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LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 11 MARS 2020 | 3
Près de 70 % des enfants autistes
n’ont pas de déficience intellectuelle grave
PSYCHIATRIE - Les diagnostics précoces peuvent par ailleurs réduire la gravité des troubles
P
as simple d’avoir une
photographie précise du
nombre de personnes tou
chées par l’autisme. Le manque
de données était une critique ré
currente faite par le rapport de
l’inspection générale des affaires
sociales (Igas) de 2016, piloté par
Claire Compagnon, aujourd’hui
déléguée interministérielle char
gée de la mise en œuvre de la stra
tégie nationale pour l’autisme au
sein des troubles du neurodéve
loppement, lancée par le gouver
nement en avril 2018. Les trou
bles du spectre de l’autisme (TSA)
se caractérisent par des difficul
tés à communiquer, à avoir des
interactions sociales, ainsi que
par des comportements ou des
intérêts restreints et répétitifs.
Un pas a été fait pour mieux cer
ner leur prévalence, avec la publi
cation de chiffres, mardi 10 mars,
dans le Bulletin épidémiologique
hebdomadaire (BEH) de Santé
publique France (SPF). « La France
se met enfin en mouvement et ce
afin de mieux comprendre les dé
terminants de l’autisme », indique
la professeure Amaria Baghdadli,
responsable du Centre d’excel
lence sur l’autisme et les troubles
du neurodéveloppement (CEAND
du CHU de Montpellier), qui vient
d’être lancé, et auteure de l’un des
articles du BEH.
Evolution des critères
Les registres des handicaps de
l’enfant, qui couvrent les dépar
tements de la HauteGaronne
(RHE31), de l’Isère, de la Savoie et
de la HauteSavoie (RHEOP),
recensent une prévalence de 8 à
10/1 000 pour des enfants de
8 ans, nés entre 1995 et 2010 et
ayant reçu un diagnostic de TSA
au plus tard entre 2003 et 2018.
Des prévalences en deçà de celles
couramment admises. Pour cette
génération ciblée par le registre, il
y a probablement une tendance à
n’identifier que les cas évidents.
Cela illustre aussi l’accès insuffi
sant au diagnostic. Ces données
soulignent toutefois « une aug
mentation considérable de la pré
valence au cours des quinze der
nières années ».
La prévalence de l’autisme en
France est en réalité proche de
1 % dans la population générale,
comme à l’échelle mondiale – aux
EtatsUnis, le niveau record de
1 sur 60 fait débat. L’augmenta
tion au niveau mondial s’expli
que notamment par l’évolution
des critères diagnostiques. Pour
autant, « en France, de nombreu
ses personnes avec un TSA ne sont
actuellement pas identifiées, en
particulier les adultes autistes »,
indique Claire Compagnon, dans
l’éditorial du BEH.
Plusieurs enseignements peu
vent être tirés, notamment à
partir de la cohorte Elena. Créée
en 2013, elle compte 900 enfants
autistes de 2 ans à 16 ans issus de
13 centres de neuf régions, recru
tés entre janvier 2013 et fin
décembre 2019. Elle révèle la très
grande hétérogénéité dans la gra
vité des TSA. « 69,9 % des enfants
ont une déficience intellectuelle
légère, voire n’ont pas de défi
cience », indique le BEH. Alors que
c’était l’inverse il y a dix ans.
Des interventions plus pré
coces peuvent expliquer en par
tie cette évolution. En revanche,
« il reste beaucoup de formes
graves, qui mobilisent toute
l’énergie de la famille, du person
nel soignant », constate Amaria
Baghdadli, première auteure de
l’article du BEH.
Au total, « le nombre d’enfants
autistes présentant des comor
bidités reste élevé », poursuit
Claire Compagnon : trouble de
déficit de l’attention et hyper
activité (TDAH), des « dys », des
troubles du développement intel
lectuel, mais parfois aussi des ma
ladies neurologiques (épilepsies
sévères) ou psychiatriques (trou
bles anxieux...).
Facteurs environnementaux
Pour les enfants de la cohorte
suivis au moins trois ans, « on ob
serve des trajectoires de dévelop
pement très variables et positives
pour un grand nombre d’entre
eux », explique Amaria Baghdadli.
Autre élément, « le rôle des fa
milles dans l’évolution de leur en
fant et la nécessité de les soutenir,
comme le rôle très important des
troubles de l’intégration neuro
sensorielle », indique l’étude. En
fin, la cohorte suit aussi de près
les facteurs environnementaux,
en particulier le rôle de la pollu
tion de l’air et des pesticides
d’usage agricole. « Notre hypo
thèse est que nous trouverons une
association entre exposition des
enfants autistes en période préna
tale et lors de la première année
de vie et la sévérité de leurs com
portements autistiques », explique
Amaria Baghdadli. Des recher
ches sont en cours sur des souris.
En conclusion, « ces chiffres doi
vent certes être interprétés avec
précaution, mais donnent une re
présentation de l’autisme en
France alors qu’on en était jusqu’ici
complètement dépourvu. Cela
montre une vraie volonté affichée
d’aller de l’avant dans l’épidémiolo
gie », souligne Richard Delorme,
chef du service de psychiatrie à
l’hôpital RobertDebré (APHP).
