Libération - 11.03.2020

(lily) #1

18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 11 Mars 2020


L


a question se voulait anodine,
un service minimum journa-
listique destiné à mettre un
truc en boîte, du prémâché, prédi-
géré, pré-oublié : «Dites, qu’avez-
vous pensé du match ?» C’était mer-
credi dernier dans une salle du
Groupama Stadium de Décines, le
Paris-SG venait tout de même d’en
passer cinq (5-1) à l’Olympique lyon-
nais en demi-finale de Coupe et l’en-
traîneur parisien, Thomas Tuchel,
a décidé comme souvent de prendre
la question comme s’il l’avait enten-
due, et même comprise. «Hum...»

Absence
de dessein commun
Le Souabe s’est frotté le menton.
«J’ai eu l’impression que l’on jouait
toujours avec confiance, c’est-à-dire
avec l’idée que l’on peut toujours dé-
cider du sort d’un match en quelques
minutes, sur une action, avec Ky-
lian, Ney [Neymar], Pablo [Sarabia],
Icardi et Cavani... Kylian et Ney
sont très forts quand ils jouent en-
semble. Et il me semble que l’on peut
sentir que l’équipe sait ça. Du coup,
elle ne perd ni la patience, ni la con-
fiance.» On a tort de ne pas écouter
ces gars-là. La vérité est toujours ca-
chée quelque part. Ce soir-là, Tu-
chel avait trouvé ses joueurs com-
battants, concentrés, impliqués
dans les duels. Pour autant, il a ra-
mené l’équipe parisienne à sa na-
ture profonde : neuf types qui atten-

dent patiemment que les deux su-
perstars offensives sortent un lapin
du chapeau. Un prurit individuel,
qui fait peser des tonnes sur les
épaules de Mbappé et Neymar tout
en inoculant le poison lent de la
passivité chez les autres. Si Mbappé
quitte le Paris-SG pour le Real Ma-
drid cet été (ou un été suivant), on
lui souhaite bien du courage : pour
avoir toujours pensé que le salut des
équipes où il évoluait passait
d’abord par ses performances
personnelles, et ceci depuis qu’il est
gosse, il ne sera jamais autant à sa
place que dans ce PSG-là, entière-
ment tourné vers sa personne.
Battu à l’aller en Allemagne sur un
score (1-2) qui lui laisse statistique-
ment une chance sur deux de voir
les quarts de finale de la Ligue des
champions en avril, le Paris-SG
jouera sa saison mercredi au Parc
des Princes à huis clos contre le Bo-
russia Dortmund. Au-delà du chaos
et des contingences liées au corona-

virus, l’approche de ce rendez-vous
XXL a violemment éclairé la pièce
qui se joue : la nature viscéralement


  • et structurellement – individuelle
    du projet parisien.
    En contradiction avec une compéti-
    tion-reine qui, des Expendables au
    bout du rouleau de Chelsea en 2012
    jusqu’à Liverpool la saison passée
    en passant par un Real Madrid qui
    savait faire tout et son contraire,
    a toujours été abordée par ses lauré-
    ats comme une aventure collective.
    On a beaucoup glosé depuis 2011 et
    l’arrivée des capitaux qataris sur
    l’incapacité du club de la capitale
    à assumer ses moyens pharaones-
    ques (630 millions estimés pour la
    saison en cours) sur le front euro-
    péen : difficulté à créer un environ-
    nement favorable autour des
    matchs du fait de sa jeune histoire
    ( Libération du 14 février 2018), inca-
    pacité à faire progresser les joueurs
    ( Libération du 29 avril 2019), pres-
    sion malsaine parce qu’extra-spor-
    tive s’exerçant sur les mêmes (Libé-
    ration
    du 18 février), «fantômes»
    évoqués par le directeur sportif
    Leonardo depuis la dérouillée (1-6)
    reçue à Barcelone en 2017...
    On avait cependant oublié un mur
    porteur, si l’on peut dire : l’absence
    de dessein commun, sauf à penser
    que mettre ses têtes de pont marke-
    ting en vitrine (Zlatan Ibrahimovic
    hier, Neymar et Mbappé de-
    puis 2017) est suffisamment «con-
    cernant» pour les copains. Or les
    trois dernières semaines ont vu les
    stratégies individuelles des uns et


des autres sortir comme des diables
d’autant de boîtes, comme si le vent
mauvais de la «négativité» (Leo-
nardo) poussait les acteurs à se ga-
rantir vis-à-vis de l’extérieur (vous
et moi) en prévision d’un éventuel
coup de buis.

Psychodrame
en mondovision
Le plus improbable : le Belge Tho-
mas Meunier, suspendu pour le re-
tour après un carton jaune à l’aller,
expliquant à la presse de son pays
ne pas avoir été mis au courant par
le staff de la menace qui pesait sur
lui en cas de nouvel avertissement.
Une info qui, soit dit en passant,
était dans tous les journaux le matin
du match : «Ce n’est pas la première
fois qu’on le chope en train de jouer
solo, maugrée un salarié du club.
Ça va finir par se voir.»
On monte d’un étage : Neymar, qui
s’était désolidarisé publiquement

de la gestion de son propre cas – il
avait été mis au frais trois semaines
par précaution – avant le match
aller avant d’offrir mercredi dernier
à Décines le spectacle ahurissant
d’un joueur se foutant de tout, puis
blessé, puis plus du tout blessé (?),
puis décisif. Comme elle aurait
privé le club de la capitale de son
maître à jouer trois saisons de suite
au même stade de la compétition,
une blessure aurait balancé entre le
psychodrame en mondovision et
l’affaire d’Etat : on imagine le stress
des responsables parisiens jusqu’à
Doha quand l’Auguste a fait son car-
naval, une démonstration boudeuse
et vaguement farce d’un Neymar
éprouvant son pouvoir de joueur
n’étant pas à exclure. Pendant la
représentation, Tuchel est resté de
marbre.
Peut-être qu’il s’en foutait. Ou qu’il
n’était pas dupe. L’entraîneur pari-
sien suit sa ligne de conduite : reste

Par
GRÉGORY SCHNEIDER

Affaibli par un individualisme structurel,


le club parisien reçoit le Borussia Dortmund


dans un stade vide, ce mercredi, en huitième


de finale retour de la Ligue des champions.


Pour le Paris-SG,


le poison


de la solitude


SPORTS


Si personne
ne pense que Tuchel,
en fin de contrat,
prendra de bon cœur
la porte, il en est
pour croire qu’il
commence à habiller
à son avantage
un départ contraint.

ANALYSE

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