Le Monde - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1
0123
Vendredi 13 mars 2020
Mélange des genres|

9


pourtant le fleuve sans nous s’écoule −
s’actualise.

il continue dans notre dos
de serpenter de s’auto­
nettoyer, de nous dire
veuillez patienter jusqu’à
vi der­ravivier ma mémoire :

routes camions vainqueurs par ko – ok.
transports fluviaux peaux de chagrin – ok.
complexes pétrochimiques et pêcheurs, alluvions
& atome : on a touché à la matière – ok.
le local devenant fief, périphérie, périurbain,
souffle/siffle un air de vacances – ok.
culture folklorisée, locuteurs vieux – ok.
drapeaux, plaques : transfert coloré, fierté
déplacée – ok.
miss olives & riz & figues, etc. – ok.
les enfants font la ronde, les flûtes sont sur le
pont – ok.
dépliants touristiques de l’ici, l’image
l’éloignement – ok.

mise à jour terminée? – pas du tout.

Né en 1981, Yann Miralles vit près d’Avignon et enseigne le
français. Lauréat du prix Voronca pour Jondura Jondura
(Jacques Brémond, 2011), il a publié trois recueils aux éditions
Unes. Attentive aux enjeux politiques contemporains, à
commencer par les crises migratoires et les désastres écolo­
giques, sa poésie tente de revisiter des genres qui passent
pour désuets. Ainsi de la romance dans Méditerranée
romance (Unes, 2018). Avec Hui, dont est extrait le poème
publié aujourd’hui, on retrouve le double souci qui porte les
textes de Yann Miralles : rendre grâce aux anciennes formes
du langage, veiller sur la fragile continuité des paysages.
jean birnbaum

Hui, de Yann Miralles, Unes, 64 p., 16 €.

TOUT UN POÈME


Le footballeur porteño


B A N D E D E S S I N É E

Voici le détective catalan propulsé dans le XXI


e
siècle par Carlos

Zanon, qui prend la suite de Manuel Vazquez Montalban. Un plaisir


Pepe Carvalho : résurrection


abel mestre

F


aut­il ressusciter les morts? Pepe
Carvalho, le célèbre détective ca­
talan, connu pour son cynisme et
ses talents culinaires, aurait telle­
ment voulu qu’on le laisse profiter d’un
repos bien mérité! « Je veux dormir. Je
veux mourir endormi. Je veux me réveiller
et être un autre. Je veux nettoyer mon
arme et clic. Clic. » Tant pis pour lui : Car­
los Zanon (auteur notamment du formi­
dable roman noir J’ai été Johnny Thun­
ders, Asphalte, 2016) lui redonne vie dans
un style très proche de l’original. Titre :
Pepe Carvalho. Tout fout le camp.
Le célèbre enquêteur avait disparu à la
mort de son créateur, Manuel Vazquez
Montalban, mort en 2003 d’une crise
cardiaque à l’aéroport de Bangkok. Ap­
paru pour la première fois en 1972 dans
J’ai tué Kennedy ou les Mémoires d’un
garde du corps (Christian Bourgois,
1994), le privé était un homme du
XXe siècle. Militant communiste, il fut
enfermé par les franquistes dans sa jeu­
nesse. Il serait plus tard agent de la CIA
avant de revenir, encore plus désabusé, à
Barcelone. Son testament littéraire fut
une quête philosophico­politique où
Carvalho et son fidèle Biscuter explo­
raient le nouveau désordre mondial
(Milenio Carvalho, Christian Bourgois,
2006).

Etranger à son propre pays
A travers cette nouvelle aventure, Car­
los Zanon l’embarque dans le XXIe siècle
et s’amuse de ce décalage. Vraisemblable­
ment quinquagénaire – Zanon l’a ra­
jeuni –, Carvalho est devenu un inadapté,
étranger à son propre pays et même à sa
ville. Il ne comprend pas plus les revendi­
cations nationalistes catalanes que l’ar­
rogance centralisatrice de certains Espa­
gnols. Certes, il cuisine toujours et conti­
nue de brûler des livres, mais moins
qu’avant. Pour être en phase avec son
époque, il devrait brûler les smartphones
et manger sans gluten. Très peu pour lui.

