44 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020
LIVRES/À LA UNE
Rencontre avec
Frédéric Paulin
Frédéric Paulin, à Rennes, le 14 février. PHOTO RICHARD DUMAS. VU
fait davan-
tage frémir encore car il retrace
des événements traumatisants
pour beaucoup et encore vivaces
dans nos esprits, les attentats de
Paris en 2015. Le plus étonnant,
c’est que Paulin a écrit cette
somme sans quitter sa maison de
Montreuil-sur-Ille, à une ving-
taine de kilomètres de Rennes.
Une vieille maison (la date
de 1849 est gravée sur le fronton)
qui tombait en ruine au bord de la
voie ferrée et qu’il a retapée avec
sa compagne, Julie, qui étudie la
langue des signes tout en passant
un diplôme de conseillère en in-
sertion professionnelle pour les
handicapés. Leur intérieur, animé
par deux fils de 9 et 5 ans, est fou-
traque et chaleureux ; on y trouve
même, encadrée sur un mur face
à la cheminée, la une de Libé du
12 septembre 2001. C’est là que
Paulin puise son énergie avant de
grimper jusqu’au dernier étage où
il s’est aménagé un bureau sous
les combles, loin de la fenêtre
pour éviter d’être distrait. C’est là
qu’il fomente ses projets d’écri-
ture, et ils sont nombreux.
Vous avez toujours vécu dans la
région de Rennes?
Non, je suis né dans l’Essonne et
j’ai grandi en Seine-et-Marne, près
de Marne-la-Vallée. Je suis arrivé
à Rennes en 1992, quand mon
père, ingénieur chez PSA, a été
muté là. Je venais juste d’avoir
mon bac, j’avais plus de 20 ans, je
n’ai pas eu une scolarité très
fluide. J’étais considéré comme
un intellectuel, très intéressé par
la lecture, mais je n’arrivais pas à
répondre aux attentes du système
scolaire, ça ne rentrait pas. Pour-
tant, chez nous, les diplômes ça
voulait dire quelque chose. Mes
parents sont issus de milieux ou-
vriers. Ma mère a eu dix frères et
sœurs, son père était ouvrier à
Saint-Chamond. Moi, j’ai un frère
et une sœur. Mon père, si tu dé-
connais, il n’acceptait pas. J’ai eu
un rapport très compliqué avec
lui. J’étais celui qui bossait mal à
l’école, qui ouvrait sa gueule. Il a
longtemps eu des doutes sur moi
et peut-être en a-t-il encore. Il n’a
pas arrêté de me dire : «Peut-être
que tu devrais te trouver un boulot
sérieux.» Cela fait très peu de
temps que mes parents ont com-
pris que j’écrivais et que c’était un
travail sérieux.
Vous vous êtes rencontrés
comment avec Julie?
A Rennes, dans un bar, on s’est
rendu compte qu’on habitait tous
les deux à Betton, une ville-dor-
toir au nord de Rennes. Je venais
de voir le film d’Arnaud Desple-
chin Comment je me suis dis-
Suite de la page 43 puté..., et je trouvais qu’elle res-
semblait à Emmanuelle Devos
que j’adore. Elle, elle me prenait
pour un mec de droite de la fac de
droit. A la naissance de mon fils
aîné, j’ai perdu mes cheveux et
tous mes poils, on m’a découvert
une maladie auto-immune. Je
rêve encore que je retrouve mes
cheveux et ça m’angoisse. Je m’y
suis fait à ma gueule. Au début, ça
m’arrivait de me balader dans la
rue et de ne pas me reconnaître
quand je me voyais dans une vi-
trine. C’était il y a dix ans, et cela
a été le commencement de ma
deuxième vie, avec la paternité et
les débuts de l’écriture.
Cela a démarré comment?
Mon premier bouquin s’appelait
la Grande Déglingue, sur la
guerre de 14-18, il a été publié par
un petit éditeur de Rennes.
J’avais adressé mon manuscrit à
plusieurs maisons d’édition qui
m’ont toutes renvoyé une lettre
de refus type, sauf Stock, dont un
éditeur avait pris la peine de me
dire quelque chose du genre : «On
ne va pas vous éditer mais conti-
nuez, vous ferez partie de notre
monde un jour ou l’autre.» Ce pe-
tit éditeur m’a donc publié, j’étais
super fier. Je fais lire le livre à ma
mère qui me le redonne avec tou-
tes ses corrections : il était bourré
de fautes d’orthographe, il n’y
avait eu aucun travail de relec-
ture! Cela m’a traumatisé. Je me
demande si ce n’est pas ce qui a
déclenché mon alopécie. J’ai
continué à écrire des textes, des
nouvelles, jusqu’à ma première
année de droit. Puis j’ai enchaîné
sur Sciences-Po Rennes et j’ai ar-
rêté pour faire des petits boulots.
Là je me suis demandé ce que je
voulais faire et l’envie d’écrire
m’est revenue. Un jour, Julie a lu
un de mes manuscrits et elle m’a
dit que je devais continuer. Je
voulais être quelqu’un de bien
aux yeux de ma gonzesse alors j’ai
continué.
Des romans noirs?
Oui, depuis le premier, j’y suis allé
spontanément, sans réfléchir. Le
roman noir est pour moi le roman
engagé, qui s’empare des pro -
blèmes actuels : le Moyen-Orient,
l’Afrique, Boko Haram... Pour moi,
le roman noir se perd quand il se
complaît dans le serial killer, il
rompt avec l’histoire actuelle. Une
société qui va mal, ce n’est pas seu-
lement des bons contre des mé-
chants. Mes héros sont des
antihéros en prise avec la violence,
essayant de faire face à leurs failles
personnelles. A l’adolescence
je lisais beaucoup et, pour moi,
Voyage au bout de la nuit de Céline
a toujours été un roman lll