Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 u 9


venir travailler avec Ankara pour
trouver une solution», s’agace quant
à lui Mustafa Özbek. Or depuis plu-
sieurs années, l’Union européenne
et les Etats-Unis se sont désintéres-
sés du sort d’Idlib et de ses millions
de déplacés, laissant la Turquie
seule face à Damas et Moscou et
face au risque d’un nouvel exode
de Syriens.
Pour les civils, hors de question de
se retrouver à nouveau sous la botte
de Bachar al-Assad. «J’ai travaillé

à Alep avec des ONG. Ma femme
était enseignante. Pour le régime,
nous sommes des terroristes», expli-
que Ahmed Abo à Reyhanli. Il
craint d’être arrêté, torturé et tué
si le régime capture sa famille. Idlib
est le dernier refuge pour la plupart
des populations déplacées au fur et
à mesure de la reconquête du pays
par l’armée syrienne.

VIDÉOS GLAÇANTES
Le cessez-le-feu signé entre Moscou
et Ankara jeudi soir ne change guère
la situation. Damas cherche une so-
lution militaire au conflit. Que le re-
tour de la région dans le giron d’As-
sad soit violent ou paci fique, des
représailles seront certainement
exercées. Récemment, des vidéos
glaçantes circulaient sur Internet,
exhibant des soldats du régime en
train d’assassiner des civils et de
profaner des tombes. Durant toute

leur offensive, Damas et Moscou
n’ont pas hésité à commettre ce qui
pourrait être qualifié de crimes de
guerre pour briser le moral des civils
et des combattants. Des deux côtés
de la frontière, l’état d’esprit des Sy-
riens et de leurs soutiens fluctue en
fonction des nouvelles du front et
du nombre de victimes des bombar-
dements. Le cessez-le-feu est ac-
cueilli avec soulagement mais ne ré-
sout pas le conflit à long terme. «En
règle générale, les civils ne veulent
pas quitter leur pays. Si la situation
s’apaise, ils resteront», explique
Fuad Sayed Issa, de l’ONG Violet.
«Une zone d’exclusion aérienne se-
rait suffisante. Même s’il y a toujours
des tirs d’artillerie, nous serions
bien», assure Lubna qui a déjà vécu
six ans de bombardements féroces
dans la Ghouta.
Jusqu’à présent, la frontière turco-
syrienne demeure scellée, mais en

cas de nouvelle escalade militaire
à Idlib, tout le monde s’attend en
Turquie à l’arrivée de nouveaux ré-
fugiés. Ahmed Abo, qui voit le mur
de la frontière depuis son dortoir à
Reyhanli, en est convaincu : «Si ça
ne se calme pas, nous commencerons

à passer le mur. La Turquie devra
soit nous tuer soit nous laisser passer.
Nous irons directement en Europe.
Jamais nous ne reviendrons sous le
contrôle de Bachar al-Assad.» •

(1) Le prénom a été modifié.

UNE JOURNÉE SANS FRAPPE


Pour la première fois depuis plusieurs semaines, aucune frappe
aérienne de l’armée syrienne ou de son allié russe n’a visé la pro-
vince d’Idlib vendredi. La veille, la Russie et la Turquie avaient
signé un accord instaurant un cessez-le-feu dans la seule région
encore contrôlée par l’opposition. L’accord définit également
une «zone de sécurité» de part et d’autre de l’autoroute M4, qui
relie Alep à Lattaquié, sur la côte méditerranéenne. Il ne règle
cependant pas le sort des centaines de milliers de déplacés par
les combats de ces deux derniers mois qui se massent à la fron-
tière turque. Une majorité ne pourra pas retourner dans leurs
villes et villages repris par le régime de Bachar al-Assad lors de
son offensive. Plus de 1,5 million de personnes vivent dans des
camps dans le Nord syrien, certains depuis plusieurs années.

Damas et Moscou
n’ont pas hésité

à commettre


ce qui pourrait être


qualifié de crimes


de guerre.


le gouvernorat d’Idlib, vu depuis la province d’Hatay, en Turquie, le 24 février. PHOTO UMIT BEKTAS. REUTERS

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