Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

22 //ENTREPRISES Lundi 6 avril 2020 Les Echos


CORONAVIRUS


Dans les coulisses des TGV médicalisés


de la SNCF


Denis Fainsilber
[email protected]


Depuis quelques jours et pour
encore un certain temps, les rota-
tions de « Chardon 2 » et « Char-
don 3 » vont s’intensifier sur le
réseau ferroviaire national, lui-
même plus vide que jamais en
l’absence de 93 % des trains. Ces
deux rames de TGV évacuent en
alternance, sur une base quasi quo-
tidienne, les malades des régions
Grand Est et Ile-de-France, vers les
hôpitaux d’une grande moitié ouest
de la France, pour soulager les ser-
vices d’urgence de ces deux régions
au bord de l’implosion. Des moyens
impressionnants déployés en plus
des hélicoptères de la Sécurité
civile, et des avions des armées fran-
çaise et allemande.


Tandis que la première demande
formelle du ministère chargé de la
Santé a été adressée le 23 mars à la
SNCF, le groupe ferroviaire natio-
nal a pu aligner deux jours plus tard
son premier convoi, spécialement
réaménagé afin de recevoir 4 bran-
cards par voiture, et le nombreux
personnel soignant afférent.
S’il a pu répondre aussi vite au
donneur d’ordre, c’est que ce plan
d’évacuation sanitaire avait déjà
germé en haut lieu après les atten-
tats de novembre 2015. Le profes-
seur Pierre Carli, président du
Conseil national de l’urgence hospi-
talière, a imaginé ce vecteur man-
quant dans la panoplie des secours.
Il a donné lieu à un discret exercice


Pour la première fois,
les autorités de santé
transportent des malades
vers l’ouest de la France
avec deux TGV transformés,
sur une base quasi
quotidienne. Un nouveau
complément aux avions
et hélicoptères.


Les malades sédatés


sont installés dans


leur partie basse


une fois les dossiers


des sièges démontés.


La salle haute


est dévolue aux


soignants, à raison


de 6 par voiture.
grandeur nature, en mai 2019,
simulant un transport de victimes
d’attentat au départ de la gare de
Metz (« Opération Chardon »), avec
le Samu et l’AP-HP, selon une
source interne à la SNCF.


De nombreux volontaires
Sur le plan financier, chaque mis-
sion actuelle est évaluée à environ
100.000 euros, mais l’entreprise ne
les facturera pas à l’Etat, estimant
prendre ainsi sa part en nature à
l’effort des entreprises dans la lutte
contre le Covid-2019.
Les rames déployées sont des
TGV Duplex, que les médecins
jugent particulièrement stables à
haute vitesse par rapport aux héli-
coptères, et capables de transporter
un volumineux matériel. Les mala-

des sédatés sont installés dans leur
partie basse une fois les dossiers des
sièges démontés, tandis que la salle
haute est dévolue aux soignants, à
raison de 6 par voiture. Une autre
partie de la rame, non médicalisée,
transporte les représentants, tous
volontaires, de nombreux métiers
de la SNCF : chef de bord, traction,
sûreté maison pour éviter les vols,
jusqu’à un dépanneur électrique
pour veiller au fonctionnement des

respirateurs. Les agents de
conduite abordent les courbes
d’une façon particulière, plus cou-
lée qu’en service commercial.
Complexe à mettre en œuvre
avec de nombreux intervenants, et
décrié par certains soignants et
ambulanciers qui dénoncent des
moyens démesurés, ce déploie-
ment technique très médiatisé est
en fait la reprise d’une idée très
ancienne : celle des « trains sanitai-
res permanents ».
En France, dès 1889, les compa-
gnies privées ancêtres de la SNCF
avaient livré, à la demande des auto-
rités de santé militaire, des trains
destinés à évacuer des grands bles-
sés, selon le fil d’information
interne de la SNCF. Médecins, infir-
mières et pharmaciens disposaient

de leurs propres wagons, attelés à
ceux des blessés sur brancard.

