Le Monde - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

12 |france VENDREDI 13 MARS 2020


0123


La gauche à


la recherche de


l’union perdue


Du côté d’EELV, du PS ou de LFI, les têtes


sont déjà tournées vers l’après­municipales


et une éventuelle recomposition


du paysage politique avant 2022


Q


uelque chose
semble avoir
changé à gau­
che. Une suc­
cession de cir­
constances fa­
vorables a per­
mis à une famille dont les
membres étaient brouillés de se
reparler. S’il est trop tôt pour par­
ler de réconciliation – et encore
moins d’union –, le mouvement
contre la réforme des retraites et la
campagne des municipales ont vu
des initiatives communes se met­
tre en place. Et depuis, tout le
monde hume l’air politique am­
biant et s’observe.
Que ce soit le Parti socialiste (PS),
le Parti communiste (PCF), La
France insoumise (LFI), Europe
Ecologie­Les Verts (EELV) ou Géné­
ration.s, toutes les formations font
des efforts, conscientes que l’enjeu
à long terme est grand : arriver à
perturber le match annoncé de
2022 entre Marine Le Pen et Em­
manuel Macron. Peut­être même
espérer qu’une troisième voie se
dessine. L’attente d’une partie de
l’électorat de gauche pour que les
partis s’unissent est forte, et cette
demande revient régulièrement.
Des figures socialistes commen­
cent même à évoquer la possibi­
lité de se ranger derrière un candi­
dat écologiste. Du jamais­vu pour
le PS. Des réunions régulières ont
lieu entre dirigeants socialistes et
ceux d’EELV. Des coalitions électo­
rales sont évoquées pour les régio­
nales. Et, pourquoi pas, plus si affi­
nités. Suffisant pour oublier les
querelles du passé? Pas sûr.

Les socialistes affichent leur
mue comme un étendard : après
avoir fait l’inventaire du quin­
quennat Hollande, acté la fin de
leur hégémonie à gauche, opéré
leur tournant écolo, ils donnent
des gages. La méfiance à leur égard
est encore palpable côté écolo­
giste, et ils le savent. « Nous souhai­
tons parvenir à construire un bloc
social et écologique pour 2022 et
nous mettrons toutes nos forces
pour y parvenir, mais il faut avan­
cer avec prudence car nous ne vou­
lons pas donner le sentiment que
c’est nous qui donnons le la », re­
connaît Olivier Faure.

LISTE COMMUNE
Le patron du PS a donc chargé un
missi dominici, François Lamy, de
prendre contact avec les autres di­
rigeants de gauche. « Il faut sortir
les cadavres des placards et les dé­
passer par étape », souffle l’ancien
ministre de la ville. Les régionales
en 2021 peuvent être le premier
acte d’un rapprochement, disent­
ils. « Nous sommes prêts à discuter
des têtes de listes, des répartitions
sous un label commun », avance
Olivier Faure. Et d’insister : « Tout
est revendicable, voyons ensemble
région par région qui est en passe
de pouvoir gagner. » Certains évo­
quent ainsi la possibilité de propo­
ser aux écologistes de mener une
liste commune en Rhône­Alpes,
en Ile­de­France ou en Bretagne.
Mais il faut d’abord un cadre, un
socle de propositions communes
actant le mélange des identités et
des cultures politiques. M. Lamy
imagine la mise en place après les

municipales d’un « collectif de
liaison » avec des représentants
des différentes sensibilités et per­
sonnalités, chargé d’élaborer une
« plate­forme », un cadre program­
matique dans lequel pourraient
s’inscrire les candidats et qui servi­
rait de début de « programme en
commun ». Une résurgence du
passé qui n’est pas au goût de tout
le monde à gauche, notamment
chez les Verts et les « insoumis ».
L’objectif de la direction socia­
liste est d’avancer vers une organi­
sation commune, souple : une
sorte de confédération d’organisa­
tions gardant leur identité et leurs
structures mais s’unissant pour


  1. Personne ne veut encore
    parler candidat unique, « les idées
    d’abord », clament­ils en chœur.
    Génération.s est sur la même li­


gne : le mouvement de Benoît Ha­
mon veut organiser des grands dé­
bats et des colloques d’ici à l’été
pour faire vivre les convergences.
« Tout le monde se parle, il faut
maintenant entrer dans le concret
des idées et que la bouillabaisse
prenne », estime Guillaume Balas,
coordinateur du mouvement.

