Libération - 11.03.2020

(lily) #1

26 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 11 Mars 2020


L


a force d’ Un fils , le
premier long métrage
du Tunisien Mehdi
M. Barsaoui, tient essentiel-
lement à l’habileté de son
scénario, qui parvient à en-
trelacer de nombreux ques-
tionnements sociaux, poli -
tiques et moraux dans un
seul drame familial. Un cou-
ple de la bonne société tuni-
sienne et leur fils sont pris
pour cibles par un groupe de
terroristes qu’ils ont le mal-
heur de croiser sur une route
déserte ; une balle perdue
atteint l’enfant, il est griève-
ment blessé et doit subir une

vers et archaïsmes. Les diffé-
rentes façons d’obtenir un
foie pour sauver la vie d’un
enfant pouvant alors être per-
çues comme autant de ma-
nières d’utiliser le passé pour

préserver le futur, en en pro-
longeant les méfaits ou en les
dépassant ; en étant vérita-
blement moderne et démo-
crate ou en se comportant en
crapule par intérêt personnel.

Formellement assez conven-
tionnel, le film est plutôt effi-
cace lorsqu’il se contente
des faits, mais s’alourdit dès
qu’il s’attarde sur la psycho-
logie ou les émotions. A d’au-

greffe du foie. Savoir qui sera
le donneur de l’organe oblige
à une révélation qui affectera
profondément le couple
(son père n’est pas son géni-
teur), en plus d’engendrer
une série de dilemmes et
de tractations symptomati-
ques de dysfonctionnements
de la société tunisienne :
inégalités entre les classes,
patriarcat, poids de la reli-
gion, insuffisance des servi-
ces publics, trafics cyniques.

Ellipses. La tragédie de
cette famille aisée brutale-
ment confrontée à une vio-
lence et une corruption dont
elle était jusqu’alors préser-
vée résonne dans un contexte
historique précis – le récit se
déroulant en août et septem-
bre 2011, soit quelques mois
après le printemps arabe et la
chute du président Ben Ali –,
pour démontrer combien un
apparent apaisement poli -
tique ne suffit pas à guérir
tout un pays de ses maux, tra-

dacieuses accélérations ou
ellipses peuvent succéder de
poussifs plans sur les visages
défaits et les regards perdus
des personnages, insistant
sur leur désarroi ou leur tris-
tesse à l’aide d’une musique
peu subtile.

Fable cruelle. Tout en sa-
luant la pertinence de l’allé -
gorie politique et l’indéniable
force de deux ou trois scènes
(celles qui concernent les tra-
fics d’organes d’enfants), on
peut ainsi regretter qu’ Un fils
se maintienne dans les limites
du bon film à thèse, ne débor-
dant jamais de ce qu’il cher-
che à démontrer, en n’osant
s’aventurer ni du côté du mé-
lodrame ni de celui de la fable
cruelle que son scénario con-
tenait pourtant en puissance.
MARCOS UZAL

UN FILS de MEHDI
M. BARSAOUI avec Sami
Bouajila, Najla Ben Abdallah,
Youssef Khemiri... 1 h 32.

«Un fils», la Tunisie sans foie ni loi


Dans son premier
film, Mehdi M.
Barsaoui explore
le dévouement de
deux parents pour
trouver un organe
à leur fils, parfois
à gros traits.

L’effondrement redouté par beaucoup n’a pas (encore) eu lieu.
Les entrées en salles sont encore à la baisse cette semaine,
mais ne font que suivre une érosion entamée bien avant que
la menace pandémique n’atteigne l’Europe (-20 % en janvier
et février par rapport à 2019). Si la plupart des nouveautés
sont à la peine (notamment le très beau Monos ), quelques
mastodontes s’en sortent bien, tels De Gaulle et le nouveau
Pixar, En avant, qui signent de solides démarrages.
(SOURCE : «ÉCRAN TOTAL», CHIFFRES AU 8 MARS)

