Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

Les Echos Lundi 6 avril 2020 FINANCE & MARCHES// 29


d’exploitation ». A ce stade, le régu-
lateur considère que « le secteur
reste solide ». Cependant, il relève
que la crise a un « impact signifi-
catif » sur les ratios de solvabilité
des assureurs.
L’annonce de l’ACPR n’est pas
une surprise. Le régulateur avait
demandé cette semaine aux ban-
ques de s’abstenir de reverser une
partie de leurs profits aux action-
naires jusqu’au 1er octobre. Sur-
tout, l’autorité européenne char-
gée de la régulation du secteur de
l’assurance, l’EIOPA, avait invité
jeudi soir les assureurs et réassu-
reurs à suspendre le versement
des dividendes. Toutefois, l’auto-
rité n’est pas comme la Banque
centrale européenne, le supervi-
seur direct des grands groupes
d’assurance européens. Ses
déclarations ne sont pas donc
aussi contraignantes.

Des assureurs confirment
le versement de dividendes
Et les superviseurs nationaux euro-
péens ne sont pas tous aussi stricts.
En Allemagne, la BaFin a fait savoir
vendredi que certains groupes pou-
vaient maintenir leur dividende si
leur situation financière le permet-
tait. Dans la foulée, Allianz, le géant
européen de l’assurance, a
confirmé le versement de son

dividende et son programme de
rachat d’actions. Munich Re a fina-
lement fait de même. Le réassureur
allemand avait auparavant
annoncé qu’il n’atteindrait pas ses
objectifs 2020 et avait suspendu ses
rachats d’actions.
Dans ce contexte, AXA, qui
avait jusque-là promis de rému-
nérer ses actionnaires, entretient
encore le flou sur ses intentions.

Le poids lourd européen de
l’assurance a reporté vendredi
son assemblée générale du
30 avril au 30 juin « en vue de favo-
riser le dialogue avec les autorités
européenne, française et étrangè-
res du secteur de l’assurance ».
« Nous ne pouvons pas subir des
règles qui ne s’imposeraient pas à
nos concurrents européens,
notamment allemands », a justifié

Thomas Buberl, le directeur
général d’AXA dimanche dans le
« JDD ». Et de faire valoir que le
groupe est « solide » et ne bénéfi-
cie pas d’aides publiques.

CNP Assurances
sanctionné en Bourse
Reste pour l’assureur français à
convaincre son régulateur, l’ACPR.
Vendredi, le cours du groupe termi-

nait la journée en baisse de plus de
4,5 %. Le titre du réassureur fran-
çais SCOR, chutait quant à lui de
4 %. Celui-ci a décidé, il y a peu, de
reporter son assemblée générale
d’avril à juin. Quant à CNP Assuran-
ces, il voyait son titre baisser de
9,5 % vendredi. L’assureur a
renoncé à rétribuer ses actionnai-
res en début de semaine dernière.
—S. P.

AXA maintient le suspense sur son dividende


Les actionnaires d’AXA et de SCOR
ont du souci à se faire. Alors que
l’épidémie de Covid-19 fait des rava-
ges sur l’économie mondiale, le
superviseur français des banques
et des assurances a demandé,
vendredi, aux assureurs de s’abste-
nir de verser des dividendes « au
moins jusqu’au 1 er octobre ».
L’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution (ACPR) appelle
aussi à la « modération dans les poli-
tiques d’attribution de rémunération
variable ». « Les fonds propres des
organismes doivent, en cette période,
être préservés et, lorsque c’est possi-
ble, renforcés », justifie l’ACPR. Car
« la chute des marchés financiers, les
difficultés rencontrées par leurs
clients et, dans certaines branches,
une forte dérive prévisible de la sinis-
tralité sont susceptibles d’avoir un
impact majeur sur le bilan des assu-
reurs mais aussi sur leur compte


Le superviseur français
a appelé les assureurs
à suspendre les versements
de dividendes, redoutant
un « impact majeur » de
la crise. D’autres groupes
européens vont pourtant
rétribuer leurs actionnai-
res. AXA entretient
le suspens et a décalé son
assemblée générale en juin.


année au titre des cinq années pré-
cédentes. Il devrait aussi y avoir un
effet sur les variables futurs versés
au titre de 2019.
Frédéric Oudéa, le patron de
Société Générale, doit percevoir
une rémunération totale de 2,7 mil-
lions d’euros au titre de l’exercice


  1. Ceci comporte une partie fixe
    de 1,3 million et une partie variable
    de 1,4 million, dont une part est
    acquise, une autre soumise à un
    vote positif de l’assemblée générale
    prévue le 19 mai, et une autre diffé-
    rée sur trois ans.
    Chez Natixis, la rémunération de
    François Riahi pour l’exercice 2019
    était de 800.000 euros brut annuels.
    Le directeur général de la filiale de
    BPCE s’est vu attribuer une rému-
    nération variable de 990.000 euros,
    soumise au vote des actionnaires, le
    20 mai. Une partie de celle-ci est
    indexée sur le titre Natixis, qui a
    chuté de plus de 40 % depuis le
    début de l’année.


