Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

08 //EVENEMENT Lundi 6 avril 2020 Les Echos


annoncé que le pays allait finale-
ment devoir opter pour une straté-
gie plus drastique, très similaire à
celle implémentée en France. « Nous
avons décidé qu’au lieu de resserrer
progressivement les mesures au cours
des prochaines semaines, nous
devrions faire un pas décisif mainte-
nant, pour prévenir l’escalade des
infections », a déclaré le chef de l’exé-
cutif à l’occasion d’une intervention
télévisée. N’employant pas le mot de
confinement, il a évoqué la nécessité
« d’enclencher un disjoncteur ».

Fermetures
et distanciation sociale
A compter de mardi, la cité-Etat va
donc fermer, pour au moins un
mois, toutes ses écoles ainsi que la
plupart des lieux de travail, à l’excep-
tion des services essentiels et des
secteurs économiques clés. Les
supermarchés, les commerces
d’agroalimentaire, les hôpitaux, les
grands services publics, les banques
et les services de transport en com-
mun resteront opérationnels. Mais
les employés des autres institutions
ou entreprises devront travailler au

tre a pointé la récente croissance du
nombre de contaminations décou-
vertes sur le territoire. Si Singapour
ne repérait, pendant les premières
semaines, qu’une vingtaine de cas
chaque jour et réussissait, à chaque
fois, à retracer l’origine de l’infec-
tion, le pays a dû gérer, depuis la fin
mars, plus de cinquante nouveaux
cas par jour et ne parvient plus à
identifier aussi systématiquement
tous les foyers de contamination.
Au total, ses autorités médicales
ont recensé 1.049 contaminations
et cinq décès liés à la pneumonie
virale.

Apparition de cas isolés
Le revirement de Singapour risque
d’inquiéter les autres capitales
d’Asie qui ont également refusé,
pour des raisons politiques ou éco-
nomiques, d’imposer le confine-
ment à leur population. Comme
Singapour, Taïwan et la Corée du
Sud ont préféré mettre en place des
stratégies pointues de traçage systé-
matique des malades et de dépis-
tage massif. Le Japon a lui opté pour
une identification prioritaire des

malades vulnérables mais restreint
les tests pour ne pas encombrer ses
hôpitaux avec des personnes infec-
tées mais souffrant peu du Covid-19.
S’ils ont réussi à contenir jus-
qu’ici l’épidémie, aucun de ces pays
n’a encore réussi à complètement
l’éteindre et tous se refusent donc à
crier victoire. Ces derniers jours, les
autorités coréennes et nippones
ont même pointé la multiplication,
dans leurs grandes villes, des conta-
minations isolées dont ils peinent à
comprendre l’origine.
Au Japon, les gouverneurs de
Tokyo et d’Osaka pressent le gouver-
nement central emmené par Shinzo
Abe de décréter l’état d’urgence afin
de leur permettre d’entreprendre un
confinement allégé. Une option que
le Premier ministre a pour l’instant
rejetée au nom de la santé économi-
que et sociale du pays. « Si vous me
demandez si nous pourrions mettre
en place un confinement similaire à
celui de la France, la réponse est non »,
a fermement expliqué, cette
semaine, Shinzo Abe à des parle-
mentaires qui l’interrogeaient sur sa
stratégie.n

Singapour enclenche « le disjoncteur » et inquiète l’Asie


Yann Rousseau
@yannsan
—Correspondant à Tokyo


Depuis la découverte des premiers
cas de coronavirus hors de Chine, en
janvier, Singapour s’était imposé,
avec Taïwan et la Corée du Sud,
parmi les meilleurs modèles de ges-
tion de la crise. Profitant de son
espace restreint, d’infrastructures
médicales performantes et du sou-
tien de la population à une stratégie
de contrôle étroite, le pays avait
réussi à contenir la propagation de
la maladie et à limiter le nombre de
décès sans imposer de confinement
à sa population et à ses entreprises.
Mais, vendredi soir, le Premier
ministre Lee Hsien Loong a


La cité-Etat avait opté pour
une stratégie habile mêlant
dépistage massif et traque
pointue des foyers de
contaminations, afin
d’éviter de paralyser son
économie. Mais elle vient
d’annoncer son bascule-
ment dans le confinement


