe de départ, pour un total d’un peu plus de
120 patients sur les 800 prévus. A plein régime, Disco-
very concernera au moins une vingtaine d’établisse-
ments hospitaliers en France ; les hôpitaux sous forte
pression seront prioritairement choisis.
L’essai est coordonné en France par REACTing
(REsearch and ACTion targeting emerging infectious
diseases), le consortium créé en 2013 après l’épidémie
de chikungunya pour coordonner à l’échelle nationale
l’action des différents laboratoires lors de la survenue
d’une épidémie et présidé par le Pr Yazdan Yazdanpa-
nah, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital
Bichat. Il est piloté sur le plan opérationnel par le
Pr Florence Ader, infectiologue à l’hôpital de la Croix-
Rousse au CHU de Lyon, qui est assistée dans sa tâche
par une équipe d’une vingtaine de personnes. Quant
au financement, il est assuré, pour la partie française,
par les ministères de la Recherche et de la Santé.
Annoncée en grande pompe lors d’une conférence
de presse au ministère de la Recherche le 11 mars der-
nier, la mise en place de Discovery s’est faite en un
temps inhabituellement court pour un essai clinique
de cette ampleur – urgence sanitaire oblige. Cette rapi-
dité contraste avec le manque de réactivité dont avaient
fait preuve les acteurs de la santé lors de la dernière épi-
démie meurtrière qu’ait connue la planète, celle provo-
quée par le virus Ebola : « C’est l’une des grandes leçons
de la crise d’Ebola de 2014. Le seul et unique essai rando-
misé avait été mis en place trop tard, avec seulement
72 patients », confiait récemment Florence Ader.
2 UN ESSAI RANDOMISÉ,
OUVERT ET ADAPTATIF
En France comme dans les pays européens partenai-
res, seuls sont éligibles (susceptibles d’être inclus dans
l’essai) les patients hospitalisés dans l’un des établisse-
ments participants, qu’ils aient été admis dans les ser-
vices de maladies infectieuses ou de réanimation. Il
s’agit de malades présentant des signes respiratoires,
notamment la pneumonie, et/ou ayant besoin d’un
apport extérieur d’oxygène. Cinq modalités de traite-
ment sont testées. Quatre d’entre elles correspondent
aux quatre molécules ou combinaisons de molécules
différentes que l’on cherche à évaluer (lire ci-dessous),
la cinquième consistant en « soins standards », en
d’autres termes un simple traitement par ventilation,
mais sans candidat-médicament à la clé.
L’essai est « randomisé », c’est-à-dire que chaque
nouveau patient se voit attribuer aléatoirement l’une
de ces cinq options : ce n’est donc pas son médecin qui
la choisit pour lui, le but recherché à travers cette ran-
domisation numérique étant de constituer cinq grou-
pes d’effectif équivalent et relativement homogènes
afin de pouvoir correctement comparer les résultats
d’un groupe à l’autre. Toutefois, à la différence des
essais dits « en aveugle » ou « en double aveugle »,
l’essai Discovery est « ouvert », ce qui veut dire que tant
tions ; et, enfin, l’hydroxychloroquine, cet antipalu-
déen (commercialisé sous le nom de Plaquenil) qui a
déjà tant fait couler d’encre depuis que le Pr Didier
Raoult, de l’IHU Méditerranée Infection, s’est fait le
champion de son utilisation immédiate et massive
dans notre pays (lire ci-dessous).
Ebola, VIH, paludisme... La liste des quatre molécu-
les ou combinaisons de molécules testées le montre : i l
s’agit dans tous les cas de recyclage de médicaments
développés ou utilisés contre d’autres maladies, mais
dont on soupçonne qu’ils ont un spectre d’action plus
large les rendant possiblement efficaces contre SARS-
CoV-2. Ainsi, des études in vitro ont-elles montré que le
remdesivir, par exemple, interagissait avec d’autres
virus que le virus Ebola et était capable de bloquer la
réplication du nouveau coronavirus. S’agissant de
cette molécule, Discovery visera donc à établir si ce
résultat encourageant obtenu dans un tube à essai est
reproduit dans l’organisme humain. On peut toutefois
se demander si, dans l’affirmative, les autorités sanitai-
res auront ensuite la capacité de produire à grande
échelle cette molécule n’ayant pas encore dépassé le
stade expérimental. Interrogée le 30 mars, la ministre
de la Recherche, Frédérique Vidal, avait assuré que,
quelle que soit la molécule qui sortirait du lot, le gou-
vernement et les autorités sanitaires feraient le néces-
saire pour la produire massivement et, ainsi, faire face
à la demande.