FILM SEMAINE ÉCRANS ENTRÉES ENTRÉES/ÉCRAN CUMUL
En avant 1 579 487 975 843 487 975
De Gaulle 1 619 421 495 681 421 495
Invisible Man 2 348 182 062 523 531 803
Papi Sitter 1 445 154 115 346 154 115
L’Appel de la forêt 3 499 164 096 329 1 122 566
Woman 1 116 37 060 319 37 060
La Communion 1 114 36 256 318 36 256
10 Jours sans maman 3 496 142 730 288 1 066 207

TICKET


D'ENTRÉE


A


vec son décor répétitif en
carton-pâte et ses nuages
à la Magritte, Vivarium a
quelque chose d’explicitement
tautologique. Les nuages n’y dé-
signent que des nuages, les pein-
tures sont des mises en abyme,
les routes mènent à un cul-de-sac
infini et l’horrible garçonnet au
cœur du film ne semble avoir
ni imagination ni inconscient.
Il n’y a pas de hors-champ ici,
Vivarium est tout en surface,
en concept, ce qui explique qu’il
commence par séduire, avec ses
faux airs de Quatrième Dimen-
sion ancienne époque, puis lasse
et déçoit.
Satire de l’ennui suburbain et du
matérialisme qui l’accompagne,

sommes seuls à regarder le cou-
ple se débattre. La société qui a
placé là les deux antihéros n’est
désignée qu’en creux, force plus
grande qu’eux qui va les malme-
ner arbitrairement une fois le
piège déclenché, et le film fait
comme s’il était entendu que
ses spectateurs adhèrent naturel-
lement à son postulat de départ,
totalement dénué d’empathie

et tout en méchanceté.
Quant à la critique du matéria-
lisme, Vivarium, avec ses boîtes
de nourriture anonymisées et
ses chaînes de télé diffusant
de bruyants clips d’art cinétique
en noir et blanc, a l’effet pervers
de nous en faire regretter les piè-
ges les plus évidents, produits
de marque bariolés ou entertain-
ment pétaradant. Il donne une

furieuse envie de chips maïs
goût épicé emballées dans un
beau paquet rouge vif – mais
sans doute sommes-nous tota -
lement aliénés.
ÉLISABETH FRANCK-DUMAS

VIVARIUM
de LORCAN FINNEGAN
avec Jesse Eisenberg
et Imogen Poots... 1 h 38.

Vivarium place Tom (Jesse Ei-
senberg, à contre-emploi en éla-
gueur débrouillard) et Gemma
(Imogen Poots), jeune couple en
recherche d’un logement à ache-
ter, au cœur d’un cauchemar
contemporain grandeur nature.
A savoir, une angoissante ville
nouvelle où ils se retrouvent pri-
sonniers lors d’une anodine vi-
site, dont ils sont les seuls habi-
tants et dont ils ne peuvent
s’échapper. C’est d’abord flip-
pant, parfois amusant, surtout
lorsqu’un bébé leur tombe sur les
bras – le désemparement et l’acri-
monie revancharde du jeune pa-
rent sont assez bien croqués, tout
comme l’inévitable répartition
genrée des rôles et la solitude
qu’elle génère.
Mais avoir concentré et réduit
à l’os le propos, le réduisant à une
hénaurme métaphore vite assi-
milée, a privé le film de ressorts
d’intérêt – l’enfer du suburb con-
temporain, comme chacun sait,
c’est aussi l’autre, le voisin, qui
épie, juge et cancane, et ici, nous

«Vivarium»,


banlieue chiche


Lorcan Finnegan
filme un jeune couple
coincé dans un
lotissement angoissant
qui évoque l’ennui
pavillonnaire, mais
la satire tombe à plat.

Jesse Eisenberg et Imogen Poots dans l’enfer du suburb contemporain. PHOTO THE JOKERS

Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah aux prises avec la Tunisie post-Ben Ali. JOUR2FÊTE
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