Les Echos Lundi 6 avril 2020 EVENEMENT// 03
Le combat contre
nous-même
A
trop parler
du coronavirus
et vouloir voir
du beau dans ce chaos
(le dévouement, la
solidarité...), on a peut-être
oublié qu’il y avait un autre
ennemi à combattre dans
la période, redoutable,
surentraîné, moutonnier :
nous-même. On se réjouissait
de voir les experts médicaux
tenir les micros, mais force
est de constater que notre
oreille, sélective, sait les
écouter quand ça l’arrange.
Lorsqu’ils sont de plus en
plus nombreux à prôner
l’usage du masque, celle des
politiques, plus réservée sur
le sujet, est aussitôt oubliée.
On se précipite sur les
« tutos » en ligne pour se
lancer dans le « fait maison ».
Après le papier toilette
et la farine, parions que
les élastiques vont venir
à manquer dans les
supermarchés.
En revanche, quand les
politiques commencent
- avec précaution – à parler de
l’avenir et de déconfinement,
on l’écoute tellement qu’on en
oublie le présent, a fortiori
quand il fait beau. Par ici la
sortie, traduit-on aussitôt.
Trop de monde dans les rues
et sur les routes. Les
responsables médicaux ont
dû rappeler à l’ordre, ce week-
end, « attention au
relâchement! » (Martin
Hirsch, Aurélien
Rousseau...), suivis cette fois
par des politiques soucieux
de montrer qu’ils pourraient
concilier le présent et
« l’après » (Pécresse, Abad...).
C’est toute la difficulté d’un
moment où les temporalités
s’entrechoquent. Le pouvoir
doit préparer l’avenir mais
trouver le bon équilibre
entre ce travail de réflexion
et son énoncé, entre la
préparation des esprits et
le respect du confinement.
Les médias sont comme
lui allergiques au surplace.
Se projeter, penser l’après,
telle est leur utilité, surtout
quand on paie cash
aujourd’hui les défauts
d’anticipation d’hier.
Sauf qu’avec la même allergie
au surplace, notre utilité à
nous est inverse. Rester
confiné, encore et encore,
dans l’espace et le temps,
puisque c’est la seule façon
à ce jour d’aider les soignants
et d’épargner des vies. Notre
instinct nous pousse à agir
(et sortir), notre devoir à
rester (discipliné). La peur
pousse au confinement, mais
les chiffres qui s’améliorent et
les perspectives de « l’après »
provoquent l’effet contraire.
L’économie se met de la
partie. De quel prix paierons-
nous un pays à l’arrêt?
Un peu sadique, le moment
exige de nous un « en même
temps » contre nature. Ne
rien faire, pour laisser les
autres faire. Suspendre
indéfiniment le présent
pour préserver le futur.
Se combattre soi pour
combattre le virus. Rêver,
entre nos quatre murs, à
défaut de sortir? Essayons.
[email protected]
Comment supporter de prolonger le présent,
confinés, quand les pouvoirs publics doivent
commencer à penser l’après?
LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE
Cécile
Cornudet
Nouvelle polémique après les propos
du Préfet de police de Paris
POLITIQUE Didier Lallement a suscité des réactions politiques
indignées vendredi en établissant un lien entre l’hospitalisation
des patients et le non-respect du confinement, des propos qu’il a
ensuite regrettés. « L’intention n’était pas d’établir un lien direct
[...] mais de rappeler la nécessité d’une stricte application du confi-
nement [...] pour la protection de la santé de chacun », a assuré la
préfecture dans un communiqué. Dans l’après-midi, le préfet,
revenant à un « message d’unité, de solidarité », s’est de nouveau
excusé, face caméra cette fois. Des politiques et des médecins
ont toutefois demandé sa démission.
en bref
Geoffroy von
der Hasselt/AFP
Dessins Kim Roselier pour
« L
es Echos »
du consentement, afin d’avoir un
équilibre entre la sécurité sanitaire
et le respect des libertés publiques.
Ce faisant, le successeur de Chris-
tian Jacob à la tête des députés LR
- qui a, au passage, qualifié d’« inté-
ressante » la proposition du numéro
deux de son parti, Guillaume Peltier
de supprimer cinq jours de RTT
pour financer la santé et l’agricul-
ture – veut montrer qu’il incarne
« une opposition responsable ».
