10 // IDEES & DEBATS Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
opinions
Coronavirus :
un choc économique sous-estimé
(13 % du total). L’arrêt partiel de ses usi-
nes entraîne des ruptures de livraison,
mettant ainsi en danger maintes chaî-
nes de production : filières électroni-
ques, mécaniques, automobiles, phar-
maceutiques. Les dégâts résultant d’une
dépendance excessive des industriels
du monde entier vis-à-vis de leurs sous-
traitants chinois sont difficilement chif-
frables a priori. Ils sont probablement
loin d’être négligeables et nécessiteront
du temps pour être corrigés.
La troisième vague touche les sec-
teurs les plus affectés au niveau mon-
dial par la désorganisation des échan-
ges, due aux e ffets de la vague
précédente et surtout aux mesures de
confinement, de non mobilité, dont
l’ampleur augmente avec celle de l’épi-
démie. Les transports aériens (1 % du
PIB mondial), les transports maritimes
(2 % du même PIB), le tourisme (7 %),
c’est au bas mot 10 % du PIB mondial qui
sont menacés dans leur existence
même. La chute potentielle d’activité
est ici redoutable et peut à elle seule
déclencher une récession.
Désorganisation des échanges
D’où la quatrième vague, la plus diffuse,
la plus terrible et dont on n’a pas encore
vu les effets. Que cette situation dure et
l’on verra peu à peu apparaître, partout
dans le monde, d ans tous les secteurs e n
commençant bien sûr par les p lus expo-
sés, des faillites multiples, les petites et
moyennes entreprises étant particuliè-
rement concernées.
En face de ce scénario noir, l’action
des banques centrales serait de peu
d’efficacité. Elles n’ont pas réussi, avec
une politique de taux d’intérêt très bas
et une forte création monétaire, à peser
hier sur l’économie réelle. Pourquoi
deviendraient-elles plus efficaces dans
une situation soudainement devenue
beaucoup plus difficile? Ce n’est pas la
monnaie et le crédit qui sont en cause
(sous réserve d ans un second temps des
réactions, toujours amplifiées, des mar-
chés financiers) mais l’activité elle-
même.
C’est donc aux gouvernements de
prendre la main, s’ils en ont la capacité.
Avec une question qu’il est plus simple
de poser que de résoudre. Comment, en
temps de paix, organiser l’économie, si
nécessaire, comme une économie de
guerre?
Jean Peyrelevade est économiste.
Les méfaits du coronavirus sont
d’une autre nature. Ils touchent directe-
ment l’économie réelle, dans ses flux
d’exploitation avant d’affecter les actifs
inscrits aux bilans : c’est donc l’activité
elle-même qui souffre au premier rang.
En même temps, ils s’étendent plutôt
lentement, de manière progressive,
d’une entreprise à l’autre, d’un secteur à
l’autre. Mais ils peuvent devenir pro-
fonds et frapper partout. Car, comme le
virus qui en est la cause, ils sont très dif-
ficiles à arrêter.
Chine à l’arrêt
Comment les caractériser? Ils sont le
résultat de quatre vagues successives.
La première est la mise à l’arrêt partiel,
aujourd’hui pour des raisons de santé,
demain le cas échéant pour des raisons
géopolitiques, de l’une des principales
économies de la planète. La Chine
représente aujourd’hui, juste après les
Etats-Unis, plus de 15 % d u PIB mondial.
Qu’elle perde la moitié de son taux de
croissance annuelle jusque-là anticipé,
soit environ trois points, et celui du
monde sera diminué de 0,45 % point.
Calcul de simple arithmétique macroé-
conomique.
La deuxième vague tient à l’impor-
tance de la Chine dans les échanges
internationaux : ses difficultés entraî-
nent celles de ses fournisseurs habi-
tuels. Elle représente plus de 10 % des
importations mondiales (à nouveau un
rang après les Etats-Unis), lesquelles se
montent au total à plus de 20 % du PIB
de la planète. Supposons que les impor-
tations chinoises chutent simplement
de 10 % par suite de ses arrêts de produc-
tion : on p erd mécaniquement, à
l’échelle mondiale, de l’ordre de 0 ,2 p oint
de PIB. Dans l’autre sens, la Chine est la
première nation exportatrice du monde
La Chine représente
plus de 15 % du PIB
mondial.
