res à 17 heures sans pause », a plaidé
Jeff Katzenberg. Avec le confine-
ment, le temps passé sur les servi-
ces de streaming aux Etats-Unis
explose et la nouvelle plateforme,
qui a levé 1,75 milliard de dollars,
espère capturer une partie de cette
hausse. Mais les consommateurs
ont déjà accès à une multitude
de services, et la crise finan-
cière pourrait les conduire à privi-
légier ceux gratuits, comme
PlutoTV et Tubi. HBO a aussi
annoncé jeudi mettre plusieurs de
ses séries phares comme « The
Wire » et « Les Soprano » en libre
accès temporaire.
Contenus originaux
Quibi a réagi en allongeant sa
période d’essai gratuite de deux
semaines à trois mois. Jeff Katzen-
berg espère qu’une partie des utili-
sateurs s’abonnera ensuite pour
7,99 dollars par mois ou 4,99 dol-
lars avec de la publicité. 15 % des
abonnés à l’opérateur T-Mobile,
soit près de 10 millions d’Améri-
cains, auront également accès gra-
tuitement à la plateforme pendant
un an. Quibi met en avant un catalo-
gue impressionnant de contenus
originaux : plus de 175 films, docu-
mentaires et émissions découpés
en 9.600 épisodes de 4 à 10 minutes
seront disponibles au cours de la
première année. La société
démarre ce lundi avec une cinquan-
taine d’entre eux, dont un film sur
un vétéran de la guerre d’Irak pro-
duit par Antoine Fuqua, le réalisa-
teur de « Spider-Man », et un docu-
mentaire produit par le joueur de
basket LeBron James. La plate-
forme a attiré les talents avec des
chèques généreux et en leur offrant
la possibilité de diffuser ailleurs
leurs vidéos au bout de deux ans et
le contrôle entier de la propriété
intellectuelle au bout de sept.
Quibi se prévaut aussi de sa tech-
nologie « unique » de visionnage
des vidéos sur mobile aussi bien en
position verticale qu’horizontale,
même si un contentieux est ouvert
sur cette fonctionnalité avec la
société Eko. Mais son pari de se can-
tonner au smartphone, sans possi-
bilité de regarder ses contenus sur
un téléviseur, est risqué, comme le
montrent les échecs de ses prédé-
cesseurs, go90, une filiale de l’opé-
rateur Verizon, et Vessel, sans par-
ler des fermetures des français
Studio+ et Blackpills, pionniers du
domaine mais bien moins financés.
« Dans le milieu, Quibi est comparé à
WeWork : la société essaye de se ven-
dre comme une entreprise technolo-
gique alors qu’elle est une banale
société de contenus. Le fait de mettre
l’accent là-dessus plutôt que de cher-
cher à diffuser au maximum son
excellent catalogue ne l’aide pas »,
juge Jonathan Rogers, analyste
chez Global HQ, un cabinet
conseillant plusieurs studios
hollywoodiens.
Scepticisme
Le ciblage d’abonnés potentiels à
un tel service conçu pour le mobile
fait aussi parfois l’objet d’un certain
scepticisme. « Ce sont surtout les
adolescents qui passent leur temps à
regarder des vidéos sur mobiles, alors
que les 2 5-35 ans qu’ils visent privilé-
gient encore le téléviseur, abonde
Will Richmond, le PDG de Video-
nuze, un cabinet de consulting spé-
cialisé dans les contenus télévisés.
Et les adolescents ne mesurent pas la
qualité d’un contenu avec les critères
traditionnels utilisés par Quibi, qui a
misé sur des grands noms, comme le
montre le succès de TikTok. »n
Quibi, le dernier-né des services de streaming,
débarque lundi aux Etats-Unis
Anaïs Moutot
@AnaisMoutot
— Correspondante à San Francisco
Des vidéos de dix minutes maxi-
mum à regarder en attendant son
bus ou en faisant la queue au Star-
bucks. C’est dans ces termes que
Jeff Katzenberg, l’ancien président
de Disney et cofondateur de
DreamWorks, et Meg Whitman,
l’ancienne patronne d’eBay et de
Hewlett-Packard, ont pitché Quibi.
Avec le confinement, la proposition
a perdu en pertinence. Les deux
dirigeants ont cependant décidé de
maintenir le lancement de l’appli-
cation aux Etats-Unis au lundi
6 avril. « Vous avez autant de
moments entre deux activités qu’il y a
un mois. Ils sont juste différents.