Son appel, lourd d’émotions et
d’inquiétudes, a fait le buzz. Anasta-
sia Tatoulova, lors d’une récente
rencontre de Vladimir Poutine avec
les milieux d’affaires, a interpellé le
chef du Kremlin. « Je vais vous parler
sans larmes mais, en réalité, c’est une
tragédie », a lancé la jeune autodi-
dacte avant de demander au prési-
dent d’appliquer des mesures
d’urgence pour sauver des milliers
de PME. Anderson, sa chaîne de res-
taurants familiaux, est touché de
plein fouet par les méfaits économi-
ques du coronavirus. « La plupart
d’entre nous sommes en phase termi-
nale et n’avons plus que quelques
semaines à vivre », a prévenu Anas-
tasia Tatoulova, très directe avec
Vladimir Poutine.
Pour lutter contre la propagation
de la pandémie, le chef du Kremlin a
déclaré avril « un mois chômé », per-
mettant à Moscou et de nombreuses
régions d’imposer un confinement
obligatoire. Le président a exigé « le
maintien des salaires » pour tous.
Une mesure applicable dans les plé-
thoriques administrations. Mais, à
l’image d’Anastasia Tatoulova dont
les restaurants ont dû fermer, de
nombreux employeurs privés n’ont
pas les moyens de continuer à payer
leurs employés. Les mesures
d’urgence du Kremlin, notamment
les baisses de charges patronales sur
les salaires et les « vacances » sur le
remboursement des crédits cou-
rants, risquent d’être insuffisantes
pour les sauver de la faillite.

Risque de surendettement
Dans les faits, les licenciements se
multiplient et beaucoup de Russes
se retrouvent de facto chez eux, sans
emploi. Le télétravail se développe
mais, au-delà de Moscou et des gran-
des villes, est loin d’être généralisé.
« Le Kremlin baisse les charges mais,
dans notre économie, beaucoup se fait
au noir... », rappelle un homme
d’affaires. « Et Poutine ne fait rien sur
les loyers. Pour des commerçants
comme moi, c’est le problème
urgent. » Le gouvernement a par
ailleurs annoncé des aides sociales,
notamment l’accélération des sub-
ventions aux familles avec enfants
ou l’augmentation des indemnités
maladies et chômage. Les foyers
prouvant une baisse de revenus de
plus de 30 % peuvent demander une
suspension temporaire des rem-
boursements d’emprunts. Mais
beaucoup de Russes, face à la perte
de salaires, risquent au contraire de
s’endetter alors qu’avant même la
pandémie, le surendettement
menaçait déjà.
Avec un ratio PIB/dette parmi les
plus faibles au monde, les fonda-
mentaux de la Russie sont certes
bons. Le gouvernement pourra pui-
ser dans les réserves du fonds souve-
rain (150 milliards de dollars) pour
financer les plans d’aide. Mais, outre
la pandémie, le pays doit affronter la
chute des prix du pétrole et la
dégringolade du rouble. Dans une
économie gagnée par la stagnation
depuis trois ans, les experts antici-
pent une récession en 2020, de 0,8 %
selon la dernière prévision de
S&P. Avec les faillites d’entreprises et
les défauts de paiement des particu-
liers, l’agence de notation redoute de
sérieuses difficultés dans le secteur
bancaire.
—B. Q.

Le Kremlin a annoncé
des mesures d’urgence
pour les entreprises
et les foyers en difficulté
en raison de la pandémie.

Les usines chinoises
de production de masques
tournent à plein régime
pour satisfaire la demande
étrangère notamment
européenne et américaine.
Photo STR / AFP

Michel De Grandi
@MdeGrandi


A mesure que progresse la pandé-
mie de coronavirus, la guerre des
masques se durcit. Et la consigne
suggérée, en fin de semaine, aux
citoyens américains, dans le pays
actuellement le plus touché par
l’épidémie, de porter le masque ne
va pas inverser la tendance.
La bataille se joue en Chine, pays
dont les capacités de production
quotidiennes sont passées de
20 millions de masques en février à
116 millions aujourd’hui. Sur les
2.500 centres répertoriés, il y a bien
sûr les grandes unités de produc-
tion mais aussi bon nombre d’arti-
sans.
La France à elle seule compte à
présent près de deux milliards en
commande. Tous les pays cher-
chent des masques, mais tous ne
sont pas livrés dans leur intégralité.
Tout se complique lorsque les mas-
ques de protection changent de
main in extremis. Plusieurs politi-
ques en France, dont Jean Rottner,
le président de la région Grand-Est,
ou Valérie Pécresse, en Ile-de-
France, se sont publiquement
offusqués de cette concurrence exa-
cerbée, n’hésitant pas à dénoncer
les méthodes de cow-boys des Amé-
ricains.