« DÉPASSER LES RIVALITÉS »
Le Festival des idées, organisé par
l’ex­député PS Christian Paul et
l’économiste Guillaume Duval, en
juillet, pourrait servir de lieu d’éla­
boration collective avec des repré­
sentants de la société civile et des
syndicalistes soucieux de voir
avancer la gauche et les écologis­
tes ensemble. « L’hégémonie est
impossible tant pour le PS que pour
les Verts. Il faut qu’on fasse l’ap­

prentissage des coalitions et que
l’on dépasse les rivalités recuites »,
dit Christian Paul, persuadé que
son festival peut aider à féconder
un nouveau programme.
Au lendemain des municipales,
un appel de maires de gauche en
faveur de l’union est en prépara­
tion, mêlant les élus socialistes de
Nantes, Rennes, Paris et Clermont­

Ferrand aux écologistes de Greno­
ble, Grande­Synthe (Nord) ou de
villes gagnées en mars. Une autre
initiative donnant plus de place
aux personnalités de grandes as­
sociations et syndicales est aussi
discutée. Mais les écologistes
semblent faire preuve de moins
d’allant, attendant le résultat du
scrutin du 22 mars. Julien Bayou,
le secrétaire national d’EELV, ne
minimise pas les rencontres avec
les socialistes, mais assure que des
discussions existent également
avec le PCF et Génération.s. Et ne
veut pas s’avancer quant aux ré­
gionales ou à 2022.
« On voit les choses comme les hé­
rissons font l’amour : avec précau­
tion », plaisante­t­il en se félicitant
que l’union se fasse déjà... entre
les chapelles écologistes. « On voit

« IL FAUT RASSEMBLER 


TRÈS LARGEMENT, DE 


LA GAUCHE AU CENTRE, 


SI L’ON VEUT RÉUSSIR »
YANNICK JADOT
député européen EELV

Au siège du Parti
socialiste, à Ivry­sur­
Seine (Val­de­Marne),
le 21 janvier.
SÉBASTIEN CALVET/REA

A Clermont­Ferrand, Olivier Bianchi fait campagne sur la « social­écologie »


Le maire socialiste sortant est candidat à sa réélection dans la cité industrielle, avec l’appui des écologistes et des communistes


REPORTAGE
clermont­ferrand ­
envoyée spéciale

L


a campagne électorale se
joue à bas bruit à Clermont­
Ferrand. Les apparitions
d’Olivier Bianchi se font rares. Le
maire sortant, candidat à sa
réélection, se concentre sur les
réunions d’appartement, « pour
faire de la pédagogie ». « Je ne crois
plus au jeu d’ombres. Je préfère une
campagne homéopathique pour
renouer le lien avec la popula­
tion », assure le socialiste, qui a
donné le ton à son équipe.
Ce mardi 3 mars, sur le marché
de la Gauthière, au cœur du quar­
tier prioritaire du même nom, les
militants de la liste Naturellement
Clermont déambulent, tracts à la
main, sans badge. Une retenue qui
tranche à côté des troupes de
Lutte ouvrière et des « insoumis ».
La petite troupe, qui mêle socialis­

tes, écologistes, communistes et
fidèles de Benoît Hamon, préfère
afficher son union comme éten­
dard : « Les gens nous sont recon­
naissants d’avoir laissé nos querel­
les de côté », assure Anna Aubois,
conseillère régionale socialiste.
C’est en tout cas le pari d’Olivier
Bianchi. Ce presque quinquagé­
naire a tout fait pour obtenir le
ralliement des écologistes dès le
premier tour. Après de longues
discussions et quelques engueu­
lades, les Verts ont accepté, igno­
rant les consignes du national
pour l’autonomie. « Olivier sait
qu’il ne peut avancer sans nous »,
avance, un brin fanfaron, Nicolas
Bonnet. Le jeune cadre d’Europe
Ecologie­Les Verts (EELV) affirme
que « la tête de liste a repris tout
notre programme ».
Réseau vélo sécurisé, renforce­
ment des transports en commun
par deux lignes de bus électri­
ques, nouveaux parcs urbains, vé­

gétalisation des cours d’école,
ceinture maraîchère... l’impul­
sion du programme est réelle. Dix
places éligibles ont été concédées
aux écologistes, autant qu’aux so­
cialistes. « Il ne prétend pas être un
maire écolo, mais il a compris qu’il
faut transformer Clermont avec
un enjeu majeur, la place de la
voiture », insiste M. Bonnet.