Aujourd’hui, c’est un break entre le
moment où vous faites les devoirs
avec vos enfants et les divertissez,
puis celui où vous répondez à des
e-mails et faites des Zoom. Vous ne
pouvez pas faire ces choses de 9 heu-
La plateforme de vidéos
en format court de Jeff
Katzenberg et Meg Whit-
man espère bénéficier
de la hausse du temps
passé devant les écrans
avec la crise.
Laura Linney et Jason Bateman dans « Ozark », une série Netflix. Photo Steve Deitl / Netflix
consumer » (mise à disposition de
leur contenu sans distributeurs en
salle ou via des bouquets de chaînes)
au moment où leurs autres métiers
sont fragilisés. « Si les investisseurs
détestaient les projets de conversion
des grands médias [vers la SVoD défi-
citaire] pendant une économie en
plein boom, ils ne vont certainement
pas apprécier de financer des pertes à
long terme pendant une période de
récession », souligne Matthew Ball. Il
explique aux « Echos » que « l’éco-
système de la télévision payante en
Europe est bien plus sain qu’aux
Etats-Unis », mais la période
actuelle va accélérer le déclin de la
télévision payante traditionnelle.
Disney a en outre des parcs à thème,
aujourd’hui fermés...
L’activiste Elliott a déjà AT&T,
maison mère de WarnerMedia, en
ligne de mire. Dans ce contexte, les
vieux médias pourraient-ils être
tentés de rouvrir leur catalogue à
Netflix, qui saurait les valoriser
mieux qu’eux, pour reconstituer
leurs marges? Ou encore à Apple
ou Amazon. Pour ces deux Gafa, la
SVoD n’est qu’un bonus conduisant
à d’autres services ou produits,
mais ils restent pleins de ressources
malgré la crise sanitaire. La ques-
tion va se poser...n
lLes taux d’abonnement à Netflix, Disney+, Hulu explosent.
lPour Disney et WarnerMedia (HBO), réaliser la transition vers la vidéo par abonnement en pleine tempête
sur les métiers historiques ne se fera pas sans pression des actionnaires.
Pour les géants de la SVoD, le confinement
n’est pas qu’une bénédiction
Nicolas Madelaine
@NLMadelaine
« Tout le monde est prisonnier à la
maison, je ne comprends pas pour-
quoi HBO Max [le futur service de
vidéo par abonnement de Warner-
Media qui va démarrer en mai] ne se
lance pas maintenant », s’interro-
geait cette semaine l’analyste Rich
Greenfield, de LightShed, sur CNBC.
De fait, sur leur marché domestique
américain, les géants de la SVoD
engrangent les nouveaux abonnés à
un rythme impressionnant, selon
des chiffres d’Antenna, cités par
l’analyste Matthew Ball, dans un
essai à lire sur l’impact de la crise sur
la télévision payante. Presque qua-
tre fois plus que pendant les semai-
nes précédentes pour Disney+, deux
fois pour Hulu (du groupe Disney),
un tiers de plus pour Netflix, déjà
très présent aux Etats-Unis, etc.
L’Europe semble connaître un
engouement similaire.
Netflix devra renouveler
son catalogue
A n’en pas douter, la crise accélère
l’adoption de la vidéo à la demande,
qu’elle soit par abonnement (SVoD)
ou, moins répandue en Europe,
financée par la publicité (AVoD). Et
ce, à un coût d’acquisition marke-
ting et publicitaire de nouveaux
clients quasi nul! Pourtant, la crise
ne sera pas sans conséquences pour
les géants américains de la SVoD,
qui, à l’instar de Netflix, Amazon
Prime, Apple TV, Disney+, etc., sont
de plus en plus présents en France.
Pour Netflix, le numéro un
d’entre eux, le problème est surtout
le renouvellement de son catalogue
à moyen terme, à un moment où les
grands studios lui ont déjà fermé le
leur, ce qui a déjà considérablement
réduit son offre (40 % de films en
AUDIOVISUEL
mes : arrêt des tournages et de la
post-production, indisponibilité́
des programmes étrangers avec la
suspension des doublages, retards
sur la livraison des contenus »,
souligne le groupe.
