Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

30 // FINANCE & MARCHES Lundi 6 avril 2020 Les Echos


CHRONIQUE
DU VIRUS
Peter
Praet

plus lentement. Nous avons
reporté la finalisation d’un
mois, à fin juin, et on pourrait la
reporter jusqu’à septembre. »

Un choc massif
« A la BCE, j’entends que le télé-
travail et l’ensemble des infras-
tructures pour les communica-
tions fonctionnent très bien.
Cela va changer durablement l a
manière dont la Banque cen-
trale travaille », estime l’écono-
miste. « Il y a toukjours eu à la
BCE des tests de guerre dans
lesquels les gens ne pouvaient
plus rentrer dans le bâtiment. »
« J’ai quitté la BCE en mai
dernier. J’ai le sentiment de
quelqu’un qui aimerait être au
front! », lâche-t-il. Sa lecture
des dernières décisions? « En
annonçant son programme de
750 milliards d’euros, la BCE a
fait un virage à 180°, en quinze
jours. Cela reflète l’apprentis-
sage qu’on a de la crise. La BCE a
fait preuve d’une grande flexibi-
lité, Christine Lagarde aussi. »
« Cette crise est un choc mas-
sif, un coup de massue, elle va
tellement vite que les statisti-
ques ne suivent pas... ». La BCE
a fait ce qu’il fallait, assure Peter
Praet, « sa mesure vise à stabili-
ser les conditions financières ».
Est-ce que c’est suffisant?
« Pour l’instant, oui », juge-t-il.
« Mais probablement pas pour
assurer la soutenabilité de la
reprise. Quant à la soutenabi-
lité de la zone euro, elle
dépendra du ou des maillons
faibles. »
Il raconte : « Dans les coups
de téléphone que je reçois, la
question de la soutenabilité de
la dette italienne se pose. On
parle d’un horizon de six à
douze mois où la situation peut
se dégrader très vite. S’ils n’y
arrivent pas, tout est possible :
de changements politiques...
jusqu’à la fin de l’Europe.n

DÉCOUVREZ TOUS


LES DEALS


EN EXCLUSIVTÉ


PRIVATEEQUITY


M&A LBO


boutique.capitalfinance.eu/decouverte


Abonnez-vousàuntarifexceptionnel!


Propos recueillis par
Muryel Jacque,
avec G. Be


« Je vis plutôt bien le confine-
ment. Mais je pense à ceux qui
sont touchés », confie Peter
Praet, l’ancien économiste en
chef de la BCE. « Ma mère de
99 ans a été atteinte par le virus
il y a quelques jours. La diffi-
culté, c’est l’isolement total, ce
sont des aspects pénibles pour
une fin de vie. »
« Tant que je reste en bonne
santé, je me considère comme
extrêmement privilégié. J’ai
une pension publique, et j’ai
toujours été conservateur dans
mon épargne. Je me suis tou-
jours préparé à une grande
crise financière », poursuit
l’économiste. « C’est tout aussi
important : mon couple est
solide. En outre, à Waterloo où
je vis, l’environnement est très
agréable. »
Lui, qui devait être à Tokyo,
puis à Los Angeles, en passant
par Paris et Francfort, pour un
cycle de conférences... Ces
déplacements ont été suppri-
més. « Actuellement, j’ai énor-
mément de coups de téléphone,
de visioconférences. J’ai moins
de plaisir à le faire, mais ce sont
des réflexions de riche! »
Chez lui, Peter Praet poursuit
ses travaux. « Je suis dans deux
groupes de travail. L’un
concerne le FMI et l’écriture des
standards de transparence
pour les banques centrales. La
réunion physique à Washing-
ton a été annulée mais nous tra-
vaillons sans problème par télé-
conférence et par e-mails. Dans
l’autre groupe, le forum de haut
niveau sur l’union des marchés
de capitaux de la Commission
européenne, nous avançons


Pour l’ancien économiste
en chef de la BCE, parti
en mai 2019, cette crise
est un choc massif, un
coup de massue. Confiné
chez lui, à Waterloo en
Belgique, il se considère
comme extrêmement
privilégié. Mais se
montre inquiet pour
l’avenir de l’Europe.


