Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

L


e 10 janvier, on se bouscule
dans les salons de réception
du Stade des Alpes, l’arène
sportive clinquante située dans le
centre de Grenoble. Armée de béné-
voles, service de sécurité, open bar
et monceaux de charcuterie : Alain
Carignon a vu les choses en très
grand. Après avoir accueilli person-
nellement chacun des quel-
que 700 invités, l’ancien maire
condamné en 1996 à quatre ans de
prison ferme pour corruption pré-
sente ses vœux et lance sa candida-
ture aux municipales. Dans son dis-
cours, retransmis en direct sur
quatre grands écrans, l’ex-ministre
de Jacques Chirac fustige «l’incom-
pétence» d’Eric Piolle, qui dirige la
ville depuis six ans avec une majo-
rité verte-rouge-citoyenne, en fai-
sant la seule commune française de
plus de 100 000 habitants dirigée
par un écolo. Entre mégalomanie et
démagogie, le très droitier septua-

génaire énumère ses projets : organi-
ser les Jeux olympiques d’été dans
la ville qui a accueilli ceux d’hiver
en 1968, accueillir une exposition
universelle, créer le «Davos de l’in-
telligence artificielle», héberger les
institutions chassées de Londres par
le Brexit, fonder le siège d’un «parc
naturel international des Alpes»...
«Nous allons créer une légende qui
va faire rêver partout», vibre Alain
Carignon devant un parterre tout
acquis. Fort du soutien de LR et dra-
guant ouvertement l’électorat du
RN, l’ancien édile fait le plein des
voix à droite, crédité de 20 % d’in-
tentions de vote selon les sondages.
Il promet de «renouer avec la su-
perbe histoire de Grenoble, sa tradi-
tion de ville qui ouvre des voies».

Machine électorale
La visibilité et le côté précurseur de
Grenoble, berceau du Groupe d’ac-
tion municipale (GAM) qui propo-
sait dès les années 60 une gestion ci-
toyenne et participative de la ville,
ne se sont pourtant pas démentis de-
puis 2014. Mais l’équipe municipale,

mêlant militants d’Europe Ecologie-
les Verts et du Parti de gauche à des
citoyens, fascine ou agace. Autant
que son maire de 47 ans qui sillonne
sur son vélo une ville débarrassée de
ses affiches publicitaires (hors Abri-
bus) et dotée de larges pistes cycla-
bles, désormais copiées par la plu-
part des métropoles en France.
«L’équipe d’Eric Piolle a assuré le
cœur de métier des écolos, souligne
Simon Persico, professeur à Scien-
ces-Po Grenoble, spécialiste en éco-
logie politique au labo Pacte. Elle a
été pionnière sur la pub, les zones à
faible émission, le bio dans les can -
tines, les pastilles Crit’air ou le covoi-
turage.» Mais selon le chercheur, ce
tableau comporte des faiblesses : sur
le social, «même si la mairie a déve-
loppé l’arme puissante de la tarifica-
tion solidaire» ; sur le lien avec les ac-
teurs socioculturels, «qui reste un
maillon faible» ; et sur la démocratie,
un domaine «où il y a eu beaucoup de
déceptions» en six ans. Du coup,
le bilan est jugé favorablement
par 52,3 % des Grenoblois – ce qui re-
présente un «score élevé pour un
maire élu avec 40 % des voix», relève
le politologue. Ces derniers mois,
Grenoble s’est aussi régulièrement
placée en tête de classement sur la
politique vélo, la lutte contre la pol-
lution de l’air ou la qualité de la vie,
autant de bois dans la machine élec-
torale de Piolle.
Pour repartir au combat, l’équipe
sortante a élargi l’assise de sa liste
«Grenoble en commun», intégrant
petit à petit une très large part de
la gauche : PCF, Génération·s, La
France insoumise, le Parti anima-
liste, Génération Ecologie côtoient
des militants socialistes et de nou-
veaux citoyens. Ce que Piolle appelle
«la seule équipe 100 % rassemble-
ment de la gauche». Soucieux de se
différencier sur le plan local et na-
tional, le maire sortant brasse large,
vantant aussi sa liste «qui veut accé-
lérer les transitions, pour la justice
sociale et environnementale. [...] Une
liste 0 % LREM-compatible, 0 % cor-
ruption, sans hausse des impôts ni

des indemnités des élus». Pourtant,
dans une ville profondément ancrée
à gauche, «Grenoble en commun»
ne dépasse pas les 35 % d’intentions
de vote dans les sondages. Car le
paysage reste morcelé à gauche.

