Les sorties, c’est-à-dire les rachats
de start-up, qui permettent aux
investisseurs de retrouver leur
mise, multipliée si les choses se pas-
sent bien, étaient déjà faibles en
France. La crise du Coronavirus ne
va pas arranger les choses et risque
de les mettre totalement à l’arrêt,
selon Romain Dehaussy, associé
chez Cambon Parters: « Sur les pro-
chains mois, je m’attends à ce qu’il y
ait de petites opérations, pas chères et
qui permettent aux grands groupes
de se digitaliser, mais c’est tout. »
Dans la French Tech, le coup
d’arrêt se fait déjà sentir. Dans le sec-
teur de l’éducation, une start-up qui
était sur le point de fusionner avec
son concurrent américain pour
15 millions d’euros a vu l’opération
capoter. Alors que cette dernière
était sur le point d’être signée,
l’entreprise américaine a tempo-
risé, arguant que les tendances du
marché allaient impacter sa capa-
cité d’investissement.
Reprise en 2022
Sur les fusions et acquisitions tech-
nologiques, les observateurs
s’attendent à une voire deux années
blanches, à l’exception de petites
opérations ou de rachats « à la
casse » d’entreprises qui seraient
placées en redressement judiciaire,
« Les valorisations de sortie sont cal-
culées sur du chiffre d’affaires, de la
croissance, or elle va être plate en
2020, explique Arthur Porré, cofon-
dateur et managing partner de la
banque d’affaires Avolta Partner. La
reprise des fusions et acquisitions
n’aura pas lieu avant le deuxième
semestre 2021, voire 2022 ».
Cette latence de deux ans est éga-
lement le diagnostic de Benoist
Grossman, président de France
Digitale. « Ça va être comme en 2008,
on ne fera pas de sorties durant deux
ans, estime-t-il. La durée des fonds
d’investissement en capital-risque est
de 10 ans, deux ans de crise, ce n’est
pas grave ». Il ne reste plus aux inves-
tisseurs et entrepreneurs qu’à pren-
dre leur mal en patience. —De. L.
French Tech : les « sorties » pourraient être
à l’arrêt pour deux ans
La French Tech souffrait
déjà d’un manque de
rachats de ses start-up.
La crise devrait mettre
les belles opérations
en pause durant une
période équivalente
à celle de 2008.
La majorité des levées de fonds déjà bien engagées avant la crise du coronavirus sont signées, mais il est rare qu’elles ne fassent pas l’objet de renégociations. Photo iStock
Guillaume Bregeras
@gbregeras
Un an quasiment jour pour jour
avant le début du confinement en
France, Doctolib signe une opéra-
tion de 150 millions d’euros lui per-
mettant d’entrer dans le cercle très
restreint des licornes, ces sociétés
tech non cotées et valorisées plus
de 1 milliard de dollars. Il était alors
impossible de prédire l’hyper-
croissance que la jeune pousse
allait connaître un an plus tard,
dans le cadre du déploiement de la
téléconsultation pour affronter la
déferlante coronavirus, et qui ne
semble pas près de s’arrêter.
Autre pépite tricolore qui
pourrait s’appuyer sur les muta-
tions profondes que provoque le
virus dans notre économie :
360Learning. En avril 2019, elle
levait 41 millions de dollars pour
déployer son offre de formation
collaborative interentreprises.
Un montant bien supérieur aux
13 millions d’euros rassemblés
quelques jours plus tard par
Alsid, qui entérinait ainsi la plus
grosse levée de fonds dans la
cybersécurité française. Dans le
contexte de l’explosion des cybe-
rattaques, son outil de lutte pour-
rait également s’avérer une den-
rée utile pour les entreprises.
Un outil indispensable
Quelques jours avant l’été, c’est
une autre start-up évoluant dans
le domaine de la santé qui se dis-
tingue avec une opération de
20 millions d’euros : Lifen veut
alors plus de carburant pour
développer son outil de digitalisa-
Parmi les entreprises
tricolores qui ont bouclé
des levées de fonds
supérieures à 10 millions
d’euros lors des douze
mois précédant la crise
du coronavirus, plusieurs
battent de l’aile.
Covid-19 : sept start-up
qui peuvent tirer
leur épingle du jeu
Mais si les acteurs institutionnels
du capital-risque ont les moyens
d’aller au bout des levées engagées,
ce n’est pas le cas de tout le monde.
« Nous voyons des business angels se
retirer parce qu’ils ont perdu de
l’argent en Bourse », indique Adrien
Chaltiel, fondateur d’Eldorado, une
plateforme aidant les entrepre-
neurs à trouver des financements.
Plus de nouvelles levées
C’est ce qui est arrivé au fondateur
d’une toute jeune pousse en recher-
che d’argent pour accélérer la com-
mercialisation de son produit. Ce
dernier, qui témoigne de manière
anonyme, a vu quatre de ses busi-
ness angels se retirer du tour de
financement, au dernier moment.
« Je suis en train de faire le tour des
autres investisseurs pour m’assurer
que l’on pourra aller au bout tout de
même, explique-t-il. Si nous ne pou-
vons pas lever, ce sera très compliqué
pour nous, nous venons de prendre
des bureaux, et il ne nous reste que
cinq mois de trésorerie. » Il y a quel-
ques semaines, son tour de table
était pourtant largement sursous-
crit, et il refusait des investisseurs.
Mais les start-up les plus impac-
tées par la crise sont, sans doute,
celles qui étaient sur le point de se
lancer. Car si la majorité des inves-
tisseurs honorent les contrats déjà
avancés, tous affirment qu’ils ne
s’engageront pas dans de nouveaux
dossiers dans les prochaines semai-
nes. « Il y a une telle dose d’incerti-
tude sur le marché qu’il est impossi-
ble de déterminer une valorisation »,
explique Arthur Porré. Les investis-
seurs sont en outre concentrés sur
les entreprises de leur portefeuille.