L’objectif étant de se créer un
espace politique entre Emmanuel
Macron et Marine Le Pen. Damien
Abad a littéralement pilonné la pré-
sidente du Rassemblement natio-
nal, ainsi que Jean-Luc Mélenchon,
accusés de vouloir « faire tomber des
têtes » et de « profiter de cette crise
pour se refaire une virginité politi-
que ». « Quand on colporte des thèses
complotistes, quand on défend la
thèse du mensonge d’Etat, quand - matin, midi et soir – on est unique-
ment dans la critique et jamais dans la
proposition, on est dans la polémique
inutile et, pour moi, on est disquali-
fié », a-t-il tranché.n
observé, mettant sur la table ses
autres propositions pour « casser
les chaînes de contamination » et
« réussir la sortie de déconfine-
ment » : un dépistage « massif » en
recourant aux laboratoires dépar-
tementaux d’analyses (ce qu’a pro-
mis le ministre de la Santé, Olivier
Véran), l’isolement des person-
nes « les plus fragiles » notamment
dans « l’ensemble » des Ehpad et la
mise en place d’un système de
« tracking » des personnes infec-
tées. Une hypothèse à laquelle le
gouvernement réfléchit.
« Responsable »
Damien Abad n’a pas développé ce
dernier point, se contentant de sou-
haiter un texte de loi et un débat au
Parlement. Selon nos informations,
il est favorable, au moins dans « un
premier temps », à un « traçage » sur
le modèle de Singapour. Autrement
dit : le recours à une application
téléphonique utilisant le Bluetooth
pour alerter les Français lorsqu’ils
sont à proximité du passage d’une
personne malade mais sur la base
cipales au moment où l’on « fermait
les cafés et commerces ». Le député
de l’Ain a aussi jugé qu’Edouard Phi-
lippe, notamment, a parlé « trop
tôt » de « déconfinement », au risque
d’un « relâchement » du grand
public aujourd’hui.
S’appuyant sur les recommanda-
tions de l’Académie de médecine, le
patron du premier groupe d’oppo-
sition au Palais-Bourbon a prôné la
généralisation du port de masques.
« Plus on porte de masques, plus on
est en situation d’être protégé », a-t-il
Pierre-Alain Furbury
@paFurbury
L’unité nationale certes, a-t-il insisté,
mais le « débat utile ». Invité diman-
che du « Grand rendez-vous »
Europe 1 - CNews « Les Echos »,
Damien Abad a appelé l’exécutif à
« clarifier sa doctrine » sur les mas-
ques, regrettant ses « injonctions
contradictoires » depuis l’épidémie
de coronavirus. « Le gouvernement
ne peut pas dire au mois de mars que
le masque est inutile et au mois d’avril
qu’il faut encourager le port du mas-
que [...]. Les Français attendent de nos
responsables publics de la clarté et
pas un discours qui fluctue au gré des
carences et des pénuries ponctuel-
les », a-t-il épinglé, demandant de la
« cohérence » et rappelant, déjà, le
maintien du premier tour des muni-
Invité du « Grand Rendez-
vous » Europe 1 - CNews -
« Les Echos », le chef de file
des députés LR a pointé
les « injonctions contradic-
toires » du gouvernement.
Grégoire Poussielgue
@Poussielgue
L’épidémie de coronavirus met
nombre de partis et de responsa-
bles politiques en ébullition. Alors
que le pays est focalisé sur la gestion
de la crise et que le gouvernement
commence à peine à esquisser la
sortie du confinement, nombreux
sont ceux à lancer des initiatives
pour penser « le monde d’après ».
Emmanuel Macron évoque
l’après-crise lors de chacune de ses
interventions récentes. « Le jour
d’après ne ressemblera pas aux jours
d’avant », a-t-il répété mardi dernier
en visitant une usine de masques
près d’Angers. Mais il n’est pas le
seul à vouloir penser ce « monde
d’après ». Pour ces responsables
politiques, compte tenu de
l’ampleur du choc que vivent le
monde et la France, ce « jour
d’après » ne doit pas seulement
s’écrire à l’Elysée.
