Libération - 11.03.2020

(lily) #1

2 u Libération Mercredi 11 Mars 2020


D


es hôpitaux embolisés, des
médecins submergés, con-
traints d’abandonner dans les
couloirs des malades rongés par le co-
ronavirus et, pour finir, l’Italie entière

brutalement placée quarantaine. De
quoi relancer les interrogations sur ce
qui attend vraiment la France quand
la vague épidémique déferlera. Mardi,
le bilan était de 1 784 personnes infec-
tées dans l’Hexagone (372 de plus en
24 heures) et de 33 morts. De l’autre
côté des Alpes, le bilan est bien plus
lourd : 10 149 cas et 631 décès. Au choc

des images italiennes, l’exécutif fran-
çais répond par la mesure. En visite
mardi au centre d’appel du Samu de
l’hôpital Necker-Enfants malades,
Emmanuel Macron s’est gardé de
toute déclaration va-t-en guerre, pré-
férant insister sur la «lucidité» avec la-
quelle les autorités abordent une crise
qui n’en est qu’au «tout début».

ÉDITORIAL


Par
LAURENT JOFFRIN

Progrès


Après l’Italie, la France?
La question d’un passage
à des mesures beaucoup
plus contraignantes pour
la population se pose dé-
sormais dans notre pays.
Avec le même objectif :
limiter le nombre de victi-
mes et, surtout, empêcher
un engorgement drama -
tique de l’appareil de santé
publique. Certains, in
petto,
déplorent cet embal-
lement, ou cette dispropor-
tion entre la menace réelle
et les plans draconiens
adoptés dans un nombre
croissant de pays. Ils l’im-
putent à cet autre effet
de la mondialisation : la
circulation instantanée
des images dramatiques,
qui inquiète et mobilise
l’opinion, obligerait les
gouvernements à agir au-
delà de ce qui serait néces-
saire. Ce à quoi les gouver-
nants peuvent répondre :
nous préférons en faire
trop que pas assez ; nous ne
sommes pas prêts à encou-
rir un procès en inaction.
Quitte à provoquer une


crise économique mon-
diale, dont les conséquen-
ces ne seront pas seule-
ment matérielles. On sait
qu’en cas de récession
dure, la santé publique
peut également être affec-
tée, par exemple à l’occa-
sion des fermetures d’en-
treprises ou d’une
augmentation importante
du chômage. Emballement
médiatique? Psychose pu-
blique? Pas seulement.
Il y a une autre explication,
qui traduit peut-être – pa-
radoxe ultime – une forme
de progrès. Au fil des dé-
cennies, au sein de nom-
breux pays, l’attention
au sort des individus, se-
raient-ils minoritaires, en
l’occurrence les malades
ou futurs malades, a crû de
manière spectaculaire. On
dit que la vie humaine n’a
pas de prix. Certes. Mais ce
prix, néanmoins, a aug-
menté dans la plupart des
nations civilisées, démo-
cratiques et même autori-
taires. On préfère paralyser
un pays, avec les innom-
brables coûts qui en décou-
lent, plutôt que d’être
accusé d’inertie, c’est-à-
dire d’avoir sacrifié une
partie des personnes con-
taminées pour éviter un
séisme économique. On
préfère, in fine, la santé
à la croissance. Au risque
de passer pour un incura-
ble optimiste, on y verra
un progrès de la cons-
cience humaine.•

Par
NATHALIE RAULIN
et LILIAN ALEMAGNA

Au Colisée, à Rome. En Italie, des touristes ignorent encore que tout le pays a été placé sous quarantaine. PHOTO TIZIANA FABI. AFP


ÉVÉNEMENT


La France espère


éviter le scénario


à l’italienne


Contrairement à Rome, Paris n’a pas été pris de court par


la propagation du virus, réussissant à contenir le nombre


de cas le temps d’organiser son système sanitaire.


Ce qui n’empêche pas les doutes sur la capacité des hôpitaux


à faire face au futur afflux de malades.

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