Il promène sa mélancolie et ses apho­
rismes (« N’oubliez pas de vous souvenir
d’oublier » ; « Une vieille dame indépen­
dantiste est un objet dangereux. Tous les
objets patriotiques le sont »)
dans une Barcelone défigu­
rée par le tourisme de masse,
les différentes formes de
mondialisation (du goût, de
l’art et du commerce). On le
suit dans ses pérégrinations
pour retrouver les meur­
triers d’une grand­mère et de
sa petite­fille, ainsi qu’un
proxénète féminicide. Des
intrigues prétextes qui pas­
sent au second plan de ce
polar picaresque, tant le plaisir du lec­
teur est capté par ces retrouvailles im­
probables avec Carvalho.
C’est peu dire que Carlos Zanon s’est
placé dans les traces de son prédé­

cesseur : « Il a été choisi par la famille, la
maison d’édition et les agents de Vazquez
Montalban », précisent les éditions du
Seuil. D’ailleurs, il s’amuse à faire dialo­
guer son héros d’adoption avec « l’Ecri­
vain » qui l’a rendu célèbre. « Très sou­
vent, je me demande ce que penserait
l’Ecrivain de ceci ou de cela. Que dirait­il
de tout ce qui se passe dans cette ville,
dans ce pays, dans ce monde qui était
censé en être à la fin de l’Histoire? (...)
Parler avec lui me tranquillisait. » On re­
trouve également des seconds rôles
dont Biscuter, tout comme de nom­
breux clins d’œil aux livres précédents,
des références à l’amour perdu du
détective, l’ancienne prostituée Charo, à
Bromure ou à son confident, Fuster. La
continuité est assumée, malgré quel­
ques ajustements nécessaires à la crédi­
bilité de l’histoire. Les héros littéraires
ont bien droit à une seconde vie.

pepe carvalho.
tout fout
le camp
(Carvalho.
Problemas
de identidad),
de Carlos Zanon,
traduit de l’espagnol
par Georges Tyras,
Seuil, « Cadre noir »,
480 p., 22,90 €.

macha séry

I


l faut lire Dror Mishani. Non
par obligation ou par effet de
mode, mais pour sa puis­
sance d’incarnation, sa fi­
nesse psychologique qu’illustre
une nouvelle fois, comme ses pré­
cédents livres, son quatrième ro­
man, Une deux trois.
Auteur à succès en Israël et en
Allemagne, Mishani délaisse ici
son personnage, le policier Avra­
ham Avraham, pour suivre le quo­
tidien de trois femmes de Tel­
Aviv, Orna, Emilia et Ella, victimes
de Guil, un avocat marié inscrit
sur un site de rencontres. Qu’elle
soit enseignante au lycée ou auxi­
liaire de vie émigrée de Lettonie,
chacune dispose de sa propre
voix, nourrit des rêves d’avenir et
se débat dans des difficultés senti­
mentales ou professionnelles.

« Tendances compulsives »
Peu à peu, à côtoyer ce Guil, le
doute s’insinue en elles. Ainsi,
après l’avoir fréquenté quelque
temps, Orna « s’inquiétait de cer­
taines tendances compulsives
qu’elle avait remarquées chez lui,
comme par exemple sa douche in­

Le prédateur de Tel­Aviv


Trois Israéliennes d’aujourd’hui, un étrange séducteur.
Dror Mishani, au plus vrai dans « Une deux trois »

terminable dès le rapport sexuel
terminé, le téléphone qu’il empor­
tait systématiquement avec lui
dans la salle de bains, la manière
dont il posait toujours son porte­
feuille dessus, que ce soit au res­
taurant, au café ou sur la table de
chevet à l’hôtel. Et, bien qu’elle fût
incapable de s’expliquer pourquoi,
elle ne voulait surtout pas retour­
ner dans son appartement ».
Bien sûr, la structure en tripty­
que du roman réserve bien des
surprises : la fin inattendue de la
première partie, l’inévitable dé­
nouement de la deuxième et l’in­
croyable retournement au terme
de la dernière. Mais ce qui fait la
vraie originalité de Dror Mishani
dans le paysage du polar, c’est son
parti pris radical d’en expurger le
sensationnalisme au profit du
réalisme le plus prosaïque et de la
vérité émotionnelle des protago­
nistes. Chaque roman sert, en ef­
fet, à pénétrer dans l’intimité de
couples ou de familles. En cela,
Dror Mishani est un incontesta­
ble héritier spirituel de Georges
Simenon.

une deux trois
(Drei),
de Dror Mishani,
traduit de l’hébreu
par Laurence Sendrowicz,
Gallimard, « Série noire »,
336 p., 19 €.