Difficile aussi de mobiliser
les maisons mères, en cette
période compliquée où la publi-
cité chute. Les groupes privés
ont eux-mêmes dû revoir à la
baisse leurs coûts de grille et faire
des ajustements (par exem-
ple raccourcir des program-
mes etc.) pour continuer à
avoir de la nouveauté.
Certains pensaient que le lan-
cement aurait pu intervenir plus
tôt, pour profiter de la période de
confinement, durant laquelle les
Français sont friands de télévi-
sion et de SVoD. Si sur le plan
technique, un lancement en
amont avait été vraisemblable-
ment possible, Salto, un service
payant, n’aurait pas pu proposer
beaucoup de nouveautés. Or, c’est
un élément qui devait permettre
de faire la différence dans un
marché très concurrentiel.
Selon nos informations, Salto
serait, par ailleurs, en train de
revoir ses prix à la baisse, pour
mieux tenir compte des offres
des géants américains, tels
Disney+ qui se lance en France
la semaine prochaine.n
Marina Alcaraz
@marina_alcaraz
Le lancement de Salto est sur le
point d’être reporté en raison de
l’épidémie du coronavirus. La
plateforme de France Télévisions,
M6 et TF1 en vidéo à la demande
par abonnement devait être
lancée en prétest le 3 juin ouvert
à tous, avant un grand lance-
ment en septembre.
Or, compte tenu de l’arrêt de
nombreux tournages, et des diffi-
cultés d’approvisionnement en
« programmes frais », Salto va
devoir changer son dispositif.
Même si le groupe refuse de par-
ler d’un report, il modifie claire-
ment sa feuille de route.
Au départ, le lancement début
juin devait être ouvert à tous : il se
fera début juin, mais désormais
en version bêtatest « privée »,
ouvert seulement à un certain
nombre de personnes. Parallèle-
ment, le lancement commercial
initialement prévu en septembre
pourrait « glisser » à « l’automne
2020 », précise le groupe.
« L’état d’urgence sanitaire et les
contraintes liées au confinement
ont de fortes incidences pour
l’ensemble des médias audiovi-
suels avec des reports sur toute la
chaîne de fabrication des program-
Compte tenu de la crise
sanitaire, le lancement
prévu de Salto le 3 juin,
en prétest ouvert à tous,
se fera finalement sous la
forme d’un bêtatest privé.
Et le lancement commer-
cial du « Netflix français »
de France Télévisions,
M6 et TF1, pourrait être
plus tardif que prévu
cet automne.
Le lancement
commercial de Salto
sur le point
d’être reporté
Salto serait, par
ailleurs, en train
de revoir ses prix
à la baisse, pour
mieux tenir compte
des offres des
géants américains.
moins en cinq ans, 2 5 % de séries en
moins, selon Reelgood, même si
c’est variable selon les pays). Impos-
sible, en effet, de tourner des pro-
ductions originales, et pour com-
bien de temps? Cela se ressentira à
moyen terme : il y a un décalage de
plus d’un an avant la mise en ligne.
Or, dans ce qu’il fait valoir auprès de
ses clients, « le mode opératoire de
Netflix est basé sur des abonnés qui
finissent chaque mois avec l’impres-
sion de ne pas avoir le temps de tout
voir », dit Matthew Ball.
Certains se sont aussi inquiétés
pour l’accès aux marchés financiers
de Netflix, puisqu’il consomme près
de 4 milliards de dollars de cash-
flow par an et a besoin de lever de la
dette régulièrement. Mais, en fait,
comme l’a montré l’émission géante
de dettes de T-Mobile pour racheter
Sprint ces jours-ci, les investisseurs
sont toujours prêts à financer les
métiers moins affectés par la crise.
En outre trois quarts de la dette de
Netflix n’arrivent pas à échéance
avant 2025.
Elliott activiste
chez AT&T WarnerMedia
Paradoxalement, ce sont les niveaux
de dette très élevés des vieux géants
des médias que les investisseurs
pourraient scruter d’encore plus
près. D’après Matthew Ball, Disney,
avec Disney+ et Hulu, et WarnerMe-
dia, avec HBO Max, se lancent dans
une conversion au « direct-to-
Dans ce contexte,
les vieux médias
pourraient-ils être
tentés de rouvrir
leurs catalogues
à Netflix, qui saurait
les valoriser
mieux qu’eux?
1 , 75
MILLIARD DE DOLLARS
Le montant levé
par la plateforme Quibi.
HIGH-TECH & MEDIAS
Les EchosLundi 6 avril 2020