20 //ENTREPRISES Lundi 6 avril 2020 Les Echos
CORONAVIRUS
Marie-Josée Cougard
@CougardMarie
Les tanks à lait débordent, les éle-
veurs se demandent que faire de
leurs animaux à viande, les fruits et
légumes cherchent désespérément
preneur. La situation est pour
le moins paradoxale. Après
avoir craint de manquer, la France
va faire le constat qu’elle est riche,
trop riche de toutes les productions
agricoles, dont c’est la pleine saison
pour beaucoup. Le coronavirus a
lancé son offensive au moment où
la nature se réveille.
La période est celle du pic de pro-
duction laitière avec le retour des
vaches au pré bien vert, c’est celle de
l’agneau de Pâques, la viande des
réunions de famille qui n’auront
pas lieu cette année et c’est aussi
celle des fraises, des asperges, de
concombres, radis et tomates, en
mal de marchés, de restaurants et
de clients. Les Français boudent les
produits frais, même le pain du
boulanger par crainte d’une pré-
sence de virus. L’Agence nationale
de sécurité sanitaire de l’alimenta-
tion (Anses) a pourtant été claire
sur l’absence de risque de transmis-
sion par l’alimentation.
Les tours de séchage
du lait saturées
« La première semaine de confine-
ment a été catastrophique pour le
grand export en Europe », s’alarme
la Confédération paysanne. Or la
France exporte 40 % de sa produc-
tion de lait. Les volumes qui ne trou-
vent plus preneur en dehors des
frontières « engorgent le commerce
extérieur », alors que le marché
national subit une vraie déconsom-
mation des produits frais.
« Les tours de séchage », qui per-
mettent de transformer le lait en
poudre et de le stocker « sont satu-
rées » et « ne pourront plus faire face
à de nouveaux arrivages de lait.
L’accumulation des stocks va faire
s’effondrer les prix », poursuit
l’organisation. Fin mars, il y avait
40 millions de litres de lait en trop
sur les 220 millions collectés par
semaine. « C’est 18 % de trop », selon
la Confédération paysanne.
La profession n’est pas restée les
bras ballants. Le trop-plein a été réo-
rienté vers le stockage sous forme de
beurre et de poudre. Mais aussi vers
la destruction pure et simple. Cette
dernière option, malgré les efforts
de solidarité de grands groupes
dans leur direction, dont Sodiaal
(Yoplait), a souvent été la seule pos-
sible « pour des petites entreprises
privées ou coopératives qui s’étaient
spécialisées dans les produits destinés
à la restauration », explique pour sa
part Dominique Chargé, le prési-
dent de Coop de France.
L’interprofession a demandé de
réduire la production de 5 % et a
mis 10 millions d’euros sur la table
pour compenser le manque à
gagner. Cela ne suffira pas. Même s i
la consommation de lait UHT a aug-
menté avec le confinement. Ce n’est
pas assez pour compenser toutes
les pertes de débouchés. Les pro-
ducteurs de fromages sous appella-
tion en savent quelque chose. Ils ont
vu s’envoler de 60 à 80 % de leurs
commandes. « Sans possibilité de
stockage, ces produits sont détruits
aussi », dit encore la Confédération
paysanne. Dans les élevages, on
sent monter une vague d’affole-
ment. Aux quelques jours de sur-
commandes de viande provoquées
par l’annonce du confinement a
succédé une chute de consomma-
tion. « Les gens ne veulent pas faire la
queue au rayon boucherie. Le per-
sonnel manque aussi », explique
Paul Rouche, directeur délégué de
Culture viande, le syndicat des
entreprises de la viande.
Seul le steak haché se porte bien.
« Pour valoriser le reste de la carcasse
c’est très compliqué. En particulier
pour les pièces nobles comme l’entre-
côte » largement destinée à la restau-
ration. « Il y a 600.000 agneaux à ven-
dre. Un cinquième seulement sera
abattu en raison du marché », précise
Dominique Chargé. Pas question
de « stocker » les animaux à la
ferme. Passé l’âge auquel ils doivent
être vendus, 4 semaines pour
La France déborde de lait,
de viande, de fruits et légumes
La perte des clients
étrangers, la fermeture des
cantines et restaurants, des
marchés et des rayons frais
provoquent un engorge-
ment. La profession pare
à l’urgence mais demande
à la Commission euro-
péenne de jouer son rôle
de régulateur de marché.