T H R I L L E R

Château du Montjuic, Barcelone. BENJAMIN BECHET/PINK/SAIF IMAGES

P O L A R

BANDE DESSINÉE ET PEINTURE NE SONT PAS ANTAGONISTES,
Jorge Gonzalez en est l’illustration vivante. Dans la lignée de
Lorenzo Mattotti ou d’Hugo Pratt (période aquarelle), l’Argentin
concilie narration et picturalité, comme en témoigne La Flamme,
son nouveau roman graphique, 300 pages de beauté brute autour
du thème du poids de l’hérédité sur les vocations. L’album s’ouvre
sur le destin du grand­père de l’auteur, qui fut footballeur profes­
sionnel à Buenos Aires au début du XXe siècle. Vénéneuse passion
que le ballon rond, jugée préférable à l’université par bien des
parents sur les rives du Rio de la Plata : « Le football n’est pas un
métier, c’est un choix moral. On joue par amour du quartier, des
couleurs qu’on porte », explique l’un des fondateurs du Racing,
le club du quartier d’Avellaneda, où évolua José Maria Gonzalez,
surnommé « la Flamme » en raison de sa chevelure rousse.
L’homme aura un fils, qui ne deviendra pas footballeur, lequel
en aura un à son tour, l’auteur du livre, qui ne le deviendra pas
davantage – le sien, né en 2009, parviendra peut­être à boucler
la boucle de cette saga familiale aux teintes ocre et sépia, en tout
point magnétique.frédéric potet
La Flamme, de Jorge Gonzalez,
traduit de l’espagnol (Argentine) par Thomas Dassance,
Dupuis, « Aire Libre », 304 p., 39 €.

DUPUIS

Une nuit de colère
Elle a tellement de chance, Lalie, d’être amie avec ce Piotr et sa
mère si généreuse. Grâce à eux, elle peut découvrir New York.
Mais la virée tant espérée tourne court. Tenir debout dans la
nuit retrace la nuit qui suit l’atterrissage. Dans le petit appar­
tement loué pour les deux adolescents, Piotr ne cherche
même pas à savoir si, oui ou non, il y a un peu plus que de
l’amitié entre eux. Il a envie d’elle. Point. Sa mère paye, après
tout... Lalie parvient à s’échapper et se retrouve à déambuler,
sans téléphone ni argent, seule avec son mauvais anglais dans
une ville inconnue. Les heures vont être longues jusqu’au
matin... Ce texte fort résonne tant avec les combats qui gron­
dent actuellement. Avec justesse, Eric Pessan écrit combien il
est difficile pour Lalie de mettre des mots sur ce qu’il s’est
passé. Avec rythme, il fait vivre cette périlleuse nuit d’errance.
Avec poésie, il raconte comment Lalie se raccroche à son ap­
pareil photo. Cette pérégrination nocturne prend presque
une tournure initiatique. L’adolescente a honte,
culpabilise, comprend, analyse, est en colère...
« J’ai réalisé que je m’étais conduite en fille, que je
m’étais laissé faire jusqu’au moment où j’avais
enfin pu crier stop. » En une seule nuit, elle fait
d’immenses pas. Oui, elle portera plainte contre
Piotr. Non, il n’a aucun droit de faire cela. Voici
un texte pour toutes et tous.
raphaële botte
Tenir debout dans la nuit, d’Eric Pessan,
L’Ecole des loisirs, « Médium + », 160 p., 13 €. Dès 13 ans.

JEUNESSE


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OlivierBabinet
CorinneIsnardBagnis

Une vision à 360°


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