Des voitures « ambulance »
Mais pendant la Première Guerre
mondiale, l’énormité des besoins
en matière d’évacuation depuis le
front a rendu ces convois dépassés.
Dans les années 1920, néanmoins,
l’idée a refait surface avec les voitu-
res dites « sanitarisables » : des
trains classiques dont une partie
du mobilier intérieur pouvait se
démonter pour loger des civières.
Après la Seconde Guerre mon-
diale, la SNCF a aligné sur certains
trains des voitures à places cou-
chées dites « ambulance », notam-
ment des Corail transportant des
malades ou des pèlerins en route
pour Lourdes.n

Les rames déployées sont des TGV Duplex, que les médecins jugent particulièrement stables à haute vitesse par rapport
aux hélicoptères. Photo Thomas Samson/Pool/AFP.

100


MILLE EUROS
Le coût de chaque mission
d’évacuation sanitaire par TGV.

Fabio Ferrari est le
fondateur de Symbio,
une start-up spécialisée
dans les piles à hydro-
gène pour véhicules.

« Il ne faut


pas rajouter


de l’angoisse


à l’angoisse... »


CHRONIQUE
DU VIRUS
Fabio
Ferrari

Je n’ai pas hésité cinq minutes.
J’ai compris très vite la gravité
de ce qui s’était passé en Chine
et de ce qui se passait en Italie,
ma première préoccupation a
été de mettre tout le monde en
sécurité. C’était pour moi une
évidence. Dès le jeudi précé-
dant l’annonce du gouverne-
ment, j’ai convoqué un comité
de direction, et nous avons
décidé d’organiser la fermeture
de nos sites et de passer l’essen-
tiel des salariés en télétravail.
Nous avons deux activités qui
ne peuvent pas être effectuées à
distance : la production et les
bancs de test. Nous avons arrêté
la première, ce qui a placé envi-
ron 10 % de nos 200 salariés en
chômage technique. Et les gens
des bancs de test sont passés sur
des travaux de back-office, le
temps de mettre en place une
nouvelle organisation du tra-
vail. Il y a eu quelques flotte-
ments au début. Mais on a eu
une petite chance, c’est qu’on
avait dans l’équipe une per-
sonne formée à la gestion de
crise. On a tout de suite adopté

des méthodes de grands grou-
pes. On a mis en place un
comité de crise, avec un chat
noir qui vérifie que nous avons
toujours pensé au pire, par
exemple. On a travaillé aussi
avec nos maisons mères via des
comités miroir, sur les mesures
sanitaires, les relations avec les
clients ou les fournisseurs...
Dans les start-up, on est habi-
tués aux crises, on en a vécu
plein, mais celle-là est unique!
On n’a aucun repère, aucune
expérience. On est obligé de
penser différemment. Assez
vite, passé le flottement du
début, on a vu se mettre en
place une solidarité entre les
acteurs de l’hydrogène, on a fait
des plans d’action ensemble. Ça
m’a fait plaisir.
En interne, il a fallu s’adapter
au travail en visio. Il faut tout
particulièrement faire atten-
tion aux relations entre les
gens. Il y a une autre maladie,
qui consiste à en faire plus,
quand on peut passer d’une
réunion à l’autre en un clic. On
doit aussi tenir compte du fait
que les enfants sont à la maison.
Nous avons mis en place
cette semaine ce que nous
appelons une organisation par
exception. Nous avons identifié
les tâches obligatoires pour ne
pas compromettre nos pro-
grammes clients, et nous avons
défini un protocole sanitaire
pour que tout le monde tra-
vaille en sécurité. Une dizaine
de salariés sont déjà retournés
au bureau. Mais nous avons
absolument évité de parler de
réouverture partielle du site.
L’une des grandes difficultés est
de trouver une communication
lisse, qui évite de rajouter de
l’angoisse à l’angoisse.n

On n’a aucun
repère, aucune
expérience. On est
obligé de penser
différemment.

Les pompes funèbres proposent un « service réduit »


Yann Duvert
@YannDuvert


Les 600 agences de Funecap,
société notamment propriétaire de
la marque Roc Eclerc, jouent un
rôle essentiel alors que l’épidémie
de coronavirus continue de se pro-
pager. Mais le secteur des pompes
funèbres n’a pas grand-chose à
gagner dans cette crise, assurent les
cofondateurs, Xavier Thoumieux et
Thierry Gisserot.


