Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

Les Echos Lundi 6 avril 2020 EVENEMENT// 09


alors que le parti poursuivait une
politique centriste, sous la direc-
tion d’Ed Miliband. Il n’est député
de la circonscription londonienne
de Holborn et Saint-Pancras que
depuis 2015. Non seulement il n’a
pas soutenu cette année-là la candi-
dature de Jeremy Corbyn pour
prendre la tête du Labour, mais il a
démissionné avec une soixantaine
d’autres responsables du parti
pour protester contre son lea-
dership à la mi-2016, alors qu’il était
en charge de l’Intérieur dans le
cabinet travailliste « fantôme ». Il y
reviendra quelques mois plus tard
pour se voir chargé du Brexit au
sein du parti.

Fervent partisan
du Remain
Ce fervent partisan du Remain fait
alors tout ce qu’il peut pour obliger
Jeremy Corbyn à clarifier la posi-
tion du parti, en poussant vers un
deuxième référendum. Résultat
des courses : à la grande confé-
rence du Labour fin 2018 à Liver-
pool, les travaillistes adoptent une
position alambiquée, fruit d’un
compromis serré : le parti cher-
chera d’abord à prendre le pouvoir
en obtenant des législatives antici-
pées, et c’est seulement s’il échoue
qu’il « soutiendra alors toutes les
options restant sur la table, y com-
pris un “public vote” », autrement
dit un nouveau référendum.
Ce modéré, favorable au mariage
gay et à l’égalité des droits des
homosexuels, a voté contre un sys-

tème d’asile et une politique
d’immigration plus stricts. Son
positionnement plus centriste que
Corbyn (sans être aussi libéral
qu’un Blair) et son style le rendent
crédible pour prétendre un jour à
Downing Street. Mais il est à ce
stade resté vague sur un éventuel
recentrage du Labour, se faisant
plutôt le champion de l’unité du
parti.

La compétence
mais pas le charisme
Simple et facilement abordable
dans les fêtes de rue ou les pubs de
Kentish Town, le quartier du nord
de Londres où il habite avec sa
femme et ses deux enfants, l’ex-étu-
diant d’Oxford souffre néanmoins
d’un manque de charisme, et même
ses fans reconnaissent qu’il est
terne. « Boring Starmer »
(l’ennuyeux Starmer) titrait il y a
quelques semaines le « Financial
Times ».
« Il manque totalement de person-
nalité, quand il parle il n’y a aucun
mot qui résonne », estime un ancien
cacique du parti. « Avec l’épidémie
de coronavirus, il est possible que
les actions du charisme soient à la
baisse et celles de la compétence à la
hausse », nuance le politologue Tim
Bale, de l’Université Queen Mary.
Or en bon juriste, Starmer sait des-
cendre dans le détail d’une politique
ou décortiquer un texte législatif,
un terrain où Boris Johnson est par
nature moins à l’aise.
—A. C.

Keir Starmer, un modéré


à la tête du Labour


On raconte qu’il a inspiré le person-
nage de Mark Darcy joué par Colin
Firth dans le « Journal de Bridget
Jones ». Le nouveau chef de l’oppo-
sition travailliste Keir Starmer, élu
samedi avec 56 % des votes, a en tout
cas, comme lui, un passé d’avocat au
service de nobles causes. Cet émi-
nent juriste de 57 ans, qui a cofondé
en 1990 le cabinet Doughty Street
Chambers, auquel appartient
aujourd’hui Amal Clooney, n’est pas
seulement connu pour avoir
défendu deux activistes qui avaient
écrit un pamphlet contre McDo-
nald’s. Un cas resté dans les annales.
Ce spécialiste des droits de l’homme
a aussi conseillé sur ces questions la
police d’Irlande du Nord et participé
aux batailles pour abolir la peine de
mort dans les pays d’Afrique et des
Caraïbes. Avant d’occuper, de 2008
à 2013, le poste de directeur des
poursuites pénales pour l’Angle-
terre et le pays de Galles.
Fils d’un outilleur et d’une infir-
mière, qui l’ont prénommé Keir en
référence au fondateur du Labour
Keir Hardie, Starmer n’est entré en
politique que sur le tard : en 2013,


L’ex-avocat au service des
grandes causes, député
depuis 2015 et chargé du
Brexit au Labour depuis
2016, a un positionnement
modéré qui le rend crédible
pour prétendre au poste
de Premier ministre. Mais
même ses fans reconnais-
sent qu’il est terne.