Certains ont entendu
le message
Pour Philippe Brassac, directeur
général de Crédit Agricole SA, la
rémunération doit être soumise à
l’approbation des actionnaires le
13 mai prochain en AG. Le fixe s’éta-
blit à 1,1 million d’euros au titre de


  1. En outre, plusieurs compo-
    santes variables totalisent 1,2 mil-
    lion d’euros, dont 6 0 % sont diffé-
    rées sur trois ans et liés à des
    objectifs de performance.
    Chez AXA, le directeur général
    Thomas Buberl est censé percevoir
    une rémunération totale de 2,6 mil-


bles. De quoi affecter directement la
rémunération des patrons. Le sujet
va vite se trouver sur la table, puis-
que les assemblées générales arri-
vent à grand pas et que les action-
naires auront, parmi d’autres
sujets, à se prononcer.

Indexation des revenus
variables sur le cours
Pour l’heure, les groupes français
en restent à leurs dispositions ini-
tiales. Le directeur général de
BNP Paribas, Jean-Laurent Bon-
nafé, s’est ainsi vu attribuer au titre
de 2019 une rémunération totale de
3,9 millions d’euros. Cette somme
comporte une partie fixe de 1,6 mil-
lion, déjà versée, mais aussi une
part variable de 1,6 million (dont
une part différée et l’autre non diffé-
rée), qui doit être approuvée en
assemblée générale le 19 mai. Le
solde 0,6 million d’euros – versé
dans cinq ans – peut fortement se
déprécier en cas de mauvaise per-
formance boursière.
Les rémunérations variables
sont indexées pour moitié sur le
cours de l’action, précise BNP Pari-
bas, ce qui réduit « de l’ordre de
25 % » les variables versés cette

lLa BCE a appelé banques et assuran-


ces à une « une extrême modération »


dans les rémunérations variables.


lLes rémunérations des patrons


doivent encore être votées


en assemblée générale.


Après les dividendes, les rémunérations


des dirigeants sous pression


Edouard Lederer
@EdouardLederer
et Thibaut Madelin


En l’espace de trois jours, Société
Générale, Natixis, Crédit Agricole
puis BNP Paribas ont renoncé à ver-
ser en mai le dividende prévu au
titre de 2019. Et pourraient mainte-
nant devoir défendre les rémunéra-
tions variables de leurs dirigeants.
En pleine épidémie de coronavi-
rus, la Banque centrale européenne
(BCE) a demandé aux banques de la
zone euro de ne pas verser de divi-
dende « jusqu’au 1er octobre 2020 au
moins ». Le régulateur européen de
l’assurance (EIOPA) l’a rejoint jeudi
soir, recommandant une « suspen-
sion temporaire » des dividendes.
Mais les autorités ont aussi un mes-
sage concernant les salaires. Par la
voix d’Andrea Enria, le patron de la
supervision bancaire en Europe, la
BCE a appelé les banques à faire
preuve « d’une extrême modéra-
tion » dans la rémunération varia-
ble. De son côté, l’EIOPA a demandé
un report des rémunérations varia-


RÉGULATION


Bercy appelle toutes les entreprises


à réduire leurs dividendes


Dans une interview donnée dimanche matin au
« Journal du dimanche », Bruno Le Maire a renouvelé
son exhortation à une modération des dividendes.
« Aucune des grandes entreprises qui font appel à l’Etat
pour leur trésorerie ne devra verser de dividende », a rap-
pelé le ministre de l’Economie. Et pour les autres? « Je
les appelle à diminuer d’au moins un tiers le versement
des dividendes en 2020 », répond le ministre, qui invite
également les dirigeants à faire un geste solidaire sur
leur rémunération.


tains veulent montrer qu’ils ont
entendu le message. La banque
espagnole Santander a réduit de
moitié les variables et les fixes 2020
de sa présidente exécutive Ana
Botín et de son directeur général, et
de 20 % ceux des directeurs non
exécutifs. BBVA et Caixa ont
annoncé des efforts comparables et
l’allemand Deutsche Bank étudie-
rait la question, selon Bloomberg.