« J’ai le sentiment de quelqu’un


qui aimerait être au front »


CORONAVIRUS


Eric Benhamou
@eric_benhamou

L’analyse des transactions par carte
bancaire, confirme la mise quasi à
l’arrêt de l’économie, excepté le com-
merce de proximité jugé essentiel
par les pouvoirs publics. Telles sont
les conclusions de l’analyse détaillée
des transactions par carte bancaire,
réalisée sur la semaine du 23 au
29 mars, par le groupement Cartes
Bancaires CB.
Le nombre de retraits et le volume
d’espèces retirées ont « lourdement
chuté », constate le groupement, de
près de 60 % sur la semaine du 23 au
29 mars, et même de 76 % à Paris!
Pendant la semaine précédant la
décision du confinement, le 17 mars,
les retraits moyens avaient été très
supérieurs à la moyenne (120 euros
contre 8 5 euros). Ces chiffres confir-
ment les estimations du transpor-
teur de fonds Brink’s, qui a relevé une
baisse de l’ordre de 40 % de la volu-
métrie des espèces, à la fois auprès
des commerçants et sur les distribu-
teurs automatiques de billets (DAB),
depuis le confinement. Ce qui, au

passage, écarte tout risque de pénu-
rie des espèces ou de tensions sur les
DAB, y compris en province. Le paie-
ment par carte n’a pas non plus
échappé à la baisse générale de l’acti-
vité économique, estimée de 35 à
40 % ces quinze derniers jours. Glo-
balement, l’activité de paiement par
carte a reculé d’environ 30 % sur la
période. Sur plus longue durée, « les
paiements par carte bancaire ont
chuté de 50 % la semaine dernière par
rapport à 2019 », a souligné diman-
che le ministre de l’Economie, Bruno
Le Maire, dans une interview au
« JDD ». Cartes Bancaires CB a cepen-
dant noté un pic de transactions en
début de la semaine du 23 au 29 mars
dans les supérettes et les supermar-
chés, avant « un retour à la normale ».

La hausse d’activité a été marquée
dans les supérettes (3 fois plus qu’un
an plus tôt), ce qui confirme la préfé-
rence contrainte accordée par les
Français au petit commerce de
proximité. Ainsi, les paiements par
carte dans les hypermarchés sont en
recul depuis le début du confine-

ment (près de 50 % en fin de
semaine). Plus surprenant, l’activité
boulangerie est aussi touchée, avec
des baisses de transactions par carte
de l’ordre de 30 à 40 %. Déjà en forte
croissance (de l’ordre de 40 % en
moyenne par mois en 2019), le
paiement sans contact a connu une
nouvelle progression sur la semaine
de confinement sur les sept secteurs
encore en activité (distribution
alimentaire, pharmacies, boulange-
ries, centres médicaux...).

Promouvoir le paiement
à 1 euro
Selon Cartes Bancaires, cette pro-
gression « additionnelle » est de
l’ordre de 4 % en moyenne, avec un
usage plus marqué dans les phar-
macies (10 %). Pour autant, Cartes
Bancaires CB n’envisage pas d’aug-
menter le plafond du paiement sans
contact, actuellement de 30 euros.
« Il existe encore une élasticité impor-
tante car plus de 30 % des paiements
inférieurs à 30 euros sont encore
réalisés en mode contact, sans
compter les paiements en espèces »,
souligne Cartes Bancaires CB.
La priorité du groupement Cartes
Bancaires est de promouvoir auprès
des petits commerçants le paiement
à partir de 1 euro, ce qui permettrait
de doubler le nombre de transac-
tions sans contact à environ 7 mil-
liards, contre 3,3 milliards en 2019.n

La crise sanitaire dope


le paiement sans contact


Le nombre de transactions
a baissé la semaine du
23 mars. Mais le paiement
sans contact progresse
encore plus vite que
la moyenne d’avant crise.

Cartes Bancaires CB
n’envisage pas
d’augmenter le
plafond du paiement
sans contact.

Vincent Collen
@VincentCollen

Etats-Unis, Russie, Arabie saoudite.
Les trois plus grands producteurs
de pétrole agiront-ils de concert
pour enrayer la chute des cours du
brut? Rien n’est joué, mais ce lundi
sera en tout cas crucial pour l’évolu-
tion des prix... et des rapports de
force entre Donald Trump, Vladi-
mir Poutine et Mohammed Ben Sal-
mane (« MBS »).
La situation est sans précédent
dans l’histoire de l’or noir. La
demande mondiale pourrait chuter
de 2 0 à 30 millions de barils par jour
au deuxième trimestre, soit un
recul de 20 à 30 %. Cet effondre-
ment intervient alors même que
Riyad et Moscou, pour la première
fois depuis quatre ans, n’ont pas
réussi à s’entendre pour réduire
leur production de façon concertée.