4 LE CAS PARTICULIER
DE L’HYDROXYCHLOROQUINE
Lorsque la mise en place de l’essai Discovery a été
annoncée le 1 1 mars, il avait été décidé de ne pas y
inclure l’hydroxychloroquine. Les responsables pari-
siens de l’essai sont ensuite revenus sur leur décision, à
la demande de l’OMS et de l’Etat français et sous la
pression des résultats annoncés à Marseille (et en
exclusivité dans « Les Echos ») par Didier Raoult. Mais
ce dernier, qui devrait dévoiler dans le courant de la
semaine les résultats de sa propre expérimentation
menée en franc-tireur sur un millier de patients posi-
tifs à Covid-19 et traités à l’IHU Méditerranée Infection,
fait observer que, s’agissant de l’hydroxychloroquine,
les résultats de Discovery seront de toute façon faus-
sés. Et ce pour deux raisons. D’abord parce que, souli-
gne-t-il, l’hydroxychloroquine n’est efficace que si elle
est associée à l’azithromycine, un antibiotique pulmo-
naire systématiquement couplé à l’hydroxychloro-
quine dans le protocole du Pr Raoult mais absent de
celui retenu dans Discovery. Ensuite parce que cette
combinaison ne fonctionne qu’à un stade précoce de la
maladie, avant que l’inflammation pulmonaire ne
prenne le pas sur le virus lui-même. Or, les patients de
Discovery, déjà en réanimation, ont passé ce cap.n
le médecin que son patient sont informés de l’option
choisie. Autre caractéristique méthodologique essen-
tielle : Discovery est un essai « adaptatif ». Cela signifie
que, dès que l’un des quatre traitements se sera révélé
inefficace ou dangereux en raison d’importants effets
secondaires, il pourra être abandonner au profit d’un
autre que l’avancée des recherches aura entre-temps
permis de faire émerger.
3 QUATRE TRAITEMENTS
AU BANC D’ESSAI
Basé sur la liste des traitements expérimentaux clas-
sés comme prioritaires par l’Organisation mondiale
de la santé (sous l’égide de laquelle doit d’ailleurs être
mené à l’échelle internationale un autre essai clinique
appelé Solidarity et que les données recueillies dans le
cadre de Discovery viendront compléter), le choix des
quatre traitements testés est le fruit de l’analyse des
études publiées au sujet des coronavirus du SARS
(Severe acute respiratory syndrome) et du MERS
(Middle East respiratory syndrome), à l’origine de pré-
cédentes flambées épidémiques.
Sur ces quatre molécules ou combinaisons de molé-
cules, les scientifiques disent qu’ils ne disposaient,
avant le démarrage de cet essai, que de données extrê-
mement partielles. « Nous n’avons pour l’heure aucune
confirmation de la réalité de l’efficacité de ces traite-
ments. Nous n’avons que des données disparates sur ses
molécules. On a des données in vitro pour certaines, pas
pour d’autres ; des données sur des modèles animaux
pour certaines, mais pas pour toutes ; d’autres données
sur des petites séries de patients, pas pour d’autres »,
expliquait Florence Ader à J +7.
Sont testés : le remdesivir, un antiviral expérimental
initialement conçu par les laboratoires Gilead pour
Ebola ; le lopinavir en combinaison avec le ritonavir, ce
cocktail de deux molécules (commercialisé par les
laboratoires AbbVie sous le nom de Kaletra) étant uti-
lisé comme antirétroviral pour contrer le VIH ; le
même cocktail lopinavir/ritonavir, mais associé en
plus à l’interféron bêta, une protéine d’origine natu-
relle produite par l’organisme en réponse aux infec-
La rapidité à mettre en place
Discovery contraste avec
le manque de réactivité dont
avaient fait preuve les acteurs
de la santé lors de la dernière
épidémie meurtrière provoquée
par le virus Ebola.
