Libération - 11.03.2020

(lily) #1

Revisionnage


Patrick Poivre d’Arvor Douze ans après TF1,


l’ex-star du JT continue à écrire, met en scène


des opéras et part toujours se perdre au bout du monde.


Par LUC LE VAILLANT
Photo JÉRÔME BONNET

Son dernier roman conte l’ascension politique d’un trente-
naire. Ce feuilleton balzacien, au scénario enlevé et à l’écri-
ture facile, se nomme l’Ambitieux. Poivre ne brocarde en rien
cette passion, mettant en exergue la citation suivante : «La
vanité consiste à vouloir paraître, l’ambition à vouloir être.»
Et ce fils d’un représentant en chaussures, grandi à Reims,
ajoute : «Moi, je voulais sortir de ma condition, de ma ville, de
ma glaise.»
L’ancien jeune giscardien raconte l’arrivisme d’un député de
centre droit. Il ne cache pas que son personnage «s’inspire de
Macron et de Sarkozy». Que le premier ait trahi pour prendre
son envol et semble ne pas avoir connu l’échec, ne pas avoir
souffert, l’intéresse. Chez le second, il apprécie le courage phy-
sique et le dépassement des limites initiales. Ce même Sarko
fut à l’origine du débarquement de PPDA de TF1. Il lui a pour-
tant proposé «la seconde place sur la liste de Pécresse en Ile-de-
France». Mitterrand que Poivre se plaisait à braver, fort de
l’aura cannibale que donne la dévoration téléphage, lui aura
fait miroiter le portefeuille de la Francophonie. Lucide, Poivre
s’est bien gardé de liquider sa position magistrale pour un ho-
chet temporaire. De sa vieille
amitié avec Brice Lalonde
comme de sa proximité voya-
geuse avec Nicolas Hulot,
PPDA vante sa lointaine fibre
écolo, mais tait son vote avec
une coquetterie qui remonte
à ses années de visibilité
ultime.
Comme on arrache des peaux
mortes, il liquide ses der -
nières émissions d’actualité
sur des antennes annexes, sans que cela semble lui importer.
Il préfère faire l’acteur ou mettre en scène des opéras. Le Don
Giovanni de Mozart a capté son attention, un été durant. Ce
qui émoustille quand on connaît sa réputation de séducteur
qu’il s’est toujours empressé de minimiser et d’enluminer à
la fois. Il refuse la comparaison : «Don Juan est odieux. Il prend
et jette. Il a juste ce courage final, ce refus du repentir, quand
aujourd’hui la contrition est générale.» Il se préfère tombeur
timide, souvent roulé dans la panade sentimentale. Mais il
revendique comme une bonne farce ses anciens badinages
avec les actrices en promo à la fin des JT comme des «saynètes
au goût sucré». Concernant #MeToo, il fait sans surprise du
«en même temps», déclinant «moment indispensable», «éga-
lité», «pas de guerre des sexes».
Dans son dernier roman, un personnage de 72 ans, lui aussi,
se considère ainsi : «Je porte encore beau me disent les femmes.»
Voyons voir... Dans la pénombre qui gagne, ce surexposé qui
déteste être pris en photo trimballe une longue silhouette in-
changée, à la fois enveloppante et pataude, godiche et émou-
vante. Il y a juste une voussure plus affirmée. Le cheveu long-
temps rabouté, souvent moqué, est toujours là, de plus en plus
blanc. Les yeux de cocker dégoulinent toujours de fausse in-
certitude quand PPDA a toujours su précisément où il allait.
Et, à jamais, il y a ce phrasé marshmallow, pâteux et moelleux,
qui n’a rien de celui d’un crooner, mais qui savait se faire enve-
loppant. Au point qu’une fan pouvait le remercier de bercer
son poupon hurleur.
Claire Chazal, compagne de JT et mère de son dernier fils, le
décrivait ainsi : «Il avait une voix singulière, une expression
nouvelle, il embrassait tous les sujets.» Fascinée avouée, elle
le voyait comme «un albatros qui pouvait avoir du mal à redes-
cendre sur terre» ou comme «un être mystérieux qui était tou-
jours en partance».
Dans les eaux les plus froides, Poivre se baigne par tous temps :
«Juste une immersion, j’en ai besoin, comme de replonger dans
un liquide amniotique.» Chaque matin, il court trente minutes.
Il dit : «Cela me permet de dialoguer avec mes absents.» La mort
est une vieille compagne qui lui a souvent pris le bras. Il a
perdu trois enfants. Sa foi n’y a pas résisté. Il dit : «J’ai du mal
à croire en un dieu qui autorise ça.» Sur le chemin de Compos-
telle, il était marcheur métaphysique plus que pèlerin de Saint-
Jacques. Il réfute le mot «retraite», ne s’englue pas dans le mor-
bide, même s’il sent le sable lui couler entre les doigts.
De retour du Pacifique, où il a suivi les traces de Stevenson,
Gauguin ou Brel, le voilà qui s’imagine un finale pas forcément
terminal, même si la fracture serait fatale, un largué d’amarres
pour un exil aux îles Sous-le-Vent.•

