Le Monde - 11.03.2020

(avery) #1

10 |planète MERCREDI 11 MARS 2020


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Inquiétude et précautions pour les municipales


De Lyon à Lille, en passant par Matignon, des mesures ont été prises en vue de l’organisation du scrutin


L


a campagne des munici­
pales au temps du coro­
navirus, c’est un peu
d’anxiété, beaucoup de
capacité d’adaptation et de l’in­
connu à chaque coin de rue. Plus
la perspective des élections mu­
nicipales des 15 et 22 mars appro­
che et moins les 902 465 candi­
dats lancés à l’assaut des 34 967
communes de France savent à
quel oracle se vouer.
L’homme à qui je viens de ta­
per le coude sur le marché ce ma­
tin ira­t­il voter dimanche, mal­
gré la crainte de la contagion?
Les assesseurs seront­ils suffi­
samment nombreux à braver la
psychose ambiante pour venir
tenir les bureaux de vote? Annu­
ler mes meetings prévus dans la
dernière ligne droite fera­t­il de
moi un candidat responsable, ou
bien dois­je vaille que vaille ten­
ter de mobiliser les troupes jus­
qu’au bout?
Il est en tout cas une question à
laquelle le premier ministre,
Edouard Philippe, a apporté une
réponse claire : les municipales
auront bien lieu, malgré le mil­
lier de malades recensés en
France et la survenue prochaine
du stade 3 de l’état d’alerte. « Les
élections constituent, dans la vie
de nos territoires, un moment de
respiration démocratique essen­
tiel. Il n’est donc aucunement
question de les reporter », a écrit
Edouard Philippe, le week­end
du 7 mars, dans un courrier
adressé aux maires de France.

Une série de recommandations
Pour leur permettre de se dérou­
ler dans les meilleures condi­
tions possible, le locataire de Ma­
tignon a adressé aux élus une sé­
rie de recommandations. Tout
d’abord, rappeler à l’entrée de
chaque bureau de vote, à l’aide
d’un écriteau, quelles sont les
« mesures barrières » à adopter
pour ne pas répandre le virus :
« saluer sans se serrer la main, évi­
ter les embrassades, se laver les
mains très régulièrement, tousser
ou éternuer dans son coude », etc.
Ensuite, gérer les files d’attente
de manière à limiter « les situa­
tions de promiscuité prolongée ».
Enfin, suivre les consignes qui
seront communiquées ces pro­
chains jours par les autorités
quant aux « surfaces de contact »
que représentent les bulletins de
vote ou les stylos utilisés pour
l’émargement sur les listes. Au

sein du gouvernement, on réflé­
chit ainsi à l’éventualité de de­
mander à chaque électeur de ve­
nir avec son propre stylo.
Pour l’heure, tout cela semble
encore lointain aux yeux de can­
didats contraints de revoir leurs
plans pour ces derniers jours de
campagne, alors que les rassem­
blements de plus de mille person­
nes sont interdits depuis diman­
che. A Paris, la maire sortante,
Anne Hidalgo, et son concurrent
écologiste, David Belliard, ont an­
nulé leurs réunions publiques qui
étaient prévues cette semaine.
Idem à Lyon, pour Etienne Blanc
(Les Républicains, LR) ou David
Kimelfeld, candidat dissident de
La République en marche (LRM),
qui recensait pourtant 600
préinscriptions pour son mee­
ting prévu, mardi 10 mars.
« Ce contexte de précaution et
d’incertitude nous complique
vraiment la tâche, nous avions
déjà quinze jours de vacances sco­
laires qui ont limité les grands

rassemblements publics », s’agace
un cadre de sa campagne. Sa­
medi, les meetings organisés
dans la cité des Gaules par les
écologistes, d’un côté, et la gau­
che unie (Parti socialiste et Parti
communiste notamment), de
l’autre, n’ont d’ailleurs pas fait le
plein. L’impact du coronavirus,
veut­on croire.

Argument électoral
De ce handicap apparent, cer­
tains veulent faire une force.
Dans le Sud­Est, les candidats an­
nulent ainsi leurs meetings les
uns après les autres, décision pré­
sentée comme « patriote » et « res­
ponsable ». A Grasse (Alpes­Mari­
times), la tête de liste du Rassem­
blement national, Patrick Isnard,
et Chems Sallah, jeune dissident
de la majorité LR de la commune,
ont tous les deux annoncé l’an­
nulation de leurs réunions publi­
ques, invitant les autres candi­
dats à faire de même au nom « de
la santé des Grassois ».