Qu’elle perde la moitié
de son taux
de croissance annuelle,
soit environ 3 points,
et celui du monde sera
diminué de 0,45 % point.
Contrairement à la crise financière de 2008, qu’on pouvait arrêter
par des injections massives d’argent frais, le coronavirus touche
l’économie réelle dans ses flux d’exploitation.
DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE
- « On la considère comme l’équivalent
d’une d éclaration de guerre sur le marché
pétrolier. Une r upture entre d eux des plus
grands producteurs de brut, l’Arabie
saoudite et la Russie, sur la façon de
répondre à l’effondrement d e la demande
provoquée par l’épidémie galopante de
coronavirus, a provoqué une chute des
cours du pétrole », écrit le « Financial
Times ». Pour le journal, cette rupture
souligne l’affaiblissement de l’Opep,
dont l’objectif, d’après ses statuts, est de
maintenir la stabilité des prix du
pétrole. « Ce qui signifie que les prix doi-
vent être assez bas pour soutenir la crois-
sance des pays membres mais, surtout, à
un niveau suffisant pour soutenir leurs
budgets ». Le poids de l’organisation
s’est cependant largement réduit en rai-
son de l’augmentation de la production
américaine.
Or, depuis 2016, Riyad a dû s’appuyer
sur la Russie pour stabiliser les cours.
Mais le refus de Moscou de réduire sa
production a poussé l’Arabie saoudite à
déclencher une guerre des prix en aug-
mentant la sienne. « Le pari de Riyad,
estime le journal, vise à la fois à gêner les
producteurs américains de gaz de schiste
lourdement endettés et à prendre des
parts de marché à la Russie. »
Reste que cette guerre risque d’être
coûteuse pour tout le monde, et l’indus-
trie américaine figurera parmi les prin-
cipales victimes, estime le journal.
Si quelques secteurs peuvent en
bénéficier comme le transport aérien
ou l’automobile, à la différence de 2014,
lorsque l’Arabie saoudite inondait le
marché pétrolier mondial, « il y a
aujourd’hui très peu de signes d’une forte
demande. Le jeu de l’Arabie saoudite
serait à tout moment dangereux, mais
dans un monde luttant contre l’épidémie
de coronavirus, il apparaît comme irres-
ponsable » , conclut le « FT ».
— J. H.-R.
Quand les Saoudiens
jouent à la roulette russe
LE MEILLEUR DU
CERCLE DES ÉCHOS
Pourquoi les voitures
européennes sont-elles
moins chères aux US?
Le visiteur européen de passage
aux Etats-Unis s’étonnera de constater
que les voitures premium européennes
sont moins chères de l’autre côté
de l’Atlantique. Pourquoi?
Les explications de Vincent Maire,
associé chez Alixio Change Management.
PRIX « Cela peut sembler paradoxal, mais
les voitures premium européennes coûtent
nettement moins cher de l’autre côté de
l’Atlantique, même en tenant compte du taux
de change. A titre d’illustration, le “best-
seller” de Volvo – la XC90 – s’affiche à partir
de 65.500 euros en France contre
48.350 dollars aux Etats-Unis (soit un peu
moins de 45.000 euros). »
MARCHÉ « A lui seul le marché américain
représente plus de 18 % d’un marché
d’environ 100 millions d’immatriculations
annuelles. [...] Ainsi, sur cet immense marché
les constructeurs européens n’hésitent pas
à rogner sur leur marge pour assurer leurs
objectifs de volume. On notera aussi que
le consommateur américain est adepte
du leasing, pratique qui incite à renouveler
davantage son véhicule. »
PRODUCTION « Les marques européennes
produisent localement, aux Etats-Unis donc,
une part importante de leurs modèles. Cela
offre le double avantage d’éviter les frais de
transport et les taxes à l’import. Ce dernier
point est particulièrement important dans un
contexte de menace récurrente de barrières
douanières par l’administration Trump.