Inflation du prix
Les Américains « sortent le cash et
payent trois ou quatre fois les com-
mandes, donc il faut vraiment se bat-
tre » a expliqué Jean Rottner, sur
RTL. En fin de semaine, les autori-
tés américaines ont fermement
démenti avoir acheté des masques
initialement destinés à la France.
Sans forcément convaincre. Car
depuis quelques jours, les besoins
mondiaux explosent et avec eux, les
prix, confirme Arnaud Duval un
industriel présent à Shanghaï. « On
observe une double hausse actuelle-
ment, sur les masques et sur les coûts
de transport. Il y a quatre semaines,
un masque seul était vendu 8 yuans
(1,03 euro) et 10 ou 11 yuans rendu
France. Aujourd’hui, ces mêmes


deux millions de masques chirurgi-
caux commandés par la région
Grand Est à la Chine sont finale-
ment arrivés à l’aéroport de Bâle-
Mulhouse. Il s’agit de la première
région française à recevoir sa pro-
pre commande de masques passée
en complément des commandes
nationales.
En Paca, Renaud Muselier a
quant à lui et non sans une certaine
fierté confirmé sur son compte
Twitter l’acheminement d’une
commande. n

lAvec la progression du coronavirus,


la guerre des masques s’intensifie.


lAlors que les Etats-Unis démentent


avoir acheté des masques initialement


destinés à la France, en Chine


les témoignages confirment que les


Américains font monter les enchères.


En Russie, le


confinement


nourrit


les tensions


sociales


Ces masques que les pays s’arrachent


maximum depuis leur domicile. La
population devra aussi limiter ses
sorties hors des logements à ses
achats essentiels et à de brèves séan-
ces d’exercices physiques dans les
parcs de la ville. « L’esprit de ces
mesures est de nous amener à mini-
miser les contacts physiques », a
insisté Lee Hsien Loong. « Si nous ne
sortons pas, si nous évitons les con-
tacts avec les autres, alors le virus ne
pourra pas se propager. C’est aussi
simple que cela », a-t-il martelé.
Pour justifier ce soudain change-
ment de stratégie, le Premier minis-

« Nous avons
décidé que
nous devrions faire
un pas décisif
maintenant, pour
prévenir l’escalade
des infections. »
LEE HSIEN LOONG
Premier ministre de Singapour

masques (qualité FFP2) valent 18 ou
19 yuans livrés en France », explique-
t-il. En fin de semaine, les fabri-
cants imposaient des volumes
minimums à la commande et refu-
saient d’organiser l’expédition.
Interrogés, les transporteurs
express demandaient 5 35 yuans
par kilo contre 366 yuans dix jours
plus tôt.

Le prix n’est pas la seule barrière,
ces produits sont, au fil des jours et
malgré les quantités produites,
devenus tout simplement introu-
vables. Alors que dans Shanghaï
ces mêmes masques sont en
libre-service, les chaînes de fabri-
cation sont littéralement prises
d’assaut et leur production pré-
achetée. En cause notamment le
paiement. Les Français règlent
les achats en trois fois pendant
que les Américains paient au
comptant à la livraison. Les Chi-
nois, dont beaucoup se sont conver-
tis ponctuellement dans ce busi-
ness vont naturellement au plus
offrant, ce qui explique cette
bataille entre acheteurs. En outre,
les Etats-Unis utilisent des intermé-
diaires sur place, très efficaces, qui
assèchent le marché.
Un autre point se dessine dans
cette bataille : l’inflation du prix
entre le départ usine et l’arrivée en
France, du fait de marges prises par
les intermédiaires. Ainsi les pom-
piers d’une région de l’ouest de la
France, ont dû régler un montant
quatre fois supérieur à celui du
départ usine en Chine. Tout ça pour
ne recevoir que 1 5 % du volume ini-
tialement commandé.

Les livraisons assurées
Malgré les difficultés, il est possible
de passer entre les mailles du filet :

La France
a aujourd’hui
près de deux
milliards de masques
en commande.

L’UE renonce à la TVA sur les
importations de matériel médical

La Commission européenne a annoncé vendredi renon-
cer aux droits de douane et à la TVA sur les importations
de matériel médical, pour les rendre plus accessibles.
La mesure, qui concerne les masques, équipements de
protection, kits de dépistage, ventilateurs, etc... s’appli-
quera pendant six mois renouvelables avec effet rétro-
actif au 30 janvier. Ainsi, en Italie, par exemple, certains
masques et vêtements de protections importés de Chine,
sur lesquels sont perçus des droits de douane de 12 %
et une TVA de 22 %, deviendront un tiers moins chers.
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