Philippe Schreck, candidat de
droite sans étiquette à Dragui­
gnan (Var), a décidé pour sa part,
dès le 2 mars, d’annuler son mee­
ting, alors qu’aucun cas de coro­
navirus n’avait encore été dé­
tecté dans le département. Le
candidat a préféré s’adresser aux
Dracénois via un Facebook live
en invoquant son « sens des res­
ponsabilités » ainsi que sa « soli­
darité envers les plus fragiles ».
Beaucoup plus au Nord, à Stras­
bourg, le coronavirus est aussi

devenu un argument électoral
sonnant et trébuchant. La candi­
date socialiste et ancienne mi­
nistre, Catherine Trautmann,
n’hésite pas à assurer qu’elle sera
là, au lendemain du scrutin,
« pour prendre les décisions qui
s’imposent » si le stade 3 de l’épi­
démie devait être atteint. Son
concurrent LRM, Alain Fontanel,
premier adjoint dans l’équipe
sortante, argue quant à lui
d’échanges récents avec les re­
présentants économiques pour
proposer un plan de soutien aux
entreprises et commerçants.
Pendant ce temps­là, les équi­
pes municipales s’activent pour
préparer les bureaux de vote. A
Lille, chacun d’entre eux sera
équipé à l’entrée d’un kit avec du
gel hydroalcoolique pour se laver
les mains, ainsi que des lingettes
et du désinfectant pour nettoyer
régulièrement les tables, les ur­
nes, les crayons et les tablettes
des isoloirs. Lundi, aucun asses­
seur n’avait annulé sa présence,

et leur liste, ainsi que celle des
présidents de bureaux de vote,
était définitivement bouclée.
A Bourges, les services de la
mairie réfléchissent quant à eux
au meilleur virucide à pulvériser
directement sur leurs 58 machi­
nes à voter pour les désinfecter
tout au long de la journée, avec
un temps de latence réduit afin
de ne pas ralentir le vote et d’évi­
ter de créer des files d’attente an­
xiogènes.
« Nous sommes censés terminer
les votes à 18 heures, mais nous
essayons d’obtenir deux heures
supplémentaires, explique Chris­
tophe Durand, directeur de cabi­
net du maire, Pascal Blanc, can­
didat à sa réélection. Quoi qu’il
en soit, pour chaque électeur, ce
sera “je rentre, je présente ma
carte d’électeur sans la donner, je
me désinfecte les mains avant
d’émarger et je me redésinfecte
avant de rejoindre ma machine.
En veillant à ce qu’un mètre me
sépare de chaque personne !” »

La procuration encouragée
Toute cette prévention vise à ras­
surer l’électeur qui hésiterait à se
rendre aux urnes. « Imaginons
que vous êtes candidat au Havre,
que vous êtes ric­rac, et que les
vieux ne vont pas voter... », grince
ainsi un député macroniste en
référence à Edouard Philippe,
candidat dans la cité portuaire.
Le gouvernement s’est particu­
lièrement soucié de cette catégo­
rie de la population : le recours
au vote par procuration va en ef­
fet être encouragé, puisque les
directeurs d’Ephad seront habili­
tés à recueillir lesdites procura­
tions auprès de leurs pension­
naires, là où seul un officier de
police judiciaire pouvait le faire
jusqu’à présent.
L’abstention, de toute façon,
pourrait ne pas se manifester là
où on l’attend. Selon un sondage
IFOP, 28 % des électeurs sont sus­
ceptibles de ne pas se rendre aux
urnes en raison de l’épidémie de
coronavirus. Parmi eux, les jeu­
nes de 25 à 34 ans arrivent en
tête. Ils sont mêmes 25 % à être
certains de ne pas voter, contre
seulement 11 % des 65 ans et
plus. Ces derniers, pourtant,
sont les plus exposés aux risques
de l’épidémie. « Peut­être qu’il y a
chez eux une forme de résilience
plus importante », sourit un
membre du gouvernement.
olivier faye,
sofia fischer (à nice),
laurie moniez (à lille),
richard schittly (à lyon),
nathalie stey (à strasbourg)
et jordan pouille (à bourges)

DANS LE SUD­EST, LES 


CANDIDATS ANNULENT 


LEURS MEETINGS LES UNS 


APRÈS LES AUTRES, 


DÉCISION PRÉSENTÉE 


COMME « PATRIOTE » 


ET « RESPONSABLE »


Nettoyage d’une machine à voter à Mulhouse. DAREK SZUSTER/MAXPPP

É P I D É M I E D E C O V I D ­ 1 9


« restez à une distance d’un mètre du
président et de Brigitte Macron! C’est très
important! » Ce lundi matin, alors que le
chef de l’Etat est attendu à l’inaugura­
tion d’un café solidaire sur l’avenue des
Champs­Elysées, où sont employées des
personnes trisomiques ou autistes, la se­
crétaire d’Etat au handicap passe les con­
signes. Interdiction de serrer la main ou
d’embrasser Emmanuel Macron. « On
peut à cette occasion apprendre le salut
du langage des signes français », insiste
Sophie Cluzel, geste à l’appui.
Un mois et demi après l’apparition des
premiers cas de coronavirus en France et
alors que l’épidémie de Covid­19 menace
de paralyser tout ou partie du pays, l’exé­
cutif s’est décidé à prendre des mesures
plus drastiques pour protéger les princi­
paux responsables de l’Etat. « Il faut as­
surer le bon fonctionnement et la conti­
nuité de l’Etat, protéger les organes vi­
taux », justifie­t­on dans l’entourage
d’Emmanuel Macron. A l’Assemblée,
cinq députés ont déjà été testés positifs
au Covid­19 et hospitalisés ou confinés à
domicile, de même que le ministre de la
culture, Franck Riester.

