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MERCREDI 11 MARS 2020 0123 | 33
E
tonnant pays, si prompt
à se déchirer sur de mul
tiples sujets et pourtant
capable d’afficher sur
d’autres une incroyable unité de
vue. Ainsi de la tenue des élec
tions municipales qui, à ce jour,
n’appelle aucun débat. Le pre
mier tour est prévu dimanche
15 mars, le second le 22. Le pays
sera alors passé ou tout près de
passer au stade 3 de l’épidémie de
Covid19, celui où le nombre de
cas est devenu tellement impor
tant qu’il est impossible de retra
cer les chaînes de transmission et
d’identifier des clusters (cas grou
pés) précis. Ce cap sera atteint
« dans quelques jours, une ou
deux semaines maximum », a en
effet estimé, jeudi 5 mars, le pro
fesseur de médecine JeanFran
çois Delfraissy, à l’issue d’une
réunion d’experts avec le prési
dent de la République. Et pour
tant, aucune voix, dans le monde
politique, ne s’est élevée pour ré
clamer, au nom du risque sani
taire, le report du scrutin. Lors
que la question est posée, c’est
l’inverse qui prévaut. « Reporter?
Vous n’y pensez pas! »
De deux choses l’une, soit le ris
que de tenir un bureau de vote est
considéré comme inexistant et
cela donne à l’exercice démocrati
que un pouvoir quasi magique
sur l’épidémie, soit il est jugé infé
rieur à la tempête politique
qu’aurait provoquée telle ou telle
demande de report qui ne relève
rait pas d’une décision unanime.
De fait, l’exécutif aurait vite fait
d’être accusé de vouloir différer,
pour convenance personnelle, un
scrutin qui ne se présente pas
sous les meilleurs auspices pour
La République en marche (LRM).
Un temps euphoriques, les trou
pes présidentielles ont dû concé
der que l’implantation locale
pour un jeune parti n’avait rien
d’évident, surtout lorsque le cli
mat national vire à l’aigre. Par ef
fet contraire, ses opposants, de
quelque bord que ce soit, n’ont
aucun intérêt à ce que la date du
scrutin soit bougée. Vogue la ga
lère !, les électeurs de santé fragile
sont incités à recourir au vote par
procuration ; du gel hydroalcooli
que sera disponible à l’entrée des
bureaux de vote, qui seront réa
ménagés pour éviter les contacts
trop rapprochés. On en est là.
Sauf cas de force majeure una
nimement constaté, les électeurs
se rendront aux urnes les 15 et
22 mars, mais sans doute moins
nombreux qu’en période ordi
naire. Selon un sondage Elabe pu
blié vendredi 6 mars par Les
Echos, les plus de 65 ans, qui
constituent le public le plus vul
nérable, seraient encore 75 % à
vouloir participer au premier
tour, mais le chiffre accuse une
baisse de 7 points par rapport au
mois de janvier. Globalement, la
participation pour ce type de
scrutin s’annonce l’une des plus
faibles de l’histoire de la Ve Répu
blique (62 %), avec des taux tradi
tionnellement plus bas chez les
jeunes : 32 % chez les 1824 ans,
50 % chez les 2534 ans.
Encore s’agitil de moyennes
qui ne disent rien de l’attitude
des électeurs dans les zones les
plus touchées par l’épidémie, le
HautRhin et l’Oise, où des mesu
res contraignantes telles que la
fermeture des établissements
scolaires viennent d’être adop
tées. Voilà qui risque de compli
quer un peu plus la lecture d’un
scrutin décidément hors norme :
le nombre de listes sans étiquette
ou divers explose, reflet de la pro
fonde désaffection des candidats
pour les labels partisans. La dé
composition politique est tou
jours à l’œuvre.
Et pourtant, dans tous les partis,
sans exception, ces élections
municipales sont considérées
comme un scrutin à fort enjeu
national, celui qui déterminera la
préparation de la prochaine prési
dentielle. Au sein de La Républi
que en marche, le groupe parle
mentaire et le parti, traumatisés
par le récent recours au 49.3 sur la
réforme des retraites, spéculent
sur le « tournant » du quinquen
nat, celui qu’Emmanuel Macron
devra prendre pour tenter de dis
siper l’énorme brouillard et le
gros malaise qu’a fini par créer
son « et de gauche et de droite ».
Théâtre national
Toutes les hypothèses sont évo
quées, y compris les plus radica
les, comme un changement de
premier ministre pour affirmer
une nouvelle ligne. En face, LR,
requinqué par l’effet Dati à Paris
et la bonne tenue ailleurs de ses
maires sortants, espère démon
trer la renaissance de la droite et
mettre sur orbite, pourvu qu’il
en manifeste l’appétit, le très chi
raquien François Baroin. Chez
les Verts, Yannick Jadot qualifie
le moment « de basculement his
torique » et affirme vouloir bâtir
une candidature de rassemble
ment autour de l’écologie. Les so
cialistes misent s ur la résistance
de leurs sortants pour ne pas
passer définitivement sous la
toise. Marine Le Pen fait de la
poursuite de l’implantation lo
cale le chemin naturel vers la
présidentielle de 2022. Bref, cha
cun relie le scrutin local au théâ
tre national, non sans raison
d’ailleurs, car les élections muni
cipales ont souvent été, dans le
passé, prémonitoires.
