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MERCREDI 11 MARS 2020 économie & entreprise| 21
Rishi Sunak, richissime
brexiter et homme fort
de l’économie britannique
L’exbanquier d’affaires, pur produit de l’Empire britannique 2.0 et
marié à la fille d’un milliardaire indien, présente, mercredi 11 mars,
le premier budget de l’ère postBrexit. Un exercice périlleux
PORTRAIT
londres correspondants
A
vec sa raie sur le
côté, ses costu
mes ajustés et
son large sourire
aux dents étince
lantes, Rishi Su
nak, 39 ans, a des allures de gen
dre idéal. Son brillant parcours ac
centue ce profil impeccable : Win
chester College, un pensionnat
anglais haut de gamme, puis uni
versité d’Oxford pour des études
d’économie, de politique et de
philosophie (la voie royale, avec la
note maximale, un « first »), et
MBA à l’université Stanford, aux
EtatsUnis, avec une bourse.
Il a enchaîné avec une carrière
météorique dans la finance (Gold
man Sachs, suivi de fonds d’inves
tissement spéculatifs) puis, cinq
ans après son entrée en politique
(il a été élu député en 2015 à Rich
mond, un bastion conservateur
du Yorkshire), il a été nommé le
13 février 2020 chancelier de
l’Echiquier.
Désormais pièce maîtresse du
cabinet de Boris Johnson et
homme fort de l’économie bri
tannique, le juvénile Sunak, qui a
gravi les échelons sans laisser de
traces, va devoir se lancer dans
l’arène. Mercredi 11 mars, il pré
sentera le premier budget britan
nique de l’ère postBrexit. L’exer
cice est très attendu, mais haute
ment périlleux.
M. Sunak est chargé de transfor
mer en réalité les promesses fai
tes par Boris Johnson. L’avenir ra
dieux de l’aprèsBrexit, les grands
travaux destinés à redresser le
nord de l’Angleterre (à la traîne de
Londres et du sud du pays), l’amé
lioration de services de santé qui
craquent de toutes parts... A lui de
traduire en espèces sonnantes la
vision enthousiaste, mais plutôt
floue, promue par le premier mi
nistre britannique.
L’épidémie due au coronavirus
ne lui simplifie évidemment pas
la tâche. Difficile de présenter un
budget à long terme, alors que
l’urgence sanitaire et économi
que impose des mesures immé
diates. Le Livre blanc sur les in
frastructures, qui était prévu en
parallèle, a d’ailleurs été repoussé.
Jill Rutter, du groupe de réflexion
Institute for Government, estime
que M. Sunak pourrait « revenir à
l’automne avec un budget rectifi
catif, et se contenter d’un budget à
l’ambition limitée le 11 mars ».
Pour l’essentiel des Britanni
ques, cet homme investi d’une
telle responsabilité reste un par
fait inconnu. Jusqu’à sa promo
tion surprise par Boris Johnson il
y a moins d’un mois, il était large
ment resté sous les radars, ayant
seulement été nommé secrétaire
d’Etat au Trésor six mois aupara
vant. « On le connaît à peine. On ne
sait pas vraiment quelles sont ses
convictions politiques », confie un
député d’un parti d’opposition à
Westminster, très curieux,
comme nombre de ses condisci
ples, de savoir quel budget M. Su
nak parviendra à délivrer.
On sait juste qu’il est libéral, pas
sionné de finance et brexiter d’as
sez longue date. A l’université, il
ne s’intéresse pas à la politique,
mais passe son temps libre au
club d’investissement, pariant
sur les cours de Bourse. Après
Goldman Sachs, il rejoint le fonds
spéculatif TCI, puis devient cofon
dateur d’un autre, Theleme Par
tners, dirigé par le Français Pa
trick Degorce. Il se passionne
pour la Silicon Valley, et passe une
partie de sa carrière à investir
dans les nouvelles technologies,
de San Francisco à Bangalore.
Cette vision du monde l’a con
vaincu de voter pour le Brexit lors
du référendum du 23 juin 2016,
dans sa version « Global Britain ».
« Le Brexit est un choix qui ne se
présente qu’une fois par généra
tion. Quand je vois ce qui se passe
dans la Silicon Valley ou en Inde, la
vitesse à laquelle les choses chan
gent, je me dis qu’il faut qu’on ait la
flexibilité et la dextérité pour
s’adapter. » L’Union européenne,
à ses yeux, est trop lourde, trop
lente, trop protectionniste.
TOURNÉ VERS LES ÉTATS-UNIS
L’instinct libéral fait de lui un fer
vent partisan des ports francs, ces
zones où ne s’appliquent ni les
droits de douane ni la régulation
du reste du pays. Le 10 février, il
annonçait que jusqu’à dix d’entre
eux seraient créés au Royaume
Uni, « pour libérer le potentiel de
nos fiers ports historiques » et
« être les champions du libre
échange mondial ».
M. Sunak est un parfait repré
sentant de l’élite « British In
dian », la case qu’il coche pour se
définir lors des recensements. Ses
grandsparents et parents ont
quitté l’Inde pour s’installer en
Afrique de l’Est, avant de déména
ger au RoyaumeUni au moment
de la décolonisation. Ils faisaient
partie de cette élite indienne
ayant bénéficié de la période colo
niale. « J’ai été élevé dans la fierté
de l’Angleterre », expliquait M. Su
nak dans un long entretien à la
BBC, en octobre 2019. Quand il a
été élu député pour la première
fois, en 2015, son grandpère lui a
rendu visite à Westminster. « A un
moment, il s’est arrêté, a téléphoné
à un ami pour lui dire où il se trou
vait. Il avait les larmes aux yeux.
