Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 u 17


L


e docteur Jean-Marie Destelle,
57 ans, est installé depuis vingt-
cinq ans à Eragny-sur- Oise
(Val-d’Oise). Une zone touchée par le
coronavirus, puisqu’un nouveau foyer
de contamination a été identifié
à 10 kilomètres de là, dans la commune
de Méry-sur-Oise (neuf cas et un décès,
celui d’un homme de 85 ans). Ce méde-
cin généraliste libéral, qui met un point
d’honneur à continuer de proposer des
consultations à des patients qu’il ne
connaît pas, raconte à Libération com-
ment il s’adapte, tant bien que mal, à la
propagation de l’épidémie.

L’information
«Je suis abonné aux alertes de la Direc-
tion générale de la santé (DGS) et suis
souvent très surpris du décalage fla-
grant entre les informations que l’on
reçoit et celles dont on entend parler
dans les médias ou sur les réseaux so-
ciaux au même moment. Un exemple :
le 28 février, je reçois un mail me réper-
cutant les infos de la veille, évoquant
18 cas en France. En fait, quelques heu-
res plus tard, on apprenait qu’il y en
avait déjà 109 dans le pays. C’est en
décalage total avec les principes de
précaution que l’on tente de mettre en
place. On est encore au niveau 2, où
l’on est censé tout faire pour limiter la
propagation de l’épidémie et protéger
nos patients d’un risque de conta -
mination.»

L’activité
«En théorie, les personnes présentant
des symptômes [ fièvre, toux, ndlr] et
appartenant à un groupe à risque [re-
tour d’Italie ou de Chine, par exemple]
sont censées téléphoner au Samu et ne
venir nous voir que si ce dernier les re-
bascule vers nous. En pratique, cela ne
se passe pas du tout ainsi. Les gens
veulent consulter le plus vite possible.
Mon secrétariat, depuis quelques jours,
interroge les gens qui appellent pour
connaître le motif précis de la de-
mande de consultation, identifier qui
pourrait être malade, et leur demander,
le cas échéant, de venir avec un mas-
que, en les maintenant à l’écart des
autres patients si nécessaire. Une per-
sonne qui tousse, on lui demande de
porter un masque, de se mettre un peu
à l’écart dans la salle d’attente, voire
d’attendre son rendez-vous dans
sa voiture.»

Les consultations
«Je ne constate pas de regain de mon
activité, bien au contraire. Mon plan-
ning de rendez-vous se vide. D’habi-
tude, il est plein dix jours à l’avance. Là,
j’ai des places libres pour les prochains
jours. Le reste des consultations, des
rendez-vous pris peu de temps en
avance, ont tous un lien avec le corona-
virus. Le degré d’information des gens
est inquiétant. Bien souvent, dans leurs
esprits, ce sont les autres qui doivent se
protéger, pas eux. Le poids des fake
news est aussi troublant, avec ces per-
sonnes qui m’interrogent sur la possibi-
lité de contamination dans une pièce
dans laquelle un individu infecté serait
passé il y a plusieurs jours, ou encore
sur la durée de vie du virus dans l’air.»

Les précautions
«Je suis encore plus attentif que d’habi-
tude à la désinfection de mon matériel.
Je surveille ma température matin et
soir. Pour le coronavirus, le premier
symptôme est souvent une petite mon-
tée fébrile, qui peut passer inaperçue.
J’ai la chance d’avoir une température
très stable. Si j’ai 0,5 °C de plus, je porte-
rai un masque toute la journée. J’ai
aussi aménagé une pièce vide de mon
cabinet dans laquelle j’examinerais, le
cas échéant, les personnes présentant
des risques importants. J’ai acheté, à
mes frais, une surblouse, des surlunet-
tes, que je me laisse la possibilité d’enfi-
ler s’il le faut pour réduire les contacts.»

