06 //EVENEMENT Lundi 6 avril 2020 Les Echos
Bruno Le Maire,
le ministre français
des Finances, avec
son homologue
néerlandais,
Wopke Hoekstra,
figure de proue
des pays rétifs
à toute mutuali-
sation des dettes.
les prêts des banques et investir
dans les fonds d’investissement
qui, à leur tour, pourront prêter
sans risque aux entreprises. Le
Fonds de garantie complète ainsi
les dispositifs nationaux de prêts
bancaires garantis.
Comme lors de la création du
MES, les gouvernements n’auront
pas à libérer la totalité des 25 mil-
liards du fonds. Ils n’en verseront
qu’une partie, le reste du capital
étant « appelable » si nécessaire.
La BEI, elle, jouera dans ce dispo-
sitif le rôle de simple opérateur et
ne portera pas le risque financier.
Elle ne risque donc pas de mettre
en danger son précieux « tri-
ple A » sur les marchés financiers.
Défi sans précédent
Le conseil d’administration a éga-
lement approuvé un train de
mesures d’urgence de 40 milliards
d’euros annoncé en mars et com-
portant aussi des garanties et des
lignes de liquidité pour les ban-
ques, et une ligne de 5 milliards
pour soutenir le secteur de la
santé. Les entreprises « nécessitent
un soutien massif. Elles requièrent
davantage de lignes de crédit, de
prêts relais et de fonds de roulement
pour surmonter ce défi sans précé-
dent. Avec l’appui des Etats mem-
bres, la réponse du Groupe BEI à la
crise du coronavirus permettrait de
soutenir des financements repré-
sentant jusqu’à 1,5 % du PIB euro-
péen », a indiqué Werner Hoyer.
Le renforcement de la force de
frappe de la BEI aurait pu passer
par une augmentation de capital.
Mais « cela aurait pris du temps
alors que l’option choisie du fonds
de garantie est beaucoup plus
rapide », note un connaisseur du
dossier. La hausse de capital est
envisagée à plus long terme dans
le cadre de l’agenda climatique
pour faire de la BEI la grande ban-
que européenne du climat.n
Catherine Chatignoux
@chatignoux
Les ministres des Finances de la
zone euro devraient adopter ce
mardi, lors d’une nouvelle vidéo-
conférence consacrée au corona-
virus, la proposition de la Banque
européenne d’investissement
(BEI) de dégager 200 milliards
d’euros supplémentaires de prêts
pour contenir la crise économique
qui se fait déjà durement sentir.
Après le « bazooka » de la Ban-
que centrale européenne (BCE) et
ses 750 milliards d’euros annoncés
de rachats de dette, les presque
2.000 milliards d’euros de mesures
budgétaires nationales et l’offre du
Mécanisme européen de stabilité
(MES) de mettre à disposition des
Etats membres ses 410 milliards de
prêts disponibles, c’est au tour de la
BEI d’entrer en scène. « Notre but
est d’ajouter de nouvelles lignes de
défense à l’euro pour empêcher la
crise économique de se muer en
crise financière », a déclaré Mario
Centeno, président de l’Euro-
groupe.
La proposition mise sur la table
des ministres par le conseil
d’administration de la BEI, pré-
sidé par l’Allemand Werner
Hoyer, consiste à créer un fonds
de garantie paneuropéen de
25 milliards d’euros, qui permet-
tra à la banque d’accroître son
soutien à l’économie européenne
jusqu’à 200 milliards d’euros sup-
plémentaires.
La BEI s’appuiera sur ce fonds
de garantie abondé par les
27 Etats membres pour garantir
Les ministres des
Finances de la zone euro
devraient valider,
ce mardi, la proposition
de la BEI d’accroître
son soutien à l’économie
européenne.
La BEI s’apprête à dégainer
200 milliards d’euros
Gabriel Grésillon
@GGresillon
—Bureau de Bruxelles
Sortir de la cacophonie. Après avoir
fait violemment étalage de leurs
divergences, les Européens doivent
à tout prix, ce mardi, commencer à
esquisser un plan cohérent de sou-
tien financier aux pays les plus dure-
ment touchés par la crise du corona-
virus. Lors d’une réunion de
l’Eurogroupe, les ministres des
Finances vont tenter de trancher
cette question qui réveille les pires
souvenirs de la crise de la zone euro,
opposant un Nord soucieux d’éviter
toute mutualisation des risques à un
Sud outré par l’égoïsme supposé de
ses interlocuteurs.