1947 Naissance.
1976 1 er JT
sur Antenne 2.
2000 Prix Interallié.
2008 Dernier JT
sur TF1.
Février 2020
L’Ambitieux (Grasset).

C


omment va la vie quand la gloire se retire lentement,
laissant le futur à marée basse et l’intensité à petit coeffi-
cient? Que devient-on quand on n’est plus le prince de
la télé, le président des JT, l’indéboulonnable torréfacteur
du 20 heures, moulinant l’info avec décontraction et langueur?
Comment va PPDA, 72 ans, et nous autres qui comme lui
vieillissons? Nous l’avons tant connu par le passé et tant dé-
gusté par le menu. Nous ne l’aimions pas
absolument, nos vachardises cachant
parfois une tendresse tueuse. Mais, toute
honte bue, nous admirions son talent sans
peur, quels que soient les reproches à y opposer. Nous ne sa-
vions trop que penser de ses facilités et de ses privautés, de ses
accommodements et de ses déraisons, de cette timidité incon-
grue qui lui fait dire que «le bonheur, c’est de ne pas être regardé»
et de ce masochisme réparateur qui l’a vu aller se faire beaucoup
voir. Nous intriguait aussi son goût du risque physique et judi-
ciaire, sa bougeotte tous frais payés et les libertés prises avec
les règles, sa folie tourmentée et ses malheurs distanciés.
Patrick Poivre d’Arvor reçoit à son domicile de Neuilly (Hauts-
de-Seine) où il vit depuis longtemps. Un de ses fils squatte le

haut des quatre étages. Ce qui fait de la compagnie à ce soli-
taire aux conjugalités peu cohabitantes qui toujours s’évade
en vespa cabossée. Il ouvre la porte qui donne sur une entrée
en réfection. Une maquette de Pen Duick, le bateau de Ta-
barly, trône à la fenêtre, emblème d’une passion bretonne
maintenue. Les lieux croulent sous les bibliothèques. Pa-
trick Poivre d’Arvor a toujours eu la littérature à cœur. Celle-ci
ne lui a pas forcément rendu sa dévotion.
Sur TF1, cet insomniaque qui s’est souvent
fantasmé en Petit Prince et en Saint-Exu-
péry à la fois, enfant roi et aviateur poète,
créature et créateur, tenait comme à la prunelle de ses yeux
à Vol de nuit, son émission littéraire. Ce lundi, ce lecteur accé-
lérateur vient d’enregistrer pour CNews une flopée d’entre-
tiens avec des auteurs. Lui a publié à foison : 20 romans, 10 ré-
cits autobiographiques, 30 documents, 10 anthologies. Il y
a œuvré avec son frère diplomate, réfuté des apports fantômes
et vu une héroïne réelle se révolter contre l’exposition de leurs
amours. A défaut de Goncourt, PPDA a obtenu l’Interallié,
mais reste suspect aux yeux du monde de l’édition, trop connu
et trop demandeur de reconnaissance à la fois.

LE PORTRAIT


Libération Mercredi 11 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
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