04 // EVENEMENT Lundi 6 avril 2020 Les Echos
« Au-delà
du réel »
Propos recueillis par
Elsa Freyssenet
@ElsaFreyssenet
« Je coordonne les 300 person-
nels de santé de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris
(BSPP) parmi lesquels 70 méde-
cins. La plupart sont urgentistes
et sont requis, en temps normal,
sur les accidents de la route ou
les gros incendies avec victimes.
En ce moment, 30 % à 40 % de
l’activité de la BSPP sont des
interventions sur des patients
Covid+. Depuis le 1er février,
nous en avons pris en charge
7.000, soit 350 par jour. Ces
interventions prennent davan-
tage de temps, car nous désin-
fectons le véhicule pendant
trente à quarante minutes après
chaque transport à l’hôpital.
Transferts par les airs
Depuis la semaine dernière, en
collaboration étroite avec le
Samu, nous nous occupons
d’une partie des transferts de
patients sous respiration artifi-
cielle vers d’autres régions. A
cette heure, j’ai six équipes de
trois personnes dans le ciel, qui
veillent sur douze malades. Ce
sont des médecins militaires,
qui ont l’habitude des transports
de blessés par voie aérienne.
Hier, je suis allé sur le tarmac
d’Orly, recouvert à perte de vue
de petits avions et d’hélicoptè-
res. La dernière fois que j’avais
vu pareille armada, c’était en
2016 sur une base américaine en
Irak. J’ai aussi aperçu un Casa,
un avion-cargo militaire
comme nous en avions lorsque
j’étais au Mali. Ce que nous
vivons, avec cette épidémie et
l’afflux de très nombreux
patients dans un état grave, me
fait penser à une Opex, une opé-
ration extérieure. Nous avons ce
sentiment d’être à la guerre, sauf
que cela se passe à Paris.
Lors de ma dernière garde au
service de réanimation de Percy,
j’ai accueilli cinq nouveaux
patients en vingt-quatre heures,
en plus de tous ceux qui étaient
déjà dans le service! Même pour
nous, qui en avons vu d’autres,
ce que nous vivons dans et en
dehors des hôpitaux est au-delà
du réel.
Sur les 8.500 pompiers de
Paris, 40 ont été testés positifs
au Covid-19 et 330 autres sont à
l’isolement, car ils sont suspec-
tés de l’être. Nous avons quatre
pompiers hospitalisés dont un
en réanimation, qui va de mieux
en mieux. Nous avons parfois
été en tension sur le matériel de
protection, mais jamais au
point de faire prendre des ris-
ques à nos gars, car nous avions
des stocks corrects et nous
avons fait de grosses comman-
des dès le début.
Culte de la mission
Pour tous les soignants, il y aura
un avant et un après. Pour moi,
le sentiment d’être utile lors-
qu’on organise un pont aérien
ou qu’on double le nombre de
places en réanimation l’emporte
sur le sentiment d’impuissance
face à la maladie. Mais peut-être
est-ce parce que, dans les
milieux militaires, nous culti-
vons le culte de la mission. »n
Chaque jour, un soignant
témoigne dans
« Les Echos ». Bertrand
Prunet est professeur en
anesthésie-réanimation
et médecin chef
des pompiers
de Paris depuis 2019.
CHRONIQUE
DU VIRUS
Bertrand
Prunet
L’éventualité
d’un relâchement
du confinement glace
le sang des hospitaliers
et des gestionnaires
de santé.
nement, le nombre de transmissions
du virus par personne infectée a très
largement baissé », observe pour sa
part le chercheur Pascal Crépey, à
l’Ecole des hautes études en santé
publique. « Mais ça ne s’améliore
pas aussi vite dans toutes les
Guillaume de Calignon
@gcalignon
L’épidémie de coronavirus com-
mence à se faire sentir sur le nom-
bre de décès au niveau national.