« Ils n’ont pas forcément la tête à
regarder de nouveaux deals »,
abonde Benoist Grossman.
Madeleine Morley, cofondatrice
de la marque de croquettes pour
chiens et chats à base de farine
d’insectes Tomojo, se retrouve ainsi
face à un mur. « Nous avons lancé
notre “road show” il y a trois semai-
nes, raconte-t-elle. Les investisseurs
sont intéressés mais ils nous ont tous
dit que personne ne prendrait la déci-
sion d’investir maintenant. » La
start-up, qui cherche un million
d’euros, a pourtant vu la demande
pour ses produits exploser à la suite
de l’annonce du confinement.
Si cette période d’incertitude est
particulièrement difficile à traver-
ser pour les entrepreneurs, les
observateurs veulent croire que
l’écosystème en sortira assaini.
« C’est aussi une prise de conscience
du fait qu’il faut brûler moins de
cash, que ne pas être rentable ne per-
met pas d’être serein. Le secteur en
sortira grandit », estime Arthur
Porré. Et parmi les investisseurs,
dont nombre considéraient que les
valorisations s’envolaient dérai-
sonnablement ces derniers mois,
beaucoup se satisfont d’un retour à
la raison.n
lPlusieurs entrepreneurs racontent aux « Echos » avoir vu leurs levées de fonds renégociées ou annulées.
lFace à un marché bouleversé, les valorisations sont revues à la baisse.
Le rapport de force entre les entrepreneurs
et les investisseurs s’est inversé avec la crise
Déborah Loye
@Loyedeborah
« Nous devions signer notre levée de
fonds il y a trois semaines. Un de nos
principaux investisseurs s’est retiré,
puis l’autre nous a demandé de rené-
gocier les termes. » Cet entrepre-
neur, ayant souhaité garder l’ano-
nymat, emploie une centaine de
personnes dans un secteur touché
par la crise. En quelques jours, il a
vu sa levée de fonds tomber à l’eau,
faute d’un accord trouvé avec
l’investisseur restant. « Nous avons
été ouverts à la discussion, mais à
chaque rendez-vous, de nouvelles
conditions étaient posées, nous avons
finalement décidé de ne pas lever »,
raconte-t-il. Son entreprise étant
rentable, il a pu se permettre de
remettre l’opération à plus tard,
mais non sans frustration. « Je suis
naturellement très déçu car ce sont
six mois de travail qui avaient mené à
un résultat magnifique », soupire-
t-il.
Selon les observateurs, la majo-
rité des levées de fonds déjà bien
engagées avant la crise du coronavi-
rus sont finalement signées, mais il
est rare qu’elles ne fassent pas l’objet
de renégociations. « On parle de
baisses de 20 à 30 % de la valorisa-
tion, indique Arthur Porré, cofon-
dateur et managing partner de la
INVESTISSEMENTS
banque d’affaires Avolta Partners.
Nous conseillons aux entrepreneurs
de refuser quitte à attendre un peu,
mais pour ceux qui n’ont plus de tré-
sorerie, c’est difficile. »
Alors que le rapport de force pen-
chait de plus en plus du côté des
entrepreneurs ces derniers mois,
l’argent du capital-risque coulant
presque à flot, la situation s’est bru-
talement inversée avec cette crise.
« Les valorisations de février, qui
pour moi est le siècle dernier, ne sont
pas les valorisations de mars, tran-
che Benoist Grossman, président
de France Digitale et managing par-
tner d’Idinvest. Ce qui est important,
c’est que personne ne profite de la
situation. Il ne faut pas oublier que le
principal actif des investisseurs, c’est
la réputation. »
« Nous conseillons
aux entrepreneurs
de refuser quitte
à attendre un peu,
mais pour ceux
qui n’ont plus
de trésorerie,
c’est difficile. »
ARTHUR PORRÉ
Cofondateur et managing
partner de la banque d’affaires
Avolta Partners.
tion des échanges de documents
médicaux. Un élan stoppé net
avec l’apparition du Covid-19 en
France, mais qui sur le plus long
terme va s’avérer être un outil
indispensable pour assurer une
meilleure performance et une
meilleure coordination entre les
professionnels de santé.
25 millions d’utilisateurs
à travers le monde
Le début de la période estivale est
propice aux levées à plusieurs
chiffres avec, dès le 17 juin, un tour
de table d’un montant de 70 mil-
lions organisé pour soutenir Pay-
Fit. Cette jeune pousse parisienne
développe des outils de gestion de
paie dédiés aux TPE-PME. Mal-
gré la casse qui va s’opérer sur
cette classe d’entreprises dans le
souffle de la crise, la taille de son
marché paraît suffisamment
large pour qu’elle puisse conti-
nuer à y grandir.
Avec ses 1 1,2 millions d’euros
glanés en décembre dernier,
Yubo est l’un des rares acteurs
français à pouvoir émerger
auprès du grand public. Ce réseau
social vidéo qui compte déjà plus
de 2 5 millions d’utilisateurs à tra-
vers le monde pourrait s’appuyer
sur le temps disponible lié au con-
finement mondial pour doper
encore sa communauté. Un mou-
vement que pourrait aussi imiter
MWM (50 millions d’euros levés
il y a un mois). Ses outils de créa-
tion musicale et son objectif d’en
créer d’autres dans de nouveaux
secteurs lui offrent l’opportunité
de recruter plus rapidement que
prévu de nouveaux utilisateurs.n
Une poignée
d’entre elles
pourraient
s’en sortir
encore plus fortes.
START-UP
Les EchosLundi 6 avril 2020