La ville de Michelin
Il faut dire que le maire devait
donner des gages. Certes, les diffé­
rentes forces étaient déjà dans la
même majorité depuis 2014. Mais
la montée des préoccupations
liées au climat a donné des ailes à
EELV, même si à Clermont­
Ferrand, leur score lors des euro­
péennes de mai 2019 est resté
modeste, à 15,61 %. Or le bilan du
mandat précédent n’a pas brillé
sur l’écologie, le maire ayant mis
l’accent sur la culture et la jeu­
nesse. Surtout, Clermont­Ferrand,

c’est la ville de Michelin, où long­
temps la voiture a été reine. Ce
bastion socialiste, qui n’a connu
que quatre maires en 75 ans, s’est
construit comme cité­dortoir, du
temps où les ouvriers paysans de
la plaine de la Limagne ou des
plateaux de Combrailles venaient
fabriquer des pneus la journée et
repartaient le soir aux champs.
Pas besoin de jardins publics, il
y avait la montagne autour. Alors
Michelin y a construit des cités
ouvrières, et la ville, de grands en­
sembles. Les pistes cyclables tout
comme le tram sont arrivés tardi­
vement. « Le monde a changé et il
nous faut muter vers l’écologie. Si
la gauche veut être crédible, elle
doit faire une vraie place à la tran­
sition », souligne Olivier Bianchi.
Cet ancien rocardien, longtemps
fidèle à Manuel Valls et un temps
séduit par Emmanuel Macron –
« j’ai cru qu’il essayait de mettre en
œuvre cette deuxième gauche qui

m’est chère, mais j’en suis revenu! »


  • veut désormais faire de sa ville
    un « laboratoire de la social­écolo­
    gie » et un modèle de l’union des
    gauches. Et son équipe plurielle,
    tous partis confondus, suit. « On a
    compris que la ville avait besoin
    d’une révolution écolo sans lâcher
    nos politiques sociales », assure
    Pierre Miquel, secrétaire départe­
    mental du Parti communiste fran­
    çais. « Clermont peut être un avant­
    goût du dépassement des partis et
    des divisions », renchérit Cécile
    Audet, adjointe au maire et mem­
    bre du parti Génération.s. « En
    expérimentant l’alliance dès le
    premier tour, on est une exception
    qui peut être utile pour la recompo­
    sition en vue de la présidentielle »,
    insiste l’écologiste Nicolas Bonnet.
    Olivier Bianchi veut ainsi remo­
    biliser l’électorat populaire avec
    du neuf. Avec un taux autour de
    50 % de votants, l’abstention est,
    ici, devenue une constante lors des


scrutins municipaux. Un sondage
IFOP, réalisé par téléphone début
janvier, semble cependant placer
Olivier Bianchi et son équipe à
l’abri avec 45 % des intentions de
vote au premier tour, loin devant
Jean­Pierre Brenas (21 %), tête
d’une liste d’union Les Républi­
cains­MoDem, et le candidat de La
République en marche, Eric Faidy,
qui atteint tout juste les 10 %.
Le premier mène une campagne
classique sur la sécurité et le be­
soin d’« alternance », le second a
tout misé sur l’écologie et la criti­
que du « tout­béton ». L’équipe de
Bianchi s’affiche sereine : « On
n’est pas stressé de faire campa­
gne. » Au point qu’un seul mee­
ting public avait été planifié pour
toute la campagne, deux jours
avant le premier tour. Ses organi­
sateurs viennent de décider de
l’annuler, à cause de l’épidémie
due au coronavirus.
s. z.

M U N I C I P A L E S

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