Mesures sécuritaires
Les socialistes ont tenu la ville pen-
dant dix-neuf ans et une partie d’en-
tre eux n’a jamais digéré la défaite
surprise de 2014. Pas plus qu’ils
n’ont adhéré à la gestion Piolle, plu-
tôt décroissante et frugale... Ancien
adjoint du maire PS Michel Destot
et jusqu’à début janvier délégué in-
terministériel d’Edouard Philippe
chargé de la pauvreté, Olivier Noble-
court est convaincu qu’il peut ras-
sembler sur son nom les réfractaires
au «piollisme», allant de la droite
modérée jusqu’à la gauche tradi-
tionnelle. Soutenu par le PS, il cogne
dur : «L’équipe sortante, en privilé-
giant les symboles et les postures dog-
matiques, a perdu le sens du service
public et le lien avec les habitants.»
Son programme mêle mesures sécu-
ritaires (police municipale doublée
et armée, vidéosurveillance), socia-
les (revenu de base local) et écolo -
giques. Mais pour Eric Piolle, «Oli-
vier Noblecourt, comme les autres,
n’a pas changé de logiciel. Il veut dis-
tribuer de l’argent qu’il n’a pas». Se-
lon les derniers sondages, Noble-
court réunirait 19 % des intentions
de vote. Ce qui est considérable mais
loin d’être suffisant. D’autant qu’il

est en concurrence directe avec la
candidate macroniste, la députée
LREM Emilie Chalas, qui lorgne, elle
aussi, le centre gauche et qui est cré-
ditée de 16 % des voix. Souffrant par
ricochet du rejet d’Emmanuel Ma-
cron, sa campagne est perturbée par
des actions coup de poing de l’ex-
trême gauche locale. Lundi soir, il a
fallu que la police dégage l’accès à
son meeting pour qu’elle puisse pré-
senter son programme. Convaincue
du déclin de Grenoble, elle veut en
refaire «une ville innovante, auda-
cieuse», «réenchanter le quotidien de
ses habitants» avec une priorité à la
sécurité et à l’embellissement écolo-
gique de la ville.
A quelques jours du premier tour,
Piolle, qui joue autant sa réélection
que le coup d’après, continue d’ex-
clure catégoriquement tout rassem-
blement avec Olivier Noblecourt en
raison de son passage au gouverne-
ment. Emilie Chalas, elle, a ouverte-
ment tendu la main à l’ex-socialiste
mais ce dernier l’a formellement re-
fusée mercredi, appliquant les con-
signes dictées par la direction du PS
en échange de son soutien. Comme
en 2014, la victoire dépendra de
nouveau d’une quadrangulaire
mais cette fois «l’arc humaniste»
d’Eric Piolle part confiant.•

Par
FRANÇOIS CARREL
Correspondant à Grenoble

Sources : Insee, ministère de l’Intérieur

Habitants

Candidats principaux pour les municipales 2020

Maire sortant

Eric Piolle

EE-LV

Eric Piolle

Emilie Chalas

LREM
Alain Carignon

DVD

EE-LV LFI PCF
Olivier Noblecourt

PS MRC PRG

158 180


Score d’Emmanuel Macron
au 1er tour en 2017

Moyenne nationale 24,01%

28,64%


20 km

ISÈRE

SAVOIE

HAUTESALPES

AIN

LOIRE

ARDÈCHE
DRÔME

Grenoble

Eric Piolle lors de la présentation de

L’équipe
municipale mêlant

militants d’EE-LV


et du Parti de


gauche à des


citoyens fascine
ou agace. Autant

que son maire


de 47 ans.


RÉCIT


MUNICIPALES


Grenoble Les écolos vers un


deuxième coup de Piolle?


Rejoint par d’autres formations de gauche, le maire sortant EE-LV


présente un bilan salué par plus de la moitié des habitants,


notamment sur les sujets environnementaux. Face à lui,


la concurrence part en ordre dispersé, avec Carignon le revenant


à droite toute, et le PS sur le même espace politique que LREM.


12 u Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020

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