Libération - 11.03.2020

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8 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 11 Mars 2020
MONDE

Vladimir Poutine devant la Douma, la Chambre basse du Parlement, mardi. PHOTO EVGENIA NOVOZHENINA. REUTERS

Prenant de vitesse
l’opposition et les
observateurs,
le Président a fait
voter à la Douma
un amendement
qui lui permettra de
briguer un nouveau
mandat en 2024,
voire en 2030.

L


a révolution de palais
est entrée dans une li-
gne droite. Vladimir
Poutine a accepté mardi de
remettre à zéro les compteurs
limitant à deux les mandats
présidentiels et, puisqu’on le
lui demande avec tant d’in-
sistance, de se représenter
à l’élection présidentielle

Russie : Vladimir Poutine remet


son compteur présidentiel à zéro


tronaute Valentina Terech-
kova à venir parler face à l’hé-
micycle. «Pourquoi tourner
autour du pot et ériger des
constructions artificielles, il
faut tout prévoir honnêtement
et ouvertement : soit enlever
complètement la limitation
du nombre de mandats prési-
dentiels dans la Constitution,
[...] soit, si les gens en décident
ainsi, inscrire dans la loi la
possibilité pour le président en
exercice de se représenter à ce
poste», s’est interrogée la par-
lementaire, qui assure avoir
entendu à maintes reprises
au cours de ses contacts avec
les électeurs que «Poutine de-
vait rester».
La «voix du peuple» a donc
commodément été portée
par la première femme dans
l’espace, une figure apoliti-
que dont l’exploit est res-
pecté dans la société russe, et

donc au-dessus de tout soup-
çon... Du reste, Poutine
compte lui-même se soumet-
tre à la volonté populaire,
puisque tous ses amende-
ments seront soumis à un
«vote national» le 22 avril. La
Chambre basse, toujours do-
cile, a quant à elle adopté en
deuxième lecture, mardi, par
382 voix, 44 abstentions et
aucune voix contre, les
amendements à la Constitu-
tion voulus par le Président.

Signaux. Quand, en janvier,
Poutine a annoncé inopiné-
ment une réforme à venir de
la Constitution de 1993, les
observateurs y ont lu une ré-
organisation de la gouver-
nance afin que le dirigeant
russe, qui ne peut plus se re-
présenter, puisse tout de
même conserver les rênes du
pays après 2024. Sans toute-

fois rester au Kremlin, sous
une forme qu’il faudra en-
core définir.
«Mais on s’est tous laissés en-
dormir», regrette la politolo-
gue Tatiana Stanovaya, qui
avait déniché une déclara-
tion de Poutine datant
de 2008 dans laquelle il par-
lait d’une «réinitialisation»
du compteur des mandats, si
jamais on enlevait de la
Constitution la limitation à
deux mandats consécutifs.
«A l’époque, j’avais fini par
me ranger à l’avis des juristes
que j’avais consultés, selon
lesquels une telle décision
était beaucoup trop explosive,
car anticonstitutionnelle, et
qu’il n’oserait pas...»
Poutine lui-même a distillé
ces dernières semaines de
faibles signaux pouvant an-
noncer un possible départ en
parlant d’alternance, de

de 2024. «Mais à une condi-
tion : si la Cour constitution-
nelle russe conclut officielle-
ment qu’un tel amendement
n’est pas contraire à la loi fon-
damentale», a déclaré le chef
du Kremlin devant la Douma,
la Chambre basse du Parle-
ment, où il s’était rendu dans
l’après-midi pour discuter
des propositions des députés
du parti du pouvoir Russie
unie : dissoudre ladite
Douma après l’adoption de la
réforme constitutionnelle
imminente, mais surtout lui
donner, à lui, la possibilité de
ne pas quitter le Kremlin à la
fin de son mandat, comme
l’exige le texte actuel.
Dans un numéro bien pré-
paré, même si le jeu et le na-
turel des protagonistes lais-
saient à désirer, le speaker de
la Douma, Viatcheslav Volo-
dine, a invité l’ancienne as-

Par
VERONIKA DORMAN

changements... «Et pendant
ce temps, le débat sur la ré-
forme constitutionnelle s’est
déplacé sur des sujets comme
les enfants, Dieu, le Conseil
d’Etat, libéré du poids morti-
fère de la question de savoir si
Poutine restait ou non», pour-
suit Stanovaya.

«Stabilité». Surtout, le pré-
sident russe a coupé l’herbe
sous le pied de l’opposition,
qui ne s’est pas mobilisée au-
delà des cris indignés sur les
réseaux sociaux. «Ça aurait
été du pain bénit pour Alexeï
Navalny de pouvoir occuper
pendant des semaines les pla-
ces et les rues pour protester
contre une telle réforme.
Maintenant c’est plié, le réfé-
rendum est très bientôt, il n’y
a plus vraiment de temps pour
une véritable mobilisation.»
Et c’est exactement ainsi que
l’opposant a interprété l’an-
nonce de ce mardi : «Très fa-
cile de deviner quelle va être la
prochaine décision, après
l’amendement qui permettra
à Poutine de rester président
douze années de plus. L’inter-
diction d’organiser tout évé-
nement public, à cause du co-
ronavirus. Temporaire. Pour
six mois, pas plus», a réagi
Navalny sur Facebook.
Aux députés, Poutine a ré-
pété sa conviction profonde
qu’un «pouvoir présidentiel
fort est absolument nécessaire
à la Russie. [...] La situation
économique et sécuritaire ac-
tuelle le rappelle encore une
fois». Bien sûr, «les Russes
doivent avoir dans n’importe
quelle élection une alterna-
tive», mais «la stabilité est
peut-être plus importante et
doit être prioritaire», a-t-il
conclu.
«Poutine considère que le
temps n’est pas venu pour lui
d’annoncer son départ»,
poursuit Stanovaya. Parce
que s’il quitte effectivement
le Kremlin en 2024, il devient
dès maintenant un président
sortant, et le pays se concen-
tre sur l’après. «En fait, il ne
sait pas s’il aura envie de par-
tir en 2024, ou si les circons-
tances le permettront. Il ne
prend jamais de décisions sur
le long terme, c’est pourquoi il
a besoin que le système reste
le plus flexible possible, pour
qu’il puisse s’adapter à la
conjoncture. Ce qui ne veut
pas dire qu’il restera néces-
sairement au pouvoir jus-
qu’en 2036.» Nous voilà
rassurés.•

Primaires démocrates
Après une série de victoires
sans appel, Joe Biden espérait
prendre un avantage décisif sur son rival Bernie
Sanders, mardi, lors de leur premier duel de la pri-
maire démocrate. Les électeurs démocrates de six
Etats, dont le Michigan, étaient appelés à les dépar-
tager. Résultats à suivre sur Libération.fr et notre
appli LibéLabo. PHOTO REUTERS

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