Le PS s’apprête à lancer une pla-
teforme sur Internet pour récolter
des propositions. Les écologistes
d’EELV ont aussi fait appel à leurs
militants pour suggérer de nouvel-
les idées. Elles seront dévoilées en
début de semaine prochaine. A
gauche, l’idée est de revoir le capita-
lisme de A à Z, voire plus. « Le coro-
navirus démontre de manière
paradigmatique l’ampleur des
transformations que nous allons
devoir engager pour faire face au
réchauffement climatique. Il nous
faut réinventer nos valeurs, modifier
nos priorités », écrit le secrétaire
national d’EELV, Julien Bayou,
dans un éditorial publié fin mars
sur le site du parti.
« Eviter de reconstruire
l’économie à l’identique »
A gauche, la crainte est de voir que
le plan de relance préparé par
Bercy se résume à voir les choses
repartir comme avant. Dans les
colonnes du «JDD», Yannick Jadot,
ancienne tête de liste EELV aux
élections européennes, plaide pour
un « Grenelle du monde d’après ».
Mais cette inquiétude va au-delà de
cette partie de l’échiquier politique.
« Pour qu’à la sortie de cette crise
dramatique nous réparions en pro-
fondeur ces manques afin de pou-
voir aborder l’avenir avec confiance,
sur onze thèmes (santé, éducation,
numérique...), avec une priorité
mise sur la transition écologique et
la réduction des inégalités.
Une synthèse est promise pour la
mi-mai. Laurent Berger de la CFDT,
Christophe Robert de la Fondation
Abbé Pierre ou encore la philoso-
phe Cynthia Fleury vont participer
à cette initiative. « Nous avons
besoin de protéger bien plus qu’au
début du quinquennat. Les deux der-
nières années du mandat d’Emma-
nuel Macron ne doivent servir qu’à
cela », estime un membre de cette
plateforme.
En marche entend aussi se posi-
tionner sur l’après-crise. Le parti
dirigé par Stanislas Guerini va lan-
cer une consultation auprès de ses
adhérents pour que les idées remon-
tent. « Il faut éviter de revenir à la nor-
male comme en 2008 », estime le
délégué général du mouvement pré-
sidentiel. Mais pour le parti créé par
Emmanuel Macron, qui se fixe
notamment comme objectif de
refermer des fractures laissées
ouvertes par le début du quinquen-
nat, pas question non plus de renver-
ser la table. « La priorité est de gagner
la bataille sanitaire. Mais il faut être
prudent sur le monde d’après »,
tempère Stanilas Guerini.n
Partis et parlementaires se projettent
déjà dans l’après-crise
Le PS, Europe Ecologie-
Les Verts et En marche font
appel à leurs sympathisants
et militants pour faire
des propositions.
Matthieu Orphelin (ex-LREM) va
lancer une plateforme avec une
soixantaine de députés issus
de l’aile gauche de la majorité.
Photo Jacques Witt/Sipa
nous devons éviter à tout prix un
plan de relance qui viserait à recons-
truire à l’identique notre économie
endommagée », a écrit le député
Matthieu Orphelin (ex-La Républi-
que En marche) dans une lettre
adressée à Emmanuel Macron et
au Premier ministre.
Avec une soixantaine de parle-
mentaires issus de l’aile gauche de
La République En marche (LREM)
(Guillaume Chiche, Emilie
Cariou...) mais aussi du Modem, du
groupe Libertés et Territoires à
l’Assemblée nationale ou encore du
PS et d’EELV, Matthieu Orphelin,
Aurélien Taché (LREM) et Paula
Forteza (ex-LREM) ont lancé
samedi matin une plateforme bap-
tisée « Le jour d’après ». Elle vise à
récolter les propositions, organiser
des débats, analyser des données
Yannick Jadot,
ancienne tête de liste
EELV aux élections
européennes, plaide
pour un « Grenelle
du monde d’après ».
« Quand on
colporte des thèses
complotistes,
quand on défend
la thèse du
mensonge d’Etat,
[...] on est dans la
polémique inutile. »
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Damien Abad prône un recours au « traçage »
LE GRAND RENDEZ-VOUS//EUROPE 1 - CNEWS - « LES ÉCHOS »