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Un nouveau chef, de nombreux défis pour


l’opposition travailliste au Royaume-Uni


L’arrivée de Keir Starmer aux commandes du Labour pourrait remettre le parti en position
de reprendre à terme le pouvoir. Photo Daniel Leal-Olivas / AFP

Alexandre Counis
@alexandrecounis
—Correspondant à Londres


Trois mois et demi après sa cuisante
défaite aux législatives de la mi-dé-
cembre, la pire depuis 1 935, le
Labour a tourné ce week-end la page
Corbyn. L’arrivée à sa tête de Keir
Starmer, le « Monsieur Brexit » du
parti, élu dès le premier tour samedi,
avec 56,2 % des voix par les
550.000 militants, donne aux tra-
vaillistes britanniques une chance
de se relancer. Mais la route risque
d’être longue, et les défis sont
nombreux.
L’élection de ce modéré de 57 ans,
plus centriste que Jeremy Corbyn
sans être pour autant aussi libéral
qu’un Tony Blair, remet-elle le parti
en position de reprendre, à terme, le
pouvoir? Elle rend en tout cas le scé-
nario plus crédible, alors que la
déroute de décembre montre que la
surenchère radicale à gauche n’a pas
fonctionné. « Nous avons une monta-
gne à gravir », a cependant reconnu
Keir Starmer samedi, dans son pre-
mier discours de dirigeant, rappe-
lant que le parti a perdu « quatre élec-
tions [législatives] d’affilée ».
L’arrivée de Keir Starmer augure-
t-elle d’un recentrage de la ligne du
Labour, dont Jeremy Corbyn avait
déplacé le curseur très à gauche
depuis son arrivée en 2015? Le nou-
veau leader s’est montré extrême-
ment discret sur ses intentions exac-
tes, et il a pris soin de ne pas trop
s’engager. Se gardant bien de renier


l’héritage de Jeremy Corbyn, il a
néanmoins envoyé des œillades sur
sa gauche en reprenant plusieurs
promesses du « manifeste » actuel,
notamment sur l’environnement et
la nationalisation de l’eau, de l’éner-
gie ou du rail. Le parti, quoi qu’il
arrive, restera plus ancré à gauche
que sous Tony Blair.
Keir Starmer lancera-t-il une
purge contre les éléments de la gau-
che la plus extrême pour avoir les
coudées franches à la tête du parti?
« Son instinct est sans doute plutôt de
garder tout le monde à bord, explique
le politologue Tim Bale, de Queen
Mary University. Il sera intéressant
de voir s’il a le courage et l’habilité
nécessaires pour écarter ceux qui
doivent l’être. »
Plutôt que de prôner ouvertement
un changement de politique, le nou-
veau leader s’est pour l’instant posi-
tionné en champion de l’unité du
parti. Il a commencé par s’excuser
dès samedi de « la tache » que consti-
tuent les accusations d’antisémi-
tisme ayant fusé en son sein ces der-
niers mois, une polémique que
Jeremy Corbyn n’a pas su régler.
« J’arracherai ce poison par la
racine », a-t-il promis.

Boris Johnson en hausse
Il s’est aussi engagé à exercer une
opposition plus constructive. « Sous
mon leadership, [...] nous ne ferons
pas de l’opposition pour le plaisir de
l’opposition, nous ne chercherons pas
à marquer des points de politique poli-
ticienne, nous ne ferons pas de

demandes impossibles. Mais nous
aurons le courage de soutenir [le gou-
vernement] quand c’est la chose à
faire », a-t-il promis. En commen-
çant par la pandémie actuelle, où il a
prévenu qu’il jouerait un rôle
d’aiguillon avec « un but partagé »,
celui de sauver des vies.

La situation actuelle rend toute-
fois les choses compliquées pour
l’opposition travailliste. La popula-
rité de Boris Johnson s’est envolée
depuis que les conservateurs
ont déployé des mesures de soutien
économiques et sociales sans précé-
dent pour les entreprises et les tra-
vailleurs, occupant un positionne-
ment traditionnellement réservé au
Labour... au risque de le rendre tota-
lement inaudible. Selon un récent
sondage YouGov, 5 5 % des Britanni-
ques ont une opinion favorable du
Premier ministre, contre 4 3 % une
semaine plus tôt. Et parmi les 72 %
jugeant que le gouvernement gère
correctement la crise sanitaire,
figurent de nombreux électeurs
travaillistes.n

lKeir Starmer, chargé depuis trois ans du Brexit pour les


travaillistes, a été élu dès le premier tour à la tête du parti,


samedi, à 56,2 % des voix par les 550.000 militants.


lL’arrivée de ce modéré donne aux travaillistes britanni-


ques une chance de se relancer. Mais la route risque d’être


longue et difficile.


Plutôt que de prôner
ouvertement
un changement de
politique, le nouveau
leader s’est pour
l’instant positionné
en champion
de l’unité du parti.
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