Libération - 11.03.2020

(lily) #1

Libération M ercredi 11 Mars 2020 u 19


Dans l’enceinte
du Parc des princes,
en 2017.
PHOTO STÉPHANE
ALLAMAN. DPPI

contraint. Pourquoi revenir encore
et encore sur son impuissance à
donner du temps de jeu à Neymar
avant le voyage à Dortmund, au ris-
que de mettre à jour son désaccord
avec sa direction?
Certes, il n’aime pas mentir – il est
bien le seul. Mais alors, pourquoi
aller au contact physique d’un
Mbappé furieux d’être remplacé
le 1er février lors de la réception de
Montpellier (5-0) pour ramasser
une rebuffade ultra-prévisible de sa
star plutôt que de régler ça tranquil-
lement entre quatre yeux? Mbappé
s’est fait démolir sur les réseaux so-
ciaux après l’incident sur le double
front de l’égoïsme (un joueur qui
sort, c’est un coéquipier qui rentre
et qui prend la prime de match) et
du sentiment d’impunité qui va
avec : au-delà de sa propre faiblesse,
Tuchel a mis en scène la toute-puis-
sance du joueur, c’est-à-dire l’ethos
du club parisien depuis l’arrivée des

gine que la course contre la montre
du joueur structurera le récit d’un
club maudit, dans les ronces parce
qu’une chauve-souris a tripoté au
pangolin dans une grotte de la pro-
vince chinoise du Hubei, privant
en bout de chaîne une équipe
à 630 millions d’euros de budget de
public. Les trois dernières semaines
ont pourtant mis en lumière une
réalité bien différente : celle d’une
équipe devant reprendre le fil d’une
histoire commune inexistante de-
puis la fin de la dictature éclairée
(tout le monde s’y retrouvait ou
presque) d’Ibrahimovic en 2016 et
rassembler par l’exemple, sur le ter-
rain, un club atomisé, tout en arriè-
re-pensées, où chacun développe sa
petite stratégie individuelle. Il n’y
aura ni banderole, ni supporteurs,
ni encouragement, ni rien : une mé-
taphore de la solitude du joueur pa-
risien d’hier et d’aujourd’hui. Pas
facile quand même.•

Qataris en 2011. Que le coach alle-
mand l’ait voulu ou non, ce messa-
ge-là est passé.

Petite stratégie
individuelle
Et le message lui indiquant qu’il
n’entre pas dans les plans de sa
direction au-delà de la saison en
cours est passé également : il a fallu
une question posée par un journa-
liste la semaine passée pour que
Tuchel apprenne le veto mis par sa
direction à Mbappé, désireux de
participer à des Jeux olympiques
(24 juillet-9 août) ne figurant pas
parmi les dates de mise à dispo -
sition des internationaux par les
clubs.
Lequel Mbappé, un peu chiffon sur
Twitter envers les supporteurs du
club qu’il juge prompts à l’insulte,
ne s’entraîne pas depuis trois jours
par la faute d’une angine : en cas de
malheur contre Dortmund, on ima-

à savoir laquelle. Au ras du gazon,
l’idée de Tuchel était de donner du
temps de jeu à Neymar pour lui per-
mettre de recouvrer le rythme de la
haute compétition : c’est propre,
net, footballistique. En revanche,
les attitudes ou prises de parole pu-
bliques du coach allemand interro-
gent, y compris en interne : non pas
l’expression de cette solitude qui ac-
compagne tous les coachs parisiens
(Carlo Ancelotti, Laurent Blanc,
Unai Emery et lui) depuis que le Qa-
tar a impulsé une politique de stars
en 2012 mais une sorte de distance,
comme si cette histoire n’était plus
tout à fait la sienne.
A ces altitudes, la différence est
aussi subtile que le frôlement
d’une aile de libellule : si personne
ne pense que Tuchel, en fin de
contrat, prendra de bon cœur la
porte en juin prochain, il en est
pour croire qu’il commence à ha-
biller à son avantage un départ


L


a décision est tombée mardi :
sur ordre de la préfecture de
police, le match retour des
huitièmes de finale de Ligue des
champions entre le Paris-SG et le
Borussia Dortmund (2-1 pour les Al-
lemands à l’aller) se disputera à huis
clos. Le club de la Ruhr ayant reçu
devant son public à l’aller, l’équité
sportive est bafouée et ça n’a aucune
importance au regard des centaines
de morts, de la huitième puissance
mondiale sous quarantaine ou de la
peur qui monte partout. Pour au-
tant, on jouera au football mercredi
au Parc des princes et ce n’est pas
rien : la futilité du jeu préféré des
hommes n’est pas un luxe dans un
contexte aussi angoissant.
C’est même un truc à savourer : l’Ita-
lie n’en est déjà plus là. Le huis clos :
pas de partage ni d’élan commun,
quelque chose de la mystique du
joueur intégré dans la cité qui flotte
dans l’air les soirs de match totale-
ment évanoui. Plus prosaïquement,
les circonstances coûteront quelque
5 millions d’euros de recettes «jours
de match» au club parisien. Mais ça
reste du foot, réduit à son cœur nu-
cléaire : 22 joueurs en même temps
sur une pelouse, un ballon et un ar-
bitre. Les micros des télés capteront
les mots du terrain comme derrière
une main courante : «laisse», «j’ai»,
«serre» ou «ferme», et il n’est pas in-
terdit de penser que l’imagination
des téléspectateurs fera remonter
quelques souvenirs, le bruit des
crampons qui claquent sur le carre-
lage et la porte que l’on referme sur
un vestiaire maculé de terre et une
serviette oubliée.
Le foot a bien des visages : il a aussi
celui-là. Durant leurs années de for-
mation, les joueurs ne se sont pas
toujours produits devant un public.
Depuis, certains ont appris à s’en
nourrir, d’autres à faire abstraction,
d’autres encore à imaginer un pro-
che (parfois disparu) quelque part
dans la tribune : l’absence de déco-
rum, souvent utilisé comme stimu-
lus extérieur, leur suggérera une
idée originelle du jeu, l’espace du
match comme un monde clos leur
appartenant totalement. Bien sûr
qu’il n’en est rien : le poids d’un
club-Etat pour les Parisiens, celui
d’une carrière en pleine ascension
pour l’attaquant star de 19 ans du
Borussia Dortmund Erling Haa-
land, et l’ambition sportive bien
comprise pour les joueurs des deux
camps. Pour autant, le décor suggé-
rera les pulls roulés en boule en
guise de poteaux. On confesse être
curieux de savoir comment ils s’en
débrouilleront.
G.S.

Huis clos,


le foot


sans faste


Seuls au Parc pour
cause de Covid-19, les
joueurs retrouveront
l’essence du jeu :
22 types sur un terrain
et rien d’autre.
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