Stockages à ras bord
et prix négatifs
Après l’échec des négociations à
Vienne le 6 mars dernier, la Russie a
annoncé qu’elle augmentait ses
exportations. L’Arabie saoudite a
contre-attaqué en relevant les sien-
nes à un niveau record. Dans cette
guerre des parts de marché, l’offre
explose alors que la demande est en
chute libre avec la pandémie. A ce
rythme, les stockages seront pleins
à ras bord d’ici à quelques semai-
nes. Les prix menacent même de
devenir négatifs sur certains mar-
chés régionaux, signalant qu’il
coûtera bientôt plus cher de stocker
le pétrole que de le produire!
Les cours se sont nettement res-
saisis en fin de semaine dernière
(+38 % en deux jours) grâce à deux
tweets de Donald Trump. Après
avoir téléphoné à Poutine et MBS, le
président américain a assuré jeudi
que les deux puissances pétrolières
étaient prêtes à réduire leur produc-
tion de 10, voire 15 millions de barils

par jour. Quelques minutes plus
tard, Riyad annonçait qu’une réu-
nion de l’Opep était convoquée en
urgence pour ce lundi. Le Kremlin a
confirmé qu’il participerait à ce
sommet (qui se tiendra en vidéo), et
qu’une réduction de la production
de 10 millions de barils était bien sur
la table. « Peut-être un peu plus ou un
peu moins », a déclaré Vladimir Pou-
tine vendredi. La difficulté sera bien
sûr de s’entendre sur la répartition
du fardeau.
Moscou et Riyad, qui ont déclen-
ché la guerre des prix et des parts de
marché, ont intérêt à s’entendre,
estime Amarpreet Singh, analyste
chez Barclays. La demande est si fai-
ble que l’Arabie saoudite peine à
vendre une partie de son brut,
« même à des prix très inférieurs aux
cours mondiaux », et les compa-
gnies russes doivent offrir des
réductions de plus de 15 dollars par
rapport au prix du brent à leurs
clients, souligne-t-il. La négociation

s’annonce difficile néanmoins, car
la rancœur entre Poutine et MBS est
forte depuis un mois.
Le rôle incertain des Etats-Unis
complique encore les choses. Le
Kremlin exige que les Etats-Unis
contribuent à l’effort collectif. Si la
Russie a quitté la table des négocia-
tions il y a un mois, c’est justement
parce qu’elle en a assez que les pro-
ducteurs de schiste américains, qui
peuvent, eux, produire à volonté,
sont les principaux bénéficiaires d u
soutien artificiel aux prix apporté
par l’Opep et ses alliés.

Des quotas aux Etats-Unis?
Les Etats-Unis y sont-ils prêts? C’est
là « le principal obstacle », selon les
analystes de RBC. Certes, la com-
mission de régulation du secteur
pétrolier du Texas s’est dite prête à
imposer une baisse de production
et elle est soutenue par des compa-
gnies spécialistes du schiste
comme Pioneer et Parsley. Même

au pays de la liberté d’entreprendre,
on peut instaurer des quotas. Mais
il n’est pas sûr que la Maison-Blan-
che approuve et les majors comme
Exxon et Chevron s’y opposent.

Taxer les importations
Dans les milieux économiques et
politiques américains, « certains
préféreraient une approche plus
punitive » pour contraindre Mos-
cou et Riyad, poursuit RBC. Trump
a déclaré que l’imposition de droits
de douane sur les importations de
pétrole saoudien et russe vers les
Etats-Unis était « l’un des outils »
envisagés dans ce triple bras de fer.
Quel que soit le résultat du som-
met de lundi, toute réduction de
production ne permettrait aucune-
ment de compenser l’écroulement
de la demande. « Mais cela donnerait
un peu de temps au marché pour se
remettre de la pandémie avant de se
retrouver à court de stockages », écri-
vent les analystes de Saxo Bank.n

Trump, Poutine et MBS montent au front


pour stopper la chute des cours du pétrole


Après un mois d’effondre-
ment des cours, l’Opep
et la Russie ont accepté de
reprendre les négociations
ce lundi. Mais la participa-
tion des Etats-Unis à l’effort,
exigée par Moscou,
n’est pas acquise.
Free download pdf