Ces usines, plus récentes et modernes que les
usines historiques européennes, permettent
de contenir les coûts de production. »
OPTION « Dans une logique de prix d’appel
les constructeurs proposent sur le marché
américain des versions de base nettement
bien moins équipées avec en option
des éléments qui sont proposés en série
en Europe. »
a
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J
e pense que le choc économique
provoqué par l’épidémie du
coronavirus est gravement
sous-estimé. Pour une raison simple :
nous entrons dans un scénario pour
lequel nous manquons d’expérience,
donc de savoir-faire.
Les crises systémiques du XXe sièc le
(jeudi noir de 1929, faillite de Lehman
Brothers en 2008) sont nées d ’excès spé-
culatifs au sein de la sphère financière.
Dans les deux cas, un maillon essentiel
de la chaîne des engagements récipro-
ques s’effondre brutalement, et sa
faillite entraîne par contagion rapide
celles des créanciers successifs. La crise
se d éclenche donc d e manière soudaine
et ce n’est que dans un deuxième temps
que la chute des marchés financiers et
la disparition du crédit, de même que
les pertes accumulées, étendent leurs
méfaits à l’économie réelle.
Extension des faillites
Le r emède e st simple dans son principe,
même si on ne sut pas l’utiliser en 1929 :
il faut, dès le noyau d’origine, empêcher
le plus vite possible l’extension des failli-
tes. Les autorités monétaires sont à la
manœuvre, pour sauver les banques
qui doivent l’être, alimenter l’économie
en liquidités, et donc restaurer un
niveau de confiance raisonnable. En
2008, la Fed et le secrétaire au Trésor
américain n e firent r ien pour e mpêcher
le dépôt de bilan de Lehman Brothers,
erreur qui coûta fort cher à l’économie
mondiale. Mais du moins bloquèrent-
ils la seconde vague de défaillances en
train de se profiler, en sauvant au der-
nier moment l’assureur AIG et en injec-
tant des centaines de milliards de dol-
lars dans le système bancaire. Quelles
leçons en tirer? Les pertes massives,
provenant de créances non rembour-
sées, se traduisent aussitôt au niveau
des bilans par des disparitions excessi-
ves de fonds propres. Ce sont elles qu’il
faut compenser, sans attendre. Une
crise systémique financière se bloque
par l’apport immédiat d’argent.
LA
CHRONIQUE
de Jean
Peyrelevade
LE LIVRE
DU JOUR
Le judaïsme libéral
face à l’orthodoxie
LE PROPOS Charl es Enderlin,
ancien correspondant de France 2
en Israël, qui a choisi la nationalité
israélienne, s’attelle à la longue
histoire des juifs de France en
passant en revue non seulement
le contexte historique depuis le
XIXe siècle mais aussi l’histoire de
tous ceux qui ont contribué à l’essor
de la République comme
Léon Blum, Georges Mandel,
abattu froidement dans le dos par
la milice française, ou encore Pierre
Mendès France. Mais une histoire
des juifs ne va pas sans celle de
l’antisémitisme. C’est une longue
remontée qu’effectue l’auteur en
citant nombre de textes autour
de l’affaire Dreyfus ou encore ceux
avant et pendant l’occupation
comme les déclarations du
maréchal Pétain et de Pierre Laval.
L’ INTERROGATION Derrière cette
histoire racontée méticuleusement
il y a une interrogation
fondamentale. Qu’est-ce qu’être juif
en France en 2020? Et quelles
transformations ont subi des
Alain Finkielkraut, qui exprime
aujourd’hui son soutien à Renaud
Camus, le parrain du concept
du grand remplacement, ou encore
Benny Lévy, l’ancien chef
de la gauche prolétarienne sous
le pseudonyme de Pierre Victor,
devenu rabbin orthodoxe (avant
son décès en 2003). Les juifs
d’aujourd’hui sont plus que jamais
divisés entre soutien à la droite
israélienne et leur attachement
fondamental à la France.
« De l’issue de cet affrontement entre
l’orthodoxie et le judaïsme libéral [...]
dépendra l’avenir de la judaïté
au sein de la société française. »
— J. H.-R.
Les Juifs de France
Entre république et sionisme
par Charles Enderlin, Seuil,
448 pages, 22,50 euros
L’arrêt partiel des usines chinoises entraîne des ruptures de livraison, mettant ainsi en danger maintes chaînes
de production : filières électroniques, mécaniques, automobiles, pharmaceutiques. Phot o Long Lei/Xinhua