Le trop-plein va fortement
s’aggraver.
Stockage du lait de montagne Mont Lait, en Auvergne. Le trop-plein a été réorienté vers le stockage
sous forme de beurre et de poudre. Photo Patrick Allard/RÉA
Dominique Chapuis
[email protected]
Le Monopoly, La Bonne Paye, le
Scrabble... Depuis le début du
confinement, mi-mars, les ven-
tes de jeux de société explosent
en France. La première semaine
où les Français ont été
contraints de rester chez eux, et
les écoles ont été fermées (du 16
au 22 mars), elles ont enregistré
une croissance de 83 % par
comparaison à la même
période l’an dernier, selon le
cabinet NPD Group. Celles des
puzzles se sont carrément envo-
lées, en hausse de... 122 %! Dans
un secteur où l’innovation reste
forte, avec près d’un millier de
nouveaux jeux chaque année,
ce sont les valeurs sûres qui
l’emportent. Le Monopoly
d’Hasbro, qui fête ses 85
ans, s’arroge la première mar-
che du podium, suivi de La
Bonne Paye (Hasbro) et du
Scrabble de Mattel. Arrivent
ensuite le Uno ou encore Trivial
Pursuit, tandis que Ravensbur-
ger place trois de ses puzzles,
entre 500 et 1.500 pièces cha-
cun, dans le Top 10. Les enfants
ne sont pas seuls acheteurs, les
adultes aussi.
« Fédérer toute la famille »
« Dans cette période incertaine,
les Français optent pour les
grands classiques, qui ont fait
leur preuve depuis des généra-
tions. Ces jeux vont permettre
d’occuper et de fédérer toute la
famille », souligne Frédérique
Tutt, experte mondiale du mar-
ché du jouet chez NPD Group.
La France est déjà le pays
d’Europe où les ventes de jeux
de société et de puzzles sont les
plus élevées. En 2019, elles ont
enregistré une croissance de
10 %, à 578 millions d’euros,
selon NPD Group. Ce segment
est le premier du marché ( 16 %
en valeur), devant les poupées et
les jeux de construction.
Avec la pandémie, ils retrou-
vent une place centrale dans les
foyers. Un moyen de se retrou-
ver, et de diminuer les tensions.
Mais pas seulement. « En ce
40
MILLIONS DE LITRES DE LAIT
en trop, fin mars, sur les
22 0 millions collectés par
semaine, selon la Confédération
paysanne.
l’agneau, 6 mois pour le porc, 8 jours
pour le veau, l’animal est déclassé. Il
ne convient plus au marché auquel il
est destiné. Les fruits et légumes
souffrent aussi beaucoup de la fer-
meture des marchés et de la décon-
sommation du frais. « Une partie des
produits ne sont pas récoltés. Une par-
tie est donnée, les fraises et les asperges
sont bradées », selon Interfel. Des
voix commencent à se faire enten-
dre au Parlement européen dont
celle de Eric Andrieu, élu socialiste.
« Pour éviter de graves dérégula-
tions des prix alimentaires, des mil-
liers de fermetures d’exploitation ou
un gaspillage sans précédent, il est
urgent que l’Union européenne accé-
lère la mise en place de stocks alimen-
taires et que la Commission joue son
rôle de régulateur des marchés »,
exhorte le député.n
Passé l’âge auquel ils
doivent être vendus,
4 semaines pour
l’agneau, 6 mois
pour le porc, 8 jours
pour le veau, l’animal
est déclassé.
zon n’est autre que « Tous à l’abri »,
du rappeur Rohff. Revue de détail.
- RAZZIA SUR
L’INFORMATIQUE
A Auchan, le podium des meilleu-
res ventes est occupé par trois réfé-
rences de cartouches d’encre pour
imprimantes. Les autres distribu-
teurs font le même constat : l’encre
est le nouvel or noir! La généralisa-
tion du travail à domicile, les cours
en ligne pour les 12,3 millions d’élè-
ves, les attestations de sortie sont
autant de raisons de faire des
impressions à domicile.