Le gouvernement a annoncé
avoir recensé « au moins 884 »
décès dans les Ehpad français.
Ce chiffre correspond-il
aux remontées du terrain?
Nous constatons une forte morta-
lité dans les Ehpad, en particulier
dans le Grand Est. Nos estimations
font état d’un pourcentage de décès
approchant les 40 % en Ehpad ou
au domicile des défunts, contre
60 % à l’hôpital. Même s’il convient
d’interpréter ces chiffres avec pru-
dence, le nombre total de décès
pourrait donc être sous-estimé.


Avez-vous rencontré
des difficultés pour équiper
vos employés?

L’une des problématiques de cette
crise est liée au matériel de protec-
tion, notamment les tenues et les
masques. Nous en avions heureuse-
ment en stock, mais celui-ci a dimi-
nué très rapidement. Et comme
nous ne faisions pas partie des pro-
fessions prioritaires, il était très dif-
ficile d’y avoir accès. A quatre repri-
ses, l’Etat a réquisitionné les
commandes que nous avions effec-
tuées. Nous avons écrit au ministre
de l’Intérieur, pour que nos équipes
aient accès, comme les personnels
soignants, à ces équipements de
protection individuelle.
Christophe Castaner a finale-
ment décidé d’inscrire, le 27 mars,
les opérateurs funéraires parmi les
bénéficiaires prioritaires. C’était
indispensable pour que le person-
nel ne tombe pas malade, mais
aussi pour éviter de générer un
stress et d’éventuelles défections.

Pour les décès liés au Covid-19,

les règles ont plusieurs
fois changé...
D’un point de vue juridique, les
recommandations ont été évoluti-
ves. Il est normal que les règles en
temps de crise ne soient pas celles
du temps normal, mais il nous a été
souvent difficile d’expliquer sur le
terrain que la règle de la veille n’était
plus celle du lendemain. Au début,
la mise en bière immédiate des
défunts avait été décidée, avant que
les autorités ne changent d’avis, puis
reviennent à leur recommandation
initiale. Idem pour les cérémonies,
d’abord autorisées dans la limite de
100 personnes, puis 20, etc. Les auto-
rités sont cependant de plus en plus
à l’écoute et la situation se stabilise.

Observez-vous une hausse
des arrêts de travail au sein
de vos effectifs?
Il y a bien eu un moment d’incerti-
tude au début de la crise, mais tout
le monde s’est ensuite mis au travail
avec un dévouement qu’il faut
saluer. Il ne faut pas oublier que
nous sommes un service public.

de notre activité – la vente et l’ins-
tallation de monuments funé-
raires – est à l’arrêt. D’autre part, les
contraintes concernant les soins,
la toilette mortuaire ou les cérémo-
nies font que le service que nous
proposons est réduit. Enfin, si l’on
constate bien une hausse de notre
activité dans certaines régions, la
mortalité est dans l’ensemble plus
faible que d’habitude, notamment
grâce au confinement (baisse des
accidents de voiture) et à la grippe
saisonnière, qui n’a pas fait beau-
coup de victimes.
D’une manière générale, per-
sonne ne se réjouit lorsqu’une telle
crise survient, puisqu’elle modifie
l’organisation de l’entreprise et
appauvrit nos capacités à répondre
aux demandes des familles. Nous
réfléchissons d’ailleurs aux moyens
de répondre post-confinement aux
attentes qui n’auront pu être satis-
faites. Au passage, cette crise a aussi
un coût direct, puisque nous avons
dépensé plusieurs centaines de mil-
liers d’euros pour acheter du maté-
riel de protection.n

Aujourd’hui, nous avons un taux
d’absentéisme légèrement supé-
rieur à la moyenne, mais essentiel-
lement dû aux gardes d’enfants.
Globalement, nos équipes se sont
vite adaptées : beaucoup ont connu
la crise de la canicule en 2003, par
exemple. C’est un métier de devoir
et, en très grande majorité, les sala-
riés montrent un engagement sans
faille. N’oublions jamais que, sur le
plan humain, notre mission est
avant tout d’accompagner les
familles face au deuil. Tout ce qui
nous limite en la matière est très dif-
ficile à vivre pour chacun des mem-
bres de l’entreprise.

On pourrait croire que
le secteur des pompes
funèbres « profite »
d’une telle crise sanitaire...
Pas du tout. D’une part, tout un pan

XAVIER THOUMIEUX
et THIERRY GISSEROT
Cofondateurs
de Funcap
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