David Graham (Michael Redgrave). PHOTO HARLEQUIN PROD LTD. TIGON FILM.
D
u temp s et
une preuve
m a t é r i e l l e ,
David Gra-
ham (Michael Redgrave tout
en fébrilité chancelante) n’a
besoin que de cela pour ten-
ter d’innocenter son fils
Alec, sur le point d’être exé-
cuté pour le meurtre d’une
jeune fille qu’il n’a pas com-
mis. Du temps, il en a très
peu, vingt-quatre heures
seulement, qui filent impi-
toyablement – d’où le titre,
Temps sans pitié, de ce film
que Joseph Losey, victime
du maccarthysme, réalisait
en 1957 lors de son exil
londonien. Quant à la
preuve, qui se traduit en
anglais par evidence, littéra-
lement «ce qui saute aux
yeux», il n’en a pas du tout,
mais il dispose en lieu et
place d’une intime convic-
tion, indéfectible comme
l’amour inconditionnel
d’un père longtemps dé-
faillant – notamment à cause
de son alcoolisme et de sa
dernière cure de désintoxi-
cation, qui l’empêchèrent
d’assister au procès du jeune
homme –, désormais rongé
Ciné / «Temps sans pitié»,
père et impairs
Reprise en salles
du film de Joseph
Lozey qui, sur fond
de bouleversantes
retrouvailles entre
un fils et son père
ancien alcoolique,
s’immisce dans
l’intimité de
relations viciées.
par le besoin de se racheter
et de sauver la peau de son
enfant des griffes d’une jus-
tice aveugle et de l’échafaud
qui l’attend.
Du temps, le spectateur en
possède encore moins, qua-
tre-vingt-sept minutes à
peine qui, elles aussi, galo-
pent à toute vitesse comme
une pelote se dévide inexo-
rablement – et rarement film
aura autant épousé le
rythme insoutenable d’une
course contre la montre dont
on sent que seul un coup de
force scénaristique pourra la
soustraire de l’inévitable tra-
gédie. Sa croyance en la fic-
tion étant moins solide que
l’amour paternel, Losey lui
offre mieux qu’une évidence
puisqu’il lui révèle dès le
prégénérique le visage du
véritable assassin, dans une
scène de meurtre dantesque,
dont le traitement baroque
- noir et blanc contrasté,
bande-son stridente, contre-
plongée, décor chargé (mi-
roirs et tableaux à forte con-
notation symbolique, dont
le Taureau au comba t de
Goya) – annonce la charte
esthétique du film. Temps
sans pitié, en court-circui-
tant dès le début les codes
du polar, s’inscrit dans une
tout autre logique, plus inti-
miste, et finalement tout in-
térieure. Il ne tombe pas da-
vantage dans l’écueil du film
à thèse – son sujet, réquisi-
toire contre la peine de mort,
aurait pu s’y prêter. Avec ses
effets troublés, ses distor-
sions, le morcellement de
l’espace, surdécoupé par les
vitres et les miroirs, la pré-
sence obsédante de cadrans,
horloges, montres, réveils,
rappelant l’échéance immi-
nente, le film semble faire
corps avec le cauchemar
d’un homme confronté à ses
propres démons, entre ten-
tation éthylique (d’autant
plus sensible que Redgrave
était en proie au même al-
coolisme que son person-
nage) et quête de rédemp-
tion d’un père qui n’a jamais
su en être un, si ce n’est au
moment où la vie s’apprête à
lui ôter son fils.
Losey, cinéaste de l’intran-
quillité, des rapports de
classes intériorisés et des
conflits viciés qui s’immis-
cent au cœur des relations
intimes, s’emploie à faire re-
monter à la surface la vio-
lence rentrée qui empoi-
sonne les tréfonds de l’âme
- les bouleversantes retrou-
vailles père-fils. Le vrai
meurtrier qu’interprète un
Leo McKern brutal et in-
quiétant, soumis à une co-
lère qui le submerge et qu’il
ne peut dominer, offre, avec
Redgrave, un autre visage de
cette violence primitive.
Leur confrontation finale,
donnant lieu à un twist gé-
nial, souligne tels les tau-
reaux de Goya la gémellité
des deux hommes et des
forces antagonistes qui les
animent.
NATHALIE DRAY
TEMPS SANS PITIÉ
de JOSEPH LOSEY (1957).
Reprise en salles en
version restaurée.
Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 u 33
B rognon Rollin
B rognon Rollin
M AC VAL
M AC VAL
Musée d’art contemporain du Val-de-Marne macval.fr Place de la Libération — Vitry-sur-Seine
Musée d’art contemporain du Val-de-Marne macval.fr Place de la Libération — Vitry-sur-Seine
L’ avant-dernière version de la réalité
Exposition du 7 mars au 30 août 2020
L’avant-dernière version de la réalité
Exposition du 7 mars au 30 août 2020
Brognon Rollin, Even a Broken Clock is Right Three Times a Day ((( 10 h1 000 ,
2017. Horloge, acier grenaillé, 180 × 4 × 10 cm.
Brognon Rollin, Even a Broken Clock is Right Three Times a Day ((( 10 h1 000 ,
20 17. Horloge, acier grenaillé, 1 80 × 4 × 1 0 cm.