En quinze jours, pas moins de
150.000 ramettes de papier ont été
vendues dans les enseignes Auchan
de l’Hexagone, un bond de 200 %
comparé aux semaines précédant
le confinement. La fièvre acheteuse
a logiquement touché aussi les
imprimantes. Les chiffres sont élo-
quents : Auchan a écoulé 50 %
d’imprimantes et d’ordinateurs en
plus qu’une période « normale ». « Il
y a eu un pic d’affluence dès la ferme-
ture des écoles, les gens ont compris
qu’il leur fallait des ordinateurs et des
équipements pour leurs enfants »,
témoigne-t-on chez l’enseigne.
Par ailleurs, pour occuper leur
progéniture les parents ont misé sur
les jeux de société et les puzzles.
« Toute la partie livres, jeux de société,
jeux familiaux et jeux éducatifs a
explosé », confirme le directeur
commercial de FNAC Darty, Vin-
cent Gufflet. « Les cours à domicile
pour les enfants de moins dix ans ne
durent pas huit heures par jour, il faut
pouvoir les amuser sans forcément
les mettre devant une tablette », pour-
suit-il. Le confinement n’a, en revan-
che, pas favorisé les DVD. « Leurs
ventes continuent d’être en baisse, les
gens privilégient désormais les plate-
formes de streaming », interprète-
t-on chez un distributeur français.
- RETOUR EN CUISINE
Juste avant la quarantaine, les Fran-
çais ont d’abord fait des réserves
d’alimentation dans les supermar-
chés et acheté de quoi les stocker.
« Les réfrigérateurs et congélateurs
ont été pris d’assaut chez Darty »,
constate Vincent Gufflet. Les lave-
linge n’ont pas non plus été en reste,
ainsi que tout le gros électroména-
ger en fin de vie que certains tar-
daient à remplacer.
« L’autre segment en plein essor est
celui de la cuisine maison », ajoute ce
dernier. Robots cuisiniers, yaourtiè-
res, sorbetières, machines à pain,
gaufriers... les consommateurs se
dirigent de plus en plus vers le fait
maison. D’où, dans les supermar-
chés la demande exponentielle en
« produits de base de l’alimentation
comme la farine, les œufs, le sucre, le
beurre sans oublier la levure », expli-
que une porte-parole de Monoprix
et Franprix, enseignes du groupe
Casino.
Même écho chez Auchan où une
anecdote circule, celle du consom-
mateur qui avait commandé
600 litres de lait dans un drive le
premier jour du confinement. « De
quoi faire beaucoup de gâteaux »,
plaisante-t-on. D’autres se lancent
même dans la confection de pâtes,
avec des machines à spaghetti.
Les Français ont également redé-
couvert l’usage d’appareils électro-
ménagers. « On observe un vrai
retour des consommateurs vers des
outils qu’ils avaient déjà mais qu’ils
avaient délaissés ne sachant pas bien
s’en servir. Nous sommes donc en
train de lancer des tutos pour appren-
dre à utiliser certains petits électro-
ménagers », explique Vincent
Gufflet chez FNAC Darty.
- FRÉNÉSIE SUR L’HYGIÈNE
Qui dit épidémie et confinement, dit
nécessité de se protéger. Dans tou-
tes les enseignes du groupe Casino,
un article est particulièrement plé-
biscité : les gants de ménage, avec
une hausse des ventes de 276 %
comparée à la semaine dernière. Ce
que confirme d’ailleurs les chiffres
de l’institut IRI sur les achats des
Français cette semaine.
L’eau de Javel n’est pas très loin
derrière, en hausse de 81 % chez
Monoprix et Franprix. Les produits
vaisselle ont aussi la cote, à + 9 0 %
sur sept jours. « On est chez soi, on
fait le ménage », résume une porte-
parole du groupe Casino. Et on
désinfecte. Car la pandémie de
Covid-19 a réveillé une angoisse
hygiéniste dans la population.