En France, « le groupe Crédit Agri-
cole a bien entendu l’appel des autori-
tés à la modération des rémunéra-
tions variables et s’inscrira
naturellement dans les préconisa-
tions qui seront formulées », indique
la Banque verte sans plus de préci-
sion. Plus largement, « vu le parcours
boursier des banques, les variables
différés vont de toute façon souffrir »,
souligne un observateur avisé.n

lions d’euros, dont une part fixe de
1,45 million et une part variable de
1,13 million. Chez le géant de l’assu-
rance aussi, le versement de la
rémunération variable est condi-
tionné à l’approbation de l’assem-
blée générale des actionnaires,
reportée de deux mois, au 30 juin.
Les recommandations de la BCE
et de l’EIOPA changeront-ils la
donne? Ailleurs en Europe, cer-

Les régulateurs européens des secteurs bancaire et de l’assurance, qui dépendent de la BCE,
ont demandé le report des rémunérations variables Photo iStock

« Dans l’assurance, la crise aura un impact durable »


Propos recueillis par
Solenn Poullennec
@SolennMorgan

D


avid Dubois, le président
de l’Institut des actuaires,
redoute une augmenta-
tion de la sinistralité après la fin du
confinement.

Le régulateur français
a-t-il raison de s’inquiéter
pour le secteur?
Les assureurs ont attaqué 2020
en étant solides. Ils sont sans
doute mieux armés qu’en 2008.
Grâce à la régulation Solva-
bilité II, ils ont de bons systèmes
de gestion des risques. Mais la
crise que nous traversons n’est
pas seulement financière comme
en 2008, elle se traduit aussi par
des impacts sur le passif des
assureurs, telle une hausse de la
sinistralité. Elle aura un impact
significatif et durable pour le sec-
teur, d’autant plus si les pouvoirs
publics font peser sur les assu-
reurs des risques que seuls ils ne
sont pas en mesure de supporter.
Les décisions politiques pour
répondre à une situation
d’urgence ne doivent pas négliger
les études d’impact, et pas seule-
ment celles à court terme.

exemple dans l’assurance auto-
mobile, cela n’est qu’un aspect
trompeur de la crise actuelle. En
dommages, le sujet sur la place
est celui des pertes d’exploitation.
Aujourd’hui, celles-ci ne sont pas
couvertes et si elles l’étaient, cela
pourrait avoir des effets dramati-
ques sur les assureurs non vie.
Les niveaux de primes n’ont pas
été calculés en intégrant le risque
épidémique. Cependant, les assu-
reurs actifs dans la santé et la pré-
voyance devront probablement
faire face à une hausse impor-
tante des arrêts de travail. La mise
au chômage partiel des assurés
risque aussi d’être coûteuse,

notamment en réduisant
l’assiette de calcul des cotisations
des régimes de prévoyance col-
lective. De façon générale, le paie-
ment des primes promet d’être un
sujet délicat.

A moyen terme, comment
voyez-vous la situation
évoluer?
Je redoute l’après-confinement. Il
y a un risque fort de décompres-
sion pour les populations qui
auront été très exposées pendant
de longues semaines, par exemple
les soignants. Cela pourrait in fine
faire augmenter de nouveau la
sinistralité. Par ailleurs, il ne fau-
drait pas que les assurés s’inquiè-
tent pour leur épargne et effec-
tuent des rachats en masse. Les
assureurs pourraient se retrouver
devoir réaliser des cessions
d’actifs en moins-values et tout
cela leur coûterait cher à la fois sur
le compte de résultat et sur leur
solvabilité. Ils ont donc vraiment
intérêt à maintenir le lien avec
leurs clients, comme l’a d’ailleurs
rappelé récemment le régulateur
européen du secteur, l’EIOPA.
D’autant que ceux-ci ont été large-
ment encouragés à orienter leur
épargne sur des unités de compte
avant le krach boursier.n

Comment les assureurs
encaissent-ils les mouvements
sur les marchés?
Ces mouvements impactent leur
solvabilité. Pour certains acteurs,
les ratios de solvabilité à la fin du
premier trimestre pourraient
retomber aux niveaux où ils se
trouvaient avant l’intégration de la
provision pour participation aux
bénéfices [NDLR : des réserves qui
appartiennent aux assurés mais
qui peuvent être conservées par
l’assureur plusieurs années] dans
le calcul du ratio en fin d’année
dernière. Il n’y a pas de risque sur la
solvabilité à court terme, mais cela
ne veut pas dire que le secteur ne
pourrait pas connaître des difficul-
tés demain. Les taux sont repartis
en territoire négatif et nous som-
mes durablement entrés dans un
monde à taux d’intérêt très bas.

Quels sinistres les assureurs
pourraient-ils voir augmenter?
A court terme, même s’il peut y
avoir une baisse de la sinistralité
dans certaines branches, par

DAVID DUBOIS
Président de l’Institut
des actuaires

« Les décisions
politiques pour
répondre à une
situation d’urgence
ne doivent pas
négliger les études
d’impact, et pas
seulement celles
à court terme. »
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