Il y a dix jours, au terme d’une
vidéoconférence tendue entre les
chefs d’Etat et de gouvernement, la
confrontation avait pris un tour
acide. Le Premier ministre portu-
gais, Antonio Costa, avait été jusqu’à
juger « répugnante » l’attitude des
Pays-Bas. Pour Mario Centeno, le
Portugais qui préside l’Eurogroupe,
le risque à long terme est celui d’une
« fragmentation » de la zone euro,
alors que les dettes publiques vont
inévitablement s’envoler et que la
capacité de rebond des pays s’avé-
rera dès lors extrêmement différen-
tiée selon leur marge de manœuvre
budgétaire.
Face à ce risque, le premier élé-
ment de réponse devra concerner le
Mécanisme européen de stabilité
(MES). Avec une capacité de prêts
dépassant les 4 10 milliards d’euros,
celui-ci pourrait, sans difficulté,
débloquer des lignes de crédit d’une
valeur allant jusqu’à 2 % du PIB des
pays concernés (soit 2 40 milliards
en tout). La plupart des protagonis-
tes semblent désormais d’accord au
sujet des conditions qui permet-
ment baptisées « coronabonds »,
continue de faire débat. Pour Berlin
et La Haye, pas question de mutuali-
ser le risque. Paris, Rome ou
Madrid, en revanche, jugent néces-
saire de créer un tel mécanisme, qui
permettrait de s’endetter à des taux
favorables et d’utiliser ensuite les
fonds pour soutenir prioritaire-
ment tel ou tel Etat très durement
touché. Pour esquisser un compro-
mis sans renoncer à cette idée, la
France a proposé, jeudi, un fonds
d’une durée limitée à cinq ou dix ans
qui serait consacré à ce seul sujet.
La Haye a préféré suggérer un
mécanisme de pure charité : un
fonds de 10 à 20 milliards d’euros
consistant en un don des pays dispo-
sant de moyens financiers.n
lLes ministres des Finances de la zone euro vont devoir s’entendre, ce mardi, sur les mécanismes
permettant d’aider les pays les plus durement touchés par la pandémie.
lUn sujet explosif, qui a déjà rouvert les plaies de la crise de la zone euro.
Les Européens au défi de la solidarité
financière
« La reprise doit se préparer maintenant »
Propos recueillis par
Derek Perrotte
@DerekPerrotte
—Bureau de Bruxelles
Après un mois de crise du
coronavirus, quel est l’impact
sur l’emploi en Europe?
Nous n’avons pas encore de données
précises mais les premiers chiffres,
en Autriche ou en Espagne, mon-
trent une très forte poussée du chô-
mage. Il faut se préparer à un choc
qui pourrait être pire que celui
connu lors de la crise financière de
- On peut craindre plus de
10 millions de chômeurs supplé-
mentaires dans l’Union européenne.
Peut-on espérer ensuite
un rebond rapide?
Ce n’est pas une question d’espoir
mais de préparation. La reprise doit
se préparer pendant la crise. Le plan
de soutien au chômage partiel que
nous avons présenté jeudi y contri-
buera. C’est décisif : il faut garder les
gens dans l’emploi. Les pays comme
l’Allemagne et les pays nordiques
qui avaient, en 2008, pris de tels dis-
positifs ont connu une reprise beau-
coup plus rapide que les autres. Il
faut en retenir la leçon : licencier,
c’est créer de l’incertitude, accentuer
la récession et perdre les compéten-
ces. Le second élément clé sera la
solidarité. Le choc est exogène et
généralisé. Il n’y aura pas de reprise
dans certains Etats tant que d’autres
continuent de s’enfoncer. La reprise
ne pourra être que collective et orga-
nisée en ce sens. Contrairement à ce
sements à effectuer. Nous savons
que les finances publiques sont déjà
mises à rude épreuve. Si les Etats
membres valident rapidement le
dispositif, on peut espérer que l’ins-
trument financier soit opérationnel
dans les prochaines semaines.
L’activité a été perturbée
par les restrictions aux
frontières, pour les détachés
et les saisonniers. Est-ce rentré
dans l’ordre?
Nous avons eu de fortes craintes au
début, mais la situation s’améliore. Il
est regrettable que le premier réflexe
de nombreux Etats ait été le repli sur
soi. C’était compréhensible mais
c’est un mauvais réflexe. Nous avons
présenté des lignes directrices pour
les travailleurs frontaliers et les sai-
sonniers, qui permettent de trouver
un juste équilibre entre protection
sanitaire et poursuite de l’activité.