Selon l’Insee, le nombre de décès
survenus entre le 1 er et le 23 mars
2020 est supérieur à celui enregis-
tré sur la même période de l’an
passé. L’institut statistique dénom-
bre ainsi 39.707 morts dans toute la
France sur les trois premières
semaines de mars – hors Bouches-
du-Rhône en raison d’une panne
informatique –, contre 39.141 dans
le même laps de temps en 2019,
sans compter les Bouches-du-
Rhône. Dans les deux régions les
plus touchées, la hausse est encore
plus visible. Ainsi, le Grand Est a vu
le nombre de décès survenus entre
le 1 er et le 2 3 mars grimper de 19 %
par rapport à la même période de
2019 et en Ile-de-France il a aug-
menté de 11 %. Au niveau départe-
mental, dans le Haut-Rhin, la
hausse du nombre de morts est
impressionnante puisqu’elle
atteint 84 %. La Corse du Sud, avec
une progression de 40 % et les Vos-
ges, qui connaissent une hausse de
33 % des décès, sont aussi très
impactés.
Moins de décès
qu’en mars 2018
Pour remettre en perspective ces
chiffres, il faut noter que le nombre
de décès au niveau national, tou-
jours sans compter les Bouches-
du-Rhône reste inférieur à celui de
2018, « année où la grippe saison-
nière était encore virulente au mois
de mars », note l’Insee.
Mais si on ne s’intéresse qu’aux
décès survenus entre le début du
confinement, c’est-à-dire le
17 mars, et le 23 mars, date à
laquelle les dernières statistiques
sont disponibles, alors l’augmenta-
La France a connu un pic
de mortalité en mars
Selon l’Insee, le nombre
de décès survenus entre
le 1er et le 23 mars 2020
est supérieur à celui
enregistré sur la même
période de l’an passé.
Dans plusieurs départe-
ments, comme le Haut-
Rhin, Paris ou l’Oise,
la hausse est très forte.
Découvrez nosservices en ligne
pour le dépôt devosannonces
légales
annonces.lesechosleparisien.fr
0187397008
Le chef de l’exécutif de Nouvelle-
Calédonie sous le feu des critiques
dans sa gestion de la crise du Covid-
SANTÉ Les deux députés de la Nouvelle-Calédonie (où 18 cas de
Covid-19 ont à ce jour été recensés), Philippe Gomes et Philippe
Dunoyer, ont dénoncé dimanche dans un communiqué
« l’absence totale de transparence » sur la crise du coronavirus. Les
parlementaires reprochent au chef de l’exécutif collégial, Thierry
Santa, de ne pas donner plus d’informations concernant sa mise
en quarantaine pour 14 jours, après qu’un membre de la cellule de
crise du gouvernement a été testé positif au Covid-19. « Nous igno-
rons toujours le nom de ce collaborateur, les fonctions qu’il occupait
et avec quelles autorités il a pu être en contact », s’inquiètent les
députés qui demandent la tenue d’une visioconférence ce lundi
pour interroger le chef du gouvernement.
en bref
Solveig Godeluck
@Solwii
« Une lente diminution de l’augmen-
tation » du nombre de patients en
réanimation. Samedi soir, le direc-
teur général de la santé, Jérôme
Salomon, a égrené les statistiques
d’admission : 502 le jour même,
contre 6 41 le vendredi, et même 729
le jeudi... Depuis le 1er avril, le nom-
bre de nouveaux lits nécessaires
chaque jour est un peu moins élevé
que la veille. Mais attention! « Ce
soir, nous n’avons jamais eu autant
de patients en réanimation », a rap-
pelé le haut fonctionnaire. Près de
7.000 patients sont en effet plongés
dans un coma artificiel, intubés et
ventilés. La capacité initiale n’étant
que de 5 .000 lits, ils n’ont pu être
pris en charge qu’en concentrant
toutes les forces du système hospi-
talier sur l’objectif Covid-19.
« Il y a une réelle décélération,
mais à regarder de près », note égale-
ment Aurélien Rousseau, directeur
général de l’Agence régionale de
santé d’Ile-de-France, en invitant à
faire la différence entre le solde des
admissions en réanimation et des
sorties qui s’accélèrent. Dans cette
région, plus de 2.000 personnes
sont décédées du Covid-19 à l’hôpi-
tal, et plus de 2.400 patients sont en
réanimation. En outre, certains
malades, qui n’apparaissent pas
dans les statistiques, ont été transfé-
rés hors d’Ile de France.
Samedi, 5 66 évacuations avaient
ainsi été réalisées dans l’ensemble
du pays, dont 163 dans la région
capitale, et 250 dans le Grand Est.