« Il est nécessaire d’avoir des don
nées pour mieux élaborer les poli
tiques publiques dans ces domai
nes. Mieux comprendre les trou
bles du neurodéveloppement et
leurs évolutions nous aidera », in
dique Claire Compagnon. Prévu
par le quatrième plan, un finance
ment a été octroyé pour consti
tuer une autre cohorte d’ampleur
au niveau national.
pascale santi
Lors d’un cours de lecture spécialisé, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en octobre. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
Le taquin révèle des propriétés magnétiques
PHYSIQUE - Une équipe internationale a observé un phénomène d’aimantation prédit en 1966
V
oir ce que personne
n’avait jamais vu aupara
vant fait partie des plaisirs
de la vie de scientifique. Tout
comme partager cette joie dans la
revue Nature. Alors, le 2 mars,
l’équipe de Lieven Vandersypen,
au laboratoire QuTech, à Delft
(PaysBas), est satisfaite. Associée à
des collègues d’Harvard, elle vient
d’observer une forme de magné
tisme jamais confirmée expéri
mentalement auparavant et pour
tant prédite depuis 1966 par le Ja
ponais Yosuke Nagaoka. Qui plus
est en réalisant une expérience
« amusante » qui a des faux airs de
jeu de taquin, ce cassetête en
forme de puzzle qu’il faut résoudre
en faisant coulisser des cases.
Evidemment, la comparaison
avec la vie ordinaire s’arrête là.
Leur taquin est un bijou de tech
nologie, microscopique (quelques
dixièmes de micromètres de
large) et refroidi à une vingtaine de
millièmes de degrés audessus du
zéro absolu (vers – 273 °C). Les piè
ces du puzzle sont des électrons
piégés dans des semiconducteurs
par des tensions électriques,
dans de petits espaces séparés de
100 nanomètres environ et qui
peuvent sauter d’un site à l’autre.
En outre, ces électrons se compor
tent comme de petits aimants
orientés au nord ou au sud. Il s’agit
de savoir si ils s’alignent tous
spontanément dans la même di
rection (ferromagnétisme) ou si,
au contraire, l’aimantation sera
nulle, avec autant d’électrons la
tête en bas que d’électrons la tête
en haut (antiferromagnétisme),
ou bien encore si ce sera le chaos.
« C’est marrant de voir qu’un trou
change tout! », constate Lieven
Vandersypen. En effet, la ré
ponse au cassetête n’est pas la
même si le puzzle est rempli
d’aimants ou s’il en manque un.
Dans le premier cas, la situation
est antiferromagnétique, dans
l’autre, elle est ferromagnétique,
comme l’avait prévu Yosuke Na
gaoka. Mieux, l’équipe a réussi à
faire disparaître ce magnétisme
en bloquant le mouvement des
électrons (la conditionclé pour
le mécanisme de Nagaoka) ou en
ajoutant un champ magnétique
(un effet contreintuitif, prédit
par la théorie).
Comportement de la matière
Evidemment, la performance est à
relativiser, car leur jeu de taquin
n’a que... quatre cases. « Il y a
cinq ans, peu pensaient qu’on arri
verait à le faire. Aujourd’hui, on le
fait en un jour, et nous allons
passer à 8 cases, puis 16 », prévient
Lieven Vandersypen. Sa motiva
tion n’est pas de jouer au taquin
toute sa vie. Cette première étape
démontre que les électrons dans
des boîtes peuvent simuler le
comportement de la matière, y
compris dans des situations où les
ordinateurs calent. Ce qui arrive
rait à partir d’une dizaine de cases.
En ligne de mire, comme beau
coup d’équipes dans le monde, ces
chercheurs rêveraient de com
prendre, grâce à ces simulateurs,
comment la résistance électrique
disparaît dans certains matériaux.
« Cette nouvelle plateforme est
intéressante et jolie, et complète la
panoplie actuelle des simula
teurs », soulignent Jean Dalibard
et Sylvain Nascimbène, du labora
toire KastlerBrossel à Paris, qui,
eux, privilégient des assemblées
de dizaines d’atomes piégés par
des ondes lumineuses. Atomes
ou électrons vont donc continuer
à jouer à sautemouton pour le
plaisir des physiciens.
david larousserie
I N F O R M AT I Q U E
Un nouveau venu chez les ordinateurs
quantiques
La société américaine Honeywell, spécialisée
dans l’aérospatial, la défense ou l’automobile, a
annoncé, le 2 mars, la sortie d’un nouveau calcu
lateur de type quantique et sa mise à disposition
en ligne par l’intermédiaire de la plateforme de
Microsoft (Azure Quantum). Le même jour, elle
dévoilait le nom d’un premier client, la banque
JPMorgan Chase. Honeywell rejoint Google et
IBM, qui disposent déjà de telles machines. La
technologie est différente, utilisant des atomes
chargés piégés plutôt que des éléments supra
conducteurs. Elle met aussi moins en avant le
nombre des bits quantiques que leur qualité :
une erreur toutes les 1 000 ou 10 000 opérations.
La société promet un calculateur quatre fois plus
puissant dans trois mois, ce qui en ferait l’ordi
nateur quantique le plus performant du marché.
Z O O L O G I E
Des crabes stressés par la pollution
sonore sous-marine
On savait que certains poissons et mammifères
marins étaient perturbés par la pollution
sonore sousmarine engendrée par le transport
maritime et les tests militaires. Il faudra ajouter
à cette liste le crabe enragé, ou crabe vert
(Carcinus maenas), qui, en dépit de son nom,
peut adopter une livrée changeante, adaptée à
son environnement. Une équipe de l’université
d’Exeter a mesuré le changement de couleur
de crabes sombres placés dans des aquariums
blancs. Au bout de huit semaines, la carapace
des crabes qui y étaient soumis à des enregis
trements de bruits de navires s’était deux fois
moins éclaircie que celle de leurs congénères
soumis à des bruits de ressacs de même
intensité. La pollution sonore ralentissait aussi
leur mise à couvert face à une menace, simulée
par un oiseau artificiel. (PHOTO : EMILY CARTER)
> Carter et al. « Current Biology » du 9 mars
T É L E S C O P E
0123
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