Des salariés et agents doivent
travailler sans matériel de
protection. Peuvent-ils faire
jouer leur droit de retrait?
Il y a un grand principe clair et intan-
gible : la responsabilité de
l’employeur en termes de sécurité et
de santé au travail. Il y a en outre,
nous le savons tous, des pénuries, de
masques en particulier. Le plus
important aujourd’hui est d’être
rapidement en situation de livrer les
équipements.
Les salariés des plateformes
numériques, comme Delive-
roo, craignent pour leur santé
mais ne veulent pas perdre
leurs revenus en s’arrêtant...
La prise en charge des indépendants
ou de ce type de travailleurs est du
ressort des Etats membres. Ils peu-
vent les soutenir financièrement,
comme le fait, par exemple, l’Italie.
Notre mécanisme de soutien au chô-
mage partiel prévoit explicitement
que les personnes travaillant à leur
compte ou pour des plateformes
peuvent en bénéficier.
Au-delà de ces mesures
d’urgence, il faudra tirer les leçons
de cette crise. Elle révèle que bénéfi-
cier d’une protection sociale forte et
universelle est essentiel. Le thème de
la protection sociale pour tous, quel-
les que soient les formes de travail,
est clairement posé et je vais tra-
vailler dans cette direction. Regar-
dez le drame que provoque aux
Etats-Unis une protection sociale
très faible. Beaucoup ont comme
seul choix d’aller travailler malade
ou de ne plus avoir de revenus! Ce
n’est pas cela l’Europe.n
que semblent espérer certains Etats,
nous ne pourrons pas compter sur
une relance par l’exportation, nos
partenaires chinois et américains
étant, eux aussi, en grande difficulté.
L’Europe aura plus que jamais
besoin d’un marché unique fort et
organisé.
Comment fonctionnera
le soutien européen
au chômage partiel?
Le dispositif est basé sur un article
des traités, le 122.2, déjà employé en
2010 pour des prêts au Portugal et à
la Grèce. C’est un outil de gestion de
crise générale, et nous y sommes. Si
nous obtenons l’accord du Conseil,
la Commission empruntera sur les
marchés financiers puis prêtera aux
Etats. Cela permettra à certains de
bénéficier de meilleurs taux que
ceux qu’ils auraient obtenus en
empruntant eux-mêmes. La seule
condition pour en bénéficier sera de
bien attribuer ces sommes au main-
tien dans l’emploi. Ce n’est absolu-
ment pas une aide aux licen-
ciements. Nous prévoyons
d’emprunter jusqu’à 1 00 milliards
d’euros. Cela nécessite que les 27
Etats membres apportent un total
de 25 milliards d’euros en garanties.
Ce sont, j’insiste, de simples garan-
ties à apporter, aucunement des ver-
NICOLAS SCHMIT
Commissaire euro-
péen à l’Emploi et
aux Droits sociaux
« Nous ne pourrons
pas compter sur
une relance par
l’exportation, nos
partenaires chinois
et américains
étant eux aussi en
grande difficulté. »
traient de prêter des fonds à un Etat :
elles renverraient à la nécessité
d’utiliser les financements unique-
ment pour affronter la crise du coro-
navirus et seraient beaucoup moins
intrusives que ce que le MES prati-
quait jusqu’à présent.
Réponse budgétaire
La question du « stigmate », en
revanche, reste complexe : les pays
les plus concernés, comme l’Italie,
redoutent un mécanisme qui les
singulariserait aux yeux des mar-
chés. Berlin propose un dispositif
conçu pour tous mais qui pourrait
être sollicité par des Etats indivi-
duellement.
Autre outil à la disposition des
Européens : la Banque européenne
d’investissement (BEI). « Elle a des
crédits, elle a de l’argent. Il est temps
de l’utiliser », a estimé le ministre
français, Bruno Le Maire.
Jeudi, la Commission euro-
péenne a également proposé un dis-
positif qui pourrait faciliter le finan-
cement des mesures de soutien au
chômage partiel. Et la réflexion
porte, enfin, sur la réponse budgé-
taire que les Européens pourraient
apporter, alors que le budget euro-
péen 2021-2027 doit être tranché
dans les prochains mois.
Mais la question des obligations
émises collectivement, actuelle-
Pour Mario Centeno,
qui préside
l’Eurogroupe,
les divergences
européennes risquent
à long terme
de fragmenter
la zone euro.
John Thys/AFP