Libération - 11.03.2020

(lily) #1

Libération M ercredi 11 Mars 2020 u 25


P


ittoresque et pacotille,
quand le cinéma fran-
çais se pique de poésie
coloriée. En 1984, Splash avec
Daryl Hannah et Tom Hanks
avait proposé l’adaptation li-
bre, sans façon et accomplie,
de la Petite Sirène. C’était le
premier film produit par la
Touchstone, succursale de
Disney dédiée aux comédies
familiales, plus adultes et en
«live action», d’où sortirent
une flopée de précieux films
dans l’ombre de la major.
L’idée du film de l’homme-

orchestre Mathias Malzieu
(leader du groupe Dionysos,
écrivain passé à la réalisation
en s’adaptant lui-même dans
l’animé Jack et la mécanique
du cœur , avant cette bévue
analogique doublée d’une
débâcle industrielle en salles
ce mercredi), son initiative
séduisante a priori aurait pu
consister à rendre à Ander-
sen ce que Disney lui avait pi-
qué, affadi.

Crooner. Sur la Seine coule
la pluie arrosée du décor, les
flonflons d’une péniche-ca-
baret résonnent, dirigée par
un père veuf (Tchéky Karyo)
et son fils (Nicolas Duvau-
chelle), chanteur au cœur
brisé, immunisé de l’amour,
jusqu’au jour où il recueille
une sirène naufragée sur les
quais, blessée de bleus à la
queue. Réinventer le célèbre

conte, avoir de quoi s’offrir
des vues de la tour Eiffel illu-
minée, tout rendre au mer-
veilleux, à la féerie sincère,
au fabuleux, et patatras : pas-
ser tout le film en cale sèche
d’une baignoire où le récit
croupit ; tout saloper au nom
d’une poésie régressive de
petit garçon qui a cassé sa ti-
relire (comme Gaspard, notre
crooner rétro échoué, en fait
la remarque). Sacrifier à la
tradition de toc à la française,
dont la ligne molle s’étire de
l’univers de Jeunet aux
meilleurs clips de la décen-
nie 80 – de Daho aux Rita
Mitsouko. Sauf qu’il s’agit
d’un film, pas d’un scopitone,
sans presque de chansons, et
cet abandon de la comédie
musicale précipite le film
dans un désastre irrévocable.
Ça aurait pu être du bon Mor-
dillat, quand il lui prenait de

faire du proto-BD-punk, épo-
que Billy Ze Kick : quitte à
faire toc, opter pour le traves-
tissement déjanté et le film
oulipien non frelaté, mais là,
Une sirène... glisse dans une
grande flaque de sirop.

Nubile. A propos de flaque,
on s’inquiète presque pour la
sirène, Marilyn Lima (lire Li-
bération de lundi) à qui il a
fallu tenir, clouée tout le
tournage, des semaines, dans
une baignoire. Femme im-
mobilisée, trimbalée comme
un meuble, dont le petit gar-
çon devenu grand prince
charmant, fleur bleue, tout
en sentiments timides, fait

malgré tout sa chose, de A
à Z, sa femme-objet à qui ja-
mais le film ne pense à laisser
l’expérience d’avoir des jam-
bes et cette douleur intoléra-
ble (comme de marcher sur
des couteaux) de l’amour, de
l’humanité et du conte cau-
chemardesque d’Andersen
dans ce qu’il montre aux
filles l’horreur de leur condi-
tion future, féminine et nu-
bile. On retiendra la toute fin
lâchée, son côté nanar qui

s’assume, en partie grâce à
Rossy de Palma qui sait pren-
dre congé d’un film en com-
media dell’arte aparté. Film
sans lune, à marée basse. On
a beau être touche-à-tout,
cela ne fait pas de nous un
être à tout doué.
CAMILLE NEVERS

UNE SIRÈNE À PARIS
de MATHIAS MALZIEU
avec Nicolas Duvauchelle,
Marilyn Lima... 1 h 42.

«Une sirène à Paris»,


nanar palmé


Avec sa poésie
régressive et son
esthétique en toc,
Mathias Malzieu
noie son sujet sous
les sentiments
sirupeux.

P


auvre Marie Curie. On se souvient
qu’en 2017 déjà, la femme la plus
nobelisée de l’histoire subissait
un ravalement plastique du plus mau-
vais goût sur l’appli Snapchat. Pour ren-
dre hommage à son génie, les concep-
teurs avaient cru bon d’agrémenter le

filtre à son effigie d’un maquillage ou-
trancier – vouer sa vie à l’étude de la ra-
dioactivité n’ayant jamais dispensé qui-
conque de se rendre présentable.
Trois ans après le bad buzz, la culture
pop poursuit son œuvre d’enluminure
sur la femme de science, à qui l’actrice
britannique Rosamund Pike vient re-
donner un peu de rose aux joues. L’au-
teure de BD et cinéaste Marjane Satrapi,
dont l’étoile a décidément pâli depuis
Persepolis, ouvre la bio de Marie Curie
à la page de la bluette. Idylle frémissante
et galipettes champêtres avec Pierre Cu-

rie (le dandyesque Sam Riley) viennent
ainsi dérider le portrait institutionnel de
la physicienne. Marie l’épouse, la mère,
la pionnière mordue par le démon de la
recherche jusqu’à consumation com-
plète, se trouve croquée au burin dans
une posture d’artiste maudite, parfois
odieuse (le génie veut ça), sans oublier
d’être admirable.
Plus singulièrement, le film s’essaye à
sonder l’ambivalence de toute décou-
verte scientifique, offerte aux bienfaits
de l’esprit humain comme aux pires dé-
rives dès lors qu’elle s’autonomise hors
des labos. Ainsi du radium, qui jeta les
fondements du traitement du cancer
par radiothérapie tout en propulsant
l’humanité dans l’ère de la bombe ato-
mique. Des vignettes préfigurant ce fu-
tur viennent rompre le fil du récit –
chromos ruisselants de couleurs, à
peine plus factices que le reste des plans
vitreux où les acteurs semblent embau-
més dans du formol. L’idée n’apporte
presque rien, sinon le sentiment d’assis-
ter à d’étranges coupures pubs sans pos-
sibilité de zapper.
SANDRA ONANA

RADIOACTIVE
de MARJANE SATRAPI,
avec Rosamund Pike, Sam Riley,
Aneurin Barnard... 1 h 50.

«Radioactive» au rayon bluette


Loin du charme de son
«Persepolis», Marjane
Satrapi signe un biopic
inepte de la physicienne
Marie Curie.

Rosamund Pike et Sam Riley incarnent les époux Curie. STUDIOCANAL

CINÉMA/


Marilyn Lima en sirène échouée. PHOTO SONY PICTURES RELEASING FRANCE
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