Ainsi le choc du 21 avril 2002
étaitil lisible dès les élections
municipales de 2001, car, si la
gauche avait emporté Paris et
Lyon, elle avait aussi perdu un
grand nombre de villes populai
res qui jusqu’alors la soutenaient.
Faute d’accepter de le voir, Lionel
Jospin, qui était alors premier mi
nistre de cohabitation, s’était fait
éliminer un an plus tard par Jean
Marie Le Pen à l’issue du premier
tour de la présidentielle. Plus ré
cemment, le fort recul subi par la
gauche aux élections municipa
les de 2014 et la perte de bastions
historiques comme Limoges an
nonçaient déjà le délitement qui
allait se produire en 2017.
Pourtant, Emmanuel Macron
est tenté de faire comme ses pré
décesseurs : nier la dimension na
tionale du scrutin parce qu’il a
une épidémie à gérer et que ce
n’est pas le moment de tout chan
ger. L’excuse est bonne, mais que
feratil si, d’aventure, son pre
mier ministre, Edouard Philippe,
était battu au Havre ?
S
i l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) tergiverse pour qualifier l’épi
démie de Covid19 de pandémie, si le
gouvernement français hésite à passer du
stade 2 au stade 3 de son plan de lutte pour
endiguer la propagation de la maladie, sur
le plan économique, l’heure n’est plus aux
atermoiements. Entre l’effondrement des
cours du pétrole, la chute brutale des places
boursières, le plongeon du commerce
mondial, la disparition subite de la de
mande dans des pans entiers de l’écono
mie, il est urgent de se préparer à ce que les
AngloSaxons appellent la perfect storm,
c’estàdire la « grande tempête », celle ca
pable de tout emporter sur son passage.
On imaginait que le danger viendrait de la
dégénérescence de la guerre commerciale
entre la Chine et les EtatsUnis, des tensions
géopolitiques au MoyenOrient ou de l’écla
tement de bulles spéculatives. Finalement,
c’est un virus importé de Chine qui risque de
faire entrer l’économie mondiale dans une
période de fortes turbulences.
En Europe, le poumon économique de
l’Italie, troisième PIB de la zone euro, est
déjà en grande difficulté. Le premier, l’Alle
magne, qui flirte depuis plusieurs trimes
tres avec la récession, pourrait basculer
pour de bon. La France, qui faisait jusqu’à
présent bonne figure par rapport à ses
voisins en termes de croissance, aurait
tort de se croire à l’abri.
L’Europe ne doit pas reproduire les er
reurs passées. Lors de la crise financière de
2008 ou de celles des dettes souveraines
en 2011, la zone euro a payé cher ses valses
hésitations à intervenir massivement et
urgemment pour éteindre l’incendie. Cette
fois, le Vieux Continent doit impérative
ment méditer la phrase du général Mac
Arthur : « Les batailles perdues se résument
en deux mots : trop tard. »
Les yeux se tournent une fois de plus vers
la Banque centrale européenne (BCE). Mais
il ne faut pas attendre de miracles du con
seil des gouverneurs, qui se réunit jeudi
12 mars. Confrontée à une croissance et à
une inflation atones, la banque centrale a
déjà tiré l’essentiel de ses cartouches. Pous
ser un peu plus ses taux directeurs en terri
toire négatif n’aura que peu d’impact sur
l’appétence des entreprises à investir et des
ménages à consommer, dans un moment
où les uns et les autres ne savent pas de
quoi demain sera fait.
La tempête qui se lève n’a rien à voir avec
celle de 2008, qui avait touché le système fi
nancier au cœur. Cette foisci, il s’agit de se
donner les moyens de surmonter un cap
difficile, mais pas insurmontable, car a
priori passager. A condition que les Etats
membres de l’Union européenne se coor
donnent et restent solidaires. Les aides dé
cidées jusqu’à présent de façon disparate
font figure de traitement homéopathique.
L’Europe a besoin d’un traitement de choc.
Celuici passe par un assouplissement des
règles qui encadrent les aides d’Etat, l’exclu
sion des mesures liées au coronavirus du
calcul des déficits nationaux, des mesures
puissantes de soutien aux PME, que doi
vent proposer la BCE et la Banque euro
péenne d’investissement (BEI). L’essentiel
consiste à préserver la continuité des entre
prises et des emplois en attendant l’amélio
ration de la situation sanitaire.
Au regard de la panique qui s’est empa
rée des marchés financiers, les réponses
politiques, à ce stade, ne semblent pas
être à la hauteur des enjeux. Si l’Europe
n’est pas capable de faire preuve de plus
de témérité et de coordination, les séquel
les du Covid19 risquent d’être profondes
et douloureuses.
AUCUNE VOIX,
DANS LE MONDE
POLITIQUE, NE S’EST
ÉLEVÉE POUR
RÉCLAMER, AU NOM
DU RISQUE SANITAIRE,
LE REPORT DU SCRUTIN
COVID19 :
L’UE DOIT AGIR
VITE ET FORT
FRANCE|CHRONIQUE
pa r f r a n ç o i s e f r e s s o z
L’étrange scrutin
des 15 et 22 mars
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