Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 u 55


narines et nous fait cligner des yeux.
En cause, la sinigrine, une molécule
de la graine libérée sous l’action du
broyage et qui, en présence d’eau,
provoque la sensation de piquant en
bouche. Là où ses concurrents op-
tent désormais pour des broyeurs
modernes ou des meules synthéti-
ques, la maison Fallot perpétue le
procédé traditionnel, hérité des
maîtres moutardiers du XIXe siècle.
Les graines sont écrasées entre deux
blocs blancs en pierre naturelle :
comme pour un moulin à huile ou
à blé, une meule supérieure tourne
sur une meule inférieure fixe, creu-
sée de sillons régulièrement entre-
tenus, afin que le tranchage de la
graine ne s’émousse pas. Celle-ci
étant très sensible à la chaleur, le
broyage se fait à vitesse réduite afin
de «limiter l’échauffement de la pâte
et de préserver ses qualités gustati-
ves, détaille Marc Désarménien.
Cela confère à la moutarde une tex-
ture particulière, un peu granuleuse,
contrairement aux moutardes indus-
trielles hyper lisses, presque émul-
sionnées», dont on devine que le
propriétaire des lieux les goûte peu.
Tout juste broyée, la préparation
peut être dégustée telle quelle : c’est
la moutarde à l’ancienne, qui con-
tient encore l’enveloppe de la
graine. Pour obtenir de la moutarde
fine de Dijon, la pâte doit être fil-
trée. Les anciens tamis en bois ont
laissé place à des turbines micro-
perforées au laser – «comme les ailes
des avions Airbus», vante Marc Dé-
sarménien. A l’intérieur des im-
pressionnants cylindres en inox, la
pâte de moutarde est séparée de
l’écorce des graines par force centri-
fuge. Une épaisse poudre brune
évacuée par kilos juste sous nos
pieds, derrière un sol vitré, consti-
tue le résidu des graines. C’est le

«son de moutarde» qui n’a pas voca-
tion à finir à la benne : déshydraté,
il est servi aux bovins sous forme de
granulés. En version plus noble, on
le retrouve dans l’affinage du délice
de Pommard, un fromage frais lo-
cal, ou sur la table étoilée du chef
dijonnais William Frachot qui le
sert en dessert sous forme de tuile.

Curry. Avant de reposer plusieurs
heures pour perdre son amertume,
la moutarde peut s’acoquiner avec
toute une gamme d’ingrédients lo-
caux ou exotiques : cassis de Dijon,
pain d’épices, chablis, romarin et si-
rop d’érable, yuzu, curry de Ma-
dras... Au total, la maison propose
une quarantaine de variétés (ven-
dues entre 2,50 et 3,50 euros, les
200 grammes). Au risque de dénatu-
rer la recette traditionnelle? Marc
Désarménien y voit lui un «retour
aux sources» : les maîtres moutar-
diers du Moyen Age incorporaient
déjà à leurs préparations du miel, de
l’estragon ou de l’ortie. Pour accom-
pagner une andouillette grillée, le
descendant d’Edmond Fallot s’en
tient à la Dijon classique, très rele-
vée. Avec un rôti de porc, il préfère
la déclinaison au piment d’espelette,
et pour le magret de canard, celle au
pain d’épice. Quant à la version au
pinot noir, le Bourguignon aime la
délayer dans la sauce de ses œufs en
meurette. On préférera un pot co-
riandre-orange confite. Testée et ap-
prouvée : une petite noisette suffit à
apporter une touche funky à n’im-
porte quelle sauce vinaigrette. Ces
moutardes-là n’ont décidément rien
à envier aux douceurs chocolatées
des livres pour enfants.•

(1) 31, rue du faubourg Bretonnière,
Beaune (21). Rens. : 03 80 22 10 10 ou sur
Fallot.com.

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