« Grâce aux transferts et aux sorties
qui s’accélèrent, on a cassé la
courbe », se félicite Christophe Lan-
nelongue, le directeur général de
l’Agence régionale de santé Grand
Est. Les 250 « places » transférées
accueillent en fait un nombre
encore plus grand de malades de la
région, au fur et à mesure que les
premiers évacués guérissent ou
décèdent, précise-t-il. La région a
été précocement et violemment
touchée par l’épidémie. Mais il
devrait in fine y avoir des places en
réanimation pour tous ceux qui en
ont besoin, et cela malgré des
durées de séjour en réanimation
qui sont plus longues que prévu
- « 15-20 jours au lieu de 9-10 jours »,
révèle-t-il. « On va atteindre notre
objectif de 1.600 places de réanima-
tion, et nos projections montrent que
nous devrions rester quasiment satu-
rés pendant une dizaine de jours, sur
un plateau. »
Un habitat « très dense »
« On fait tourner nos modèles, et on
commence à voir que, grâce au confi-
régions », constate-t-il, en rappelant
qu’il est trop tôt pour en tirer des
conclusions.
Ainsi, en Ile-de-France, le taux d e
transmission baisserait un peu
moins vite. « Nous avons 2 jours de
retard en termes de décélération »,
reconnaît Aurélien Rousseau, mais
cela s’explique en partie par le haut
niveau de propagation du virus
lorsque le confinement a com-
mencé. Il cite aussi des facteurs
pouvant éventuellement rendre le
confinement moins efficace en Ile-
de-France : un habitat « très dense,
avec de toutes petites surfaces par
habitant », des règles de distancia-
tion sociale éventuellement moins
bien acceptées. « Il y a une forte
baisse des entrées en réanimation via
le Samu ou les urgences ; ce sont sur-
tout des flux intra-hospitaliers »,
note-t-il aussi.
Toutefois, l’éventualité d’un relâ-
chement du confinement glace le
sang des hospitaliers et des gestion-
naires de santé. Pendant ce week-
end ensoleillé, les Parisiens ont été
nombreux à ne pas respecter la
consigne. « Vu le niveau de remplis-
sage de nos services de réanimation,
si les gens se remettent à sortir, alors
c’est sûr, dans deux semaines, on
n’arrivera plus à accueillir les mala-
des », avertit Aurélien Rousseau.
D’autant plus que les soignants sont
à bout. « Des signes d’épuisement
apparaissent chez les internes dans
les régions d’Ile de France et du
Grand Est », a prévenu le syndicat
des internes Isni, dimanche.
Le message de prudence sera de
plus en plus difficile à faire passer,
alors que le gouvernement planche
sur le déconfinement. A la suite de
la recommandation de l’Académie
de médecine de vendredi, qui sou-
haite que le port du masque soit
rendu obligatoire pour tous, les
confinés qui se prennent à rêver de
sorties. « Peut-être un jour propose-
rons-nous à tout le monde de porter
un masque, mais nous n’en sommes
pas là », a mis en garde Jérôme Salo-
mon. Le mot d’ordre est toujours
« restez chez vous ».n
L’épidémie décélère,
les entrées en réanimation se poursuivent
Les entrées en réanimation
pour Covid-19 augmentent
un peu moins vite depuis
quelques jours.
Le confinement semble
avoir été moins efficace
en Ile-de-France que
dans le reste du pays.
« Vu le niveau
de remplissage
de nos services
de réanimation,
si les gens se
remettent à sortir,
alors c’est sûr,
dans deux
semaines,
on n’arrivera plus
à accueillir les
malades. »
AURÉLIEN ROUSSEAU
Directeur général
de l’Agence régionale de santé
d’Ile-de-France
tion est forte dans plusieurs dépar-
tements. Même par rapport à 2018,
les décès sont en hausse. C’est le cas
dans le Haut-Rhin, où le nombre de
morts a triplé au cours de cette
semaine par rapport à la même
semaine de 2018. A Paris, la hausse
atteint 42 %.
Même s’il n’est pas possible
d’imputer tous ces décès au coro-
navirus, il est clair que l’épidémie
joue un rôle non négligeable dans
cette augmentation. L’effet du
Covid-19 se voit désormais dans les
décès en France et notamment
dans les départements les plus tou-
chés. Selon le ministère de la Santé,
au 2 avril, plus de 4.000 personnes
étaient décédées du coronavirus en
France à l’hôpital.n
39.
DÉCÈS
sont survenus entre le 1er
et le 23 mars 2020.