Pour lui, qui venait d’Inde, c’était
énorme. »
M. Sunak est né et a grandi à
Southampton (sudouest de l’An
gleterre), dans une famille de
classe moyenne ambitieuse. Son
père est médecin, sa mère, phar
macienne. « Ils travaillaient tout le
temps », se rappelle le chancelier.
A la maison, personne ne parle de
politique et M. Sunak affirme ne
pas savoir pour qui ses parents
votent : « Leur vision est qu’il faut
travailler aussi dur que possible,
que l’éducation est le passeport qui
ouvre les portes. »
Le racisme? Quasiment un non
sujet, assure M. Sunak, toujours à
la BBC, même s’il se souvient d’un
jour à l’adolescence, quand une
bande de jeunes l’a traité de
« Paki » (une grave insulte outre
Manche). « J’ai deux petites filles et
je ne peux pas imaginer qu’une
telle scène se produise de nos
jours », poursuitil, optimiste.
M. Sunak est hindou, ne mange
pas de bœuf, et lorsqu’il est de
venu député, a prêté serment sur
le Bhagavad Gita, un livre sacré
hindou, mais il est aussi pas
sionné de Star Wars et est un sup
porteur des Saints, l’équipe de
football de Southampton.
Atil seulement des défauts?
Tout juste avouetil que sa secré
taire garde pour lui une boîte avec
une cannette de CocaCola et un
Twix, en cas d’urgence. « Pour les
mauvais jours », reconnaissaitil
dans un sourire à deux lycéens à
qui il a accordé un entretien sur
YouTube, en octobre 2019.
En plus de ses origines indien
nes, M. Sunak est aussi un produit
de l’Empire britannique 2.0,
tourné vers les EtatsUnis et
l’Inde. Il est connu pour son ma
riage avec Akshata Murthy, ren
contrée à Stanford. La jeune
femme est la fille du milliardaire
indien Narayana Murthy, le fon
dateur d’Infosys, l’une des pre
mières multinationales de servi
ces informatiques. L’homme est
aujourd’hui la 51e fortune d’Inde,
selon le magazine américain For
bes. Au mariage de Rishi et Aks
hata à Bangalore, un millier d’in
vités étaient présents. Des photos
montrent le jeune marié les
mains jointes, un collier de fleurs
autour du cou, recevant les félici
tations des convives.
CADEAU EMPOISONNÉ
Le nouveau chancelier de l’Echi
quier parle peu de cette presti
gieuse bellefamille, mais cette al
liance fait probablement de lui le
plus riche des parlementaires bri
tanniques. Avant de se lancer en
politique, il a même été membre
du conseil d’administration de
Catamaran Ventures, le discret vé
hicule gérant la fortune de son
beaupère.
Rare signe extérieur de ri
chesse, celui que, localement, on
appelle le « Maharaja de Dales »
(en référence à la région du
Yorkshire Dales, dont il est dé
puté), s’est offert pour 1,5 million
de livres (1,7 million d’euros) un
superbe manoir géorgien, avec
étang et île privée, dans le char
mant village de Kirby Sigston.
La façon dont le chancelier de
l’Echiquier a atteint les plus hau
tes fonctions prête tout de même
le flanc aux critiques. Son prédé
cesseur, Sajid Javid, 50 ans (lui
aussi issu de l’immigration, en
l’occurrence pakistanaise, et an
cien banquier d’affaires), a démis
sionné avec fracas lors du dernier
remaniement ministériel, quand
Boris Johnson lui a demandé de
mettre à la porte l’ensemble de
ses conseillers.
Dominic Cummings, le très in
fluent conseiller du premier mi
nistre britannique, voulait
contrôler les finances et supervi
ser le budget. M. Sunak, alors nu
méro deux de la chancellerie, a ac
cepté cette tutelle en échange de
sa superpromotion et au risque
de devenir la « marionnette » du
« spin doctor » du 10 Downing
Street. « Etant donné les circons
tances dans lesquelles Sajid Javid a
démissionné, tout ce que Rishi Su
nak va décider sera interprété
comme étant la volonté de Domi
nic Cummings », prévient Jill Rut
ter, de l’Institute for Government.
Parviendratil à gagner son in
dépendance? Personne ne met en
doute ses compétences, mais
beaucoup le trouvent très inexpé
rimenté. « Il a été secrétaire au Tré
sor, donc il n’est pas entièrement
nouveau au ministère. Il connaît
les grandes lignes du budget, mais
il a beaucoup moins d’expérience
que Philip Hammond ou Gordon
Brown [respectivement grand ar
gentiers de Theresa May et de
Tony Blair], quand ils sont devenus
chanceliers de l’Echiquier », relève
Jill Rutter.
Sajid Javid lui a d’ailleurs fait un
cadeau empoisonné, lors d’un
discours à la Chambre des com
munes tenu le 26 février et durant
lequel il a justifié sa démission :
« J’espère vraiment que le nouveau
chancelier pourra disposer de la
marge suffisante pour accomplir
sa tâche sans peur ni favoritisme.
J’en suis sûr, mon honorable ami
de Richmond [sa circonscription
du nord de l’Angleterre] est plus
que capable de relever le défi. »
éric albert
et cécile ducourtieux
Il est un fervent
partisan
des ports francs,
ces zones où
ne s’appliquent
ni les droits
de douane ni
la régulation
du reste du pays
PLEIN CADRE
Rishi Sunak devant la résidence du premier
ministre britannique, le 10 septembre 2019,
à Londres. BLOOMBERG/GETTY IMAGES
1980
Naissance
à Southampton
(sud-ouest
de l’Angleterre),
le 12 mai.
2000
Embauché par
Goldman Sachs.
2015
Elu député pour
la première fois,
en mai, dans
le Yorkshire.
2020
Devient chancelier
de l’Echiquier,
le 13 février.