Le matériel
«J’ai placardé plusieurs affichettes offi-
cielles sur le coronavirus : à l’extérieur
du cabinet, dans la salle d’attente, dans
les toilettes, avec un rappel des techni-
ques de lavage de mains. Au début de
l’épidémie, j’avais mis des masques à
disposition pour les personnes toussant
beaucoup, mais j’ai dû arrêter parce
qu’on me les piquait. J’ai reçu il y a peu
une boîte de 50 masques fournie par
l’Etat. Le premier que j’ai sorti, l’élasti-
que s’est cassé. Je pense que c’est moi
qui vais les enfiler aux patients pour
éviter que ça ne se reproduise.»

Les patients
«Je remarque que depuis l’épidémie de
grippe H1N1 en 2009, les comporte-
ments ont progressé. Les gens sont
plus prudents, ils savent isoler un en-
fant malade, ils se lavent les mains plus
souvent. Mais le manque de civisme
reste préoccupant. Beaucoup de per-
sonnes ont tendance à reprocher aux
autres de ne pas adopter les bons com-
portements, comme s’ils ne risquaient
pas eux-mêmes d’être contaminants.
Or la personne qui tousse à un mètre de
moi sans mettre son coude devant sa
bouche, c’est un problème.»
Recueilli par
SYLVAIN MOUILLARD

Dans le métro
à Paris mardi.
PHOTO RAPHAEL
LAFARGUE. ABC.
ANDIA.FR

mentaires ont été recensés en vingt-
quatre heures, portant donc à 613 le
nombre de personnes infectées.
Des chiffres qui laissent craindre un
«scénario à l’italienne», marqué par
une hausse brutale du nombre de
cas en l’espace de quelques
jours. Même l’Assemblée nationale
n’échappe pas au Covid-19 : le dé-
puté (Les Républicains) du Haut-
Rhin Jean-Luc Reitzer est hospita-
lisé depuis jeudi après-midi à
Mulhouse dans un service de réani-
mation. Son état de santé est jugé
sérieux mais stable. Par ailleurs,
un employé de la buvette de l’As-
semblée est aussi contaminé et
une suspicion d’infection pèse
sur quatre autres personnes tra-
vaillant notamment dans le res -
taurant du Palais Bourbon. En
Alsace, le nombre de personnes
touchées est passé à 136. Un nou-
veau foyer infectieux a surgi à
Mery-sur-Oise, une commune de
10 000 habitants du Val-d’Oise, en
région parisienne. L’Agence régio-
nale de santé, fait état de 9 person-
nes contaminées dans cette
localité.•


«Le degré


d’information


de la population


est inquiétant»


Installé dans le Val-d’Oise,
à quelques kilomètres
d’un nouveau foyer de
contamination, le docteur
Jean-Marie Destelle
raconte comment il doit
adapter ses pratiques,
non sans difficulté.

La France et le monde vivent désormais au rythme
des chiffres du coronavirus. Sur la planète,
101 000 personnes sont touchées par le Covid-19,
«dont 55 000 sont guéries», a indiqué vendredi soir,
en guise de message un peu optimiste, Jérôme
Salomon, directeur général de la santé. Au total,
89 pays sont concernés, dont l’Hexagone qui compte
613 personnes infectées, soit 190 de plus en une
journée. Parmi les malades, 39 sont dans un état grave.
Neuf personnes – huit hommes et une femme – sont
décédées.
La Chine concentre à elle seule 80 % des personnes
touchées par le coronavirus (80 552 cas) et 90 % du
nombre de morts (3 042 décès sur les 3 406 recensés
dans le monde). Mais la diffusion du virus semble être
progressivement contenue dans le pays.
En revanche, les chiffres sont en forte hausse en Italie
(4 636 cas détectés en un peu plus d’une semaine) et le
nombre de décès est également en sensible
progression : 198 morts, selon un bilan établi vendredi.
C’est le foyer le plus important d’Europe devant la
France donc, l’Allemagne (572 cas) et l’Espagne (365).
Autre pays où le Covid-19 fait une percée inquiétante :
l’Iran, avec 4 700 personnes infectées : 1 234 nouveaux
cas ont été détectés en vingt-quatre heures. Le nombre
de morts s’élève à 124. Enfin, la Corée du Sud est le pays
le plus touché derrière la Chine (6 000 cas et 42 décès).

LES CHIFFRES DU JOUR

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