Selon nos informations, plusieurs réu­
nions se sont tenues lundi matin à l’Ely­
sée pour adapter les mesures de protec­
tion. Si aucun membre du personnel de
la présidence ne présente pour l’instant
de symptômes, l’entourage du chef de
l’Etat ne veut prendre aucun risque. Les
services de nettoyage doivent désormais
passer deux fois par jour des lingettes
désinfectantes sur les bureaux, une me­
sure également adoptée à Matignon.
Toutes les visites publiques à l’Elysée ont
été suspendues et les réunions dans les
bureaux sont désormais interdites – des
salles avec des chaises espacées d’un mè­
tre ont été prévues.

Pas question de se confiner
Plus contraignant, l’Elysée envisage de
sanctuariser le bureau d’Emmanuel Ma­
cron, situé au premier étage du palais de
l’Elysée. « On se pose la question de limi­
ter son accès aux principaux collabora­
teurs », reconnaît un membre du cabinet
présidentiel. « On sait qu’on aura un cas
de coronavirus à un moment ou à un
autre, il faut être prêt », justifie­t­on. A
l’inverse, aucune mesure n’est pour

l’instant prévue pour le conseil des mi­
nistres de mercredi, où les membres du
gouvernement se retrouvent côte à côte
durant plusieurs heures dans le salon
Murat, au rez­de­chaussée de l’Elysée.
Pour autant, Emmanuel Macron l’a fait
savoir à son entourage : pas question
pour lui de se confiner volontairement,
comme a décidé de le faire son homolo­
gue portugais. Marcelo Rebelo de Sousa
a annoncé, dimanche 8 mars, qu’il sus­
pendait toutes ses activités publiques au
Portugal et à l’étranger, après avoir été
en contact avec des élèves d’une école où
un cas de Covid­19 a été détecté. Le diri­
geant lusitanien estime qu’il doit « don­
ner l’exemple » au moment où les autori­
tés sanitaires de son pays multiplient les
mises en garde.
Une décision impensable pour Emma­
nuel Macron. « Le président doit rassurer
mais il ne peut pas disparaître. Il doit être
exemplaire mais il ne peut pas se confi­
ner, estime­t­on à l’Elysée. On ne peut pas
diriger le pays par téléphone ou par visio­
conférence. » C’est pour cette raison que
le chef de l’Etat a décidé de maintenir sa
visite au Café joyeux, lundi matin. « Le

président s’était engagé à venir, il n’a pas
voulu annuler car il ne veut pas que le
pays soit bloqué », justifie un proche.
Signe de cette volonté, le couple prési­
dentiel s’est offert une descente de l’ave­
nue des Champs­Elysées après sa visite
au café solidaire, pour rejoindre à pied le
palais de l’Elysée. Escorté de nombreux
officiers de sécurité, qui ont d’autorité
écarté les médias présents, M. Macron en
a profité pour discuter avec des badauds
et rentrer dans une boulangerie. « Vous
sentez la baisse de la clientèle ?, a­t­il de­
mandé à un taxi. On prendra des mesures
proportionnées pour les entreprises. »
De la même façon, l’entourage prési­
dentiel a fait savoir que le chef de l’Etat et
son épouse avaient assisté, vendredi
6 mars, à une représentation de la pièce
Par le bout du nez au Théâtre Antoine, à
Paris. « Le président a précisé que malgré
le coronavirus, la vie continuait et qu’il ne
fallait pas (sauf pour les populations fra­
giles) modifier les habitudes de sortie, en
suivant les règles d’hygiène », a tweeté le
producteur Jean­Marc Dumontet, consi­
déré comme un proche de M. Macron.
cédric pietralunga

« Le président doit rassurer, mais il ne peut pas disparaître »


Le ministre de la
culture contaminé
Lundi 9 mars, le ministre de la
culture, Franck Riester, a été
testé positivement au coronavi-
rus. « Le ministre de la culture va
continuer de travailler à distance,
a précisé Matignon. Les règles
de protection sont les mêmes
pour les ministres que pour tous
les Français. » Le ministre, âgé de
46 ans, avait passé plusieurs
jours début mars devant la com-
mission des affaires culturelles
de l’Assemblée pour présenter
son projet de loi sur la commu-
nication audiovisuelle. Cinq dé-
putés et deux membres du per-
sonnel du Parlement ont
également été contaminés, dont
deux élues ayant participé
aux réunions de la commission
des affaires culturelles.
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