Chez Darty, les purificateurs d’air se
vendent comme des petits pains,
« surtout lorsqu’on sait que l’air inté-
rieur est au moins aussi pollué que
l’air extérieur », renchérit Vincent
Gufflet.
Sur Amazon, tout ce qui ressem-
ble de près ou de loin à des équipe-
ments de protection s’écoule en
quelques minutes. Gants en latex,
masques anti-poussière, et même
masques « design ». Une des réfé-
rences les plus vendues dans la caté-
gorie vêtements est un « masque de
protection contre les infections en
soie tricotée ».
L’e-commerce révèle d’autres
succès. Dans le baromètre des ven-
tes d’Amazon, sur le segment
beauté et parfum, les tondeuses et
teintures pour cheveux sont au
sommet des ventes. Tondeuses à
cheveux et barbes, épilateurs,
machines pour faire chauffer la
cire... les Français développent de
nouvelles compétences.n
Tondeuses, sorbetières, imprimantes... les produits que les Français s’arrachent
Hélène Gully
@Gullylen
Enfermés depuis quinze jours, les
Français revoient leurs listes de
courses... et de priorités. Délais-
sant les hypermarchés au profit
des commerces de proximité et de
l’e-commerce, la population a
bousculé ses habitudes de con-
sommation. Et bouleversé le top
des ventes des magasins et des
sites marchands, avec quelques
surprises.
« Les Echos » ont sondé les distri-
buteurs pour comprendre quels
étaient désormais les besoins des
Français. Un indice : le troisième
album le plus téléchargé ces der-
niers jours sur la plateforme Ama-
Les Français n’ont plus les
mêmes priorités au temps
du confinement. Délaissant
les hypers au profit des
commerces de proximité
et de l’e-commerce, ils ont
bouleversé le top des ventes,
avec quelques surprises.
moment ces jeux sont le meilleur
moyen de faire sortir les enfants
de devant les écrans », estime
Franck Mathais, le porte-parole
de JouéClub. Quant au succès
des puzzles, il s’explique par « le
besoin d’avoir un projet dans le
temps, alors qu’il y a peu de visibi-
lité sur la fin du confinement,
estime le spécialiste. C’est une
activité récurrente, qui donne un
objectif, et beaucoup de satisfac-
tion quand il est atteint ».
Si tous les magasins de jouets
sont fermés, les achats en ligne
sont possibles. L’an dernier,
Internet au total a représenté
27 % des ventes. Si Amazon a
réduit son activité aux secteurs
prioritaires, il reste possible tou-
tefois de commander. Les sites
des enseignes comme JouéClub
ou King Jouet sont aussi dispo-
nibles. Comme ceux de certains
fabricants. Il faut juste s’armer
de patience. Car les livraisons
passent désormais seulement
par La Poste, dont l’activité a été
réduite. C’est aujourd’hui un
motif d’inquiétude.
Sur le site de Schleich, le fabri-
cant de figurines, la hotline
croule sous les questions : avant
toutes commandes, les inter-
nautes veulent s’assurer qu’ils
pourront bien recevoir leur
colis. Depuis le confinement, les
ventes e-commerce du numéro
un mondial des figurines ont été
multipliées par 3 en France.
Avec en vedette les animaux de
la ferme. Le groupe allemand a
mis en ligne des contenus péda-
gogiques, afin de créer de petites
histoires. Un moyen aussi de
réunir petits et grands. L’activité
pourrait repartir sur la Toile
dans les prochains jours.
Pâques est l’autre temps fort du
marché du jouet après Noël.
« Après trois semaines de parties
de Monopoly, les gens vont avoir
envie de renouvellement, estime
Franck Mathais. N’oublions pas
aussi que chaque jour se fêtent
des anniversaires. Il faut antici-
per pour être sûr de recevoir les
cadeaux à temps. C’est impor-
tant, car cela crée aussi de la joie à
leur réception. »n
Les ventes de jeux
de société, comme celles
de puzzles, ont explosé
la première semaine
de confinement,
entre le 16 et le 22 mars.
Les confinés
se ruent sur
les jeux de société
Le Monopoly
d’Hasbro, qui fête
ses 85 ans, s’arroge
la tête des ventes.