o
L’INVENTION
La recherche des bons
anticorps progresse
U
ne équipe de chercheurs chinois, dirigée
par Zhang Linqi, de l’université
Tsinghua de Pékin, annonce avoir
identifié plusieurs anticorps susceptibles de
bloquer la capacité du coronavirus SARS-CoV-
à pénétrer dans les cellules humaines. Dans un
premier temps, l’analyse du sang de patients
guéris du Covid-19 a permis aux chercheurs
chinois d’isoler 206 anticorps présentant une
forte capacité à se lier avec les protéines
présentes sur l’enveloppe de SARS-CoV-2.
Une autre série de tests, visant à déterminer si
ces anticorps prometteurs permettaient
véritablement d’empêcher le virus de pénétrer
dans les cellules, a réduit leur nombre à quatre,
dont deux ont été jugés « extrêmement
efficaces ». Si ces résultats se confirment, des
copies de ces deux anticorps pourraient être
produites massivement par génie génétique,
indiquent les chercheurs qui ont conclu un
partenariat avec la biotech sino-américaine Brii
Biosciences. Toutefois, ces « anticorps
monoclonaux », ainsi qu’on les appelle, devront
d’abord être testés in vivo, d’abord sur des
modèles animaux puis sur l’homme, avant de
pouvoir être mis à la disposition des autorités
sanitaires pour contrer la pandémie. Etant
donné l’accélération de toutes les procédures,
Zhang Linqi a bon espoir que les tests sur
l’homme débutent d’ici à six mois. —Y. V.
L
es technologies numériques nous permettent
de maintenir de nombreux pans de notre
activité pendant le confinement : télétravail,
information, lien social, distraction, commerce en
ligne, etc. Elles peuvent aussi être avantageusement
exploitées pour des objectifs de santé publique. La
fouille de données dans les réseaux sociaux peut
aider à suivre l’évolution d’une épidémie dans la
population ; la bioinformatique, en réunissant
informaticiens, mathématiciens et biologistes, aide
à comprendre l’information biologique contenue au
niveau moléculaire ou génétique et donc à
concevoir des nouveaux médicaments ;
l’apprentissage automatique sur les données
hospitalières peut établir des corrélations utiles
entre les facteurs de santé, conduisant à la médecine
personnalisée ; les modèles mathématiques
d’organes pourront bientôt se substituer à des essais
faits sur animaux ; le traitement des images
médicales a fait des progrès remarquables ; l’analyse
automatique de la littérature par des systèmes de
traitement de la langue naturelle peut mettre en
évidence des relations jusque-là ignorées entre des
faits médicaux. Et bien plus encore! Bernard
Nordlinger et Cédric Villani avaient publié dès 2018
un premier ouvrage sur « Santé et IA ». Le livre du
cardiologue américain Eric Topol « Deep
Medicine », paru en 2019, relate des dizaines
d’applications de l’apprentissage machine dans le
domaine biologique et médical. Son sous-titre,
« Comment l’intelligence artificielle peut rendre les
soins de santé à nouveau humains », exprime l’idée
que, grâce à l’IA, les médecins et spécialistes
passeront moins de temps devant leurs écrans – les
systèmes d’IA effectuant le travail d’analyse des
données – et plus de temps à échanger avec leurs
patients, une étape essentielle dans une
consultation. Nous disposons d’un nouvel outil,
potentiellement très puissant, dans la lutte contre le
coronavirus et autres pandémies. La communauté
de recherche en numérique pour la santé se
mobilise sur le sujet – en appui, bien entendu, des
outils médicaux classiques que sont les tests en
laboratoires, les cohortes, etc. Pas question de faire
reposer une thérapie uniquement sur une approche
« in silico », c’est l’« in vivo » qui est déterminant au
final. Mais les technologies numériques peuvent
servir d’accélérateur, bien utile en ces temps de crise.
Bertrand Braunschweig est directeur
de la mission Inria de coordination du plan IA
CoronIA
LA
CHRONIQUE
de Bertrand
Braunschweig
A plein régime, Discovery concernera, dans notre pays, plus d’une vingtaine de services
de réanimation (ici, un hôpital du sud de la France, en mars 2020).
Frederic DIDES/Sipa