12 // IDEES & DEBATS Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
art & culture
toire d’émancipation féminine en ali-
gnant des saynètes volontiers grotes-
ques. Fidèle à lui-même en mettant en
scène des héroïnes en quête de liberté
(le thème récurrent d e sa filmographie),
le cinéaste, hélas, est bien moins à l’aise
dans l’art de la comédie, qui impose
légèreté et sens du tempo, que dans
celui du drame. Malgré ses pesanteurs,
son rythme incertain et un final inutile
en forme de comédie musicale, « La
Bonne Epouse » divertit néanmoins
grâce aux prestations de ses trois actri-
ces principales : Juliette Binoche, con-
vaincante en héroïne faussement coin-
cée, Yolande Moreau, amusante en
vieille fille attardée et surtout Noémie
Lvovsky, hilarante en bonne sœur inté-
griste et cinglée. On peut éventuelle-
ment s’en satisfaire.n
après « Sage-femme »,
un psychodrame sur la
maternité incarné par
Catherine Deneuve et
Catherine Frot, le réali-
sateur change radicale-
ment de ton avec « La
Bonne Epouse », une
farce « rétro » qui joue la carte de la
surenchère et du kitsch.
L’émancipation étendard
A la veille de Mai 68, dans les régions de
la France profonde sévissent encore des
« écoles ménagères » où les jeunes filles
apprennent à devenir de sages épouses,
à concocter de délicieuses recettes de
cuisine pour leur futur époux, à repas-
ser leurs chemises sans faux plis et à se
conformer à tous leurs désirs. Où elles
apprennent, en d’autres
termes, à se soumettre
aux us et coutumes du
patriarcat tout-puis-
sant. Martin Provost
met en scène une
« école » de ce genre et
zoome sur la dénom-
mée Paulette Van Der Beck, la directrice
de l’institution, qui enseigne à ses
ouailles l’art et la manière de devenir de
parfaites maîtresses de maison. Quand
Paulette perd son mari (un obsédé
sexuel) et s’aperçoit que son école court
à la ruine à cause des frasques financiè-
res du défunt, elle s’interroge sur son
existence...
Mieux vaut en rire qu’e n pleurer :
fidèle à ce principe inusable, Martin
Provost filme avec fantaisie cette his-
FILM FRANÇAIS
La Bonne Epouse
de Martin Provost
avec Juliette Binoche,
Yolande Moreau,
Noémie Lvovsky
1 h 49.
Olivier De Bruyn
@OlivierBruyn
On ne l’attendait pas dans le registre de
la comédie exubérante et outrancière.
Depuis ses débuts à la fin des années
1990, Martin Provost exerce ses talents
dans l’austérité et la noirceur psycholo-
gique, un genre qui lui a valu de rencon-
trer un important succès critique et
public avec « Séraphine » en 2008
(César du meilleur film et de la meilleure
actrice p our Yolande Moreau). Trois ans
Martin Provost s’essaie à la
comédie et met en scène une
« école ménagère » des années
1960. Résultat : un film inégal
qui vaut avant tout pour
les prestations de ses actrices.
Laura Berny
@lb93—
O
ubliez le Scandi-Noir, place au
Nordic Blanc! En plein âge d’or,
la production de séries nordi-
ques dépasse désormais largement le
spectre du polar à la sauce « Mille-
nium ». Et celle que diffuse depuis
dimanche la chaîne Canal+ peut diffici-
lement s’enfermer dans une catégorie
tant son rayon d’action est large : du tra-
fic sexuel à la guerre biologique en pas-
sant par la vie dans un coin reculé, le
handicap, les violences domestiques, l es
relations finno-russes et la lutte contre
la propagation des virus... Des sujets
certes sombres mais qui ont la particu-
larité de se dérouler au nord du 66e
parallèle, dans le décor immaculé et
lumineux de la Laponie finlandaise en
plein hiver...
A la fois somptueux et hostile, ce pay-
sage où le blanc du manteau neigeux le
dispute au bleu du ciel se révèle sans
conteste le premier personnage
Mais à la différence, la série finlandaise
ne verse pas dans le gore et l’horrifique.
Moins déjantée, « Arctic Circle » se
révèle un thriller solide et divertissant,
fertile en scènes d’actions – on n’a jamais
vu d’aussi belles courses-poursuites en
motoneiges – et rebondissements ; tout
en sachant ménager des temps plus inti-
mes et émouvants, particulièrement
bien exploités par l’actrice Lina Kuusto-
nen, une star finlandaise au registre
plus que convaincant.
Première coproduction finno-ger-
manique de Elisa Viihde, plateforme de
streaming finlandaise bien décidée à
tenir tête à Netflix, cette série en 10 épi-
sodes a été aussi la plus chère jamais
tournée par la Finlande, pays en train de
rattraper ses voisins scandinaves dans
la production télé de qualité (« Border-
town », « Deadwind », « All the Sins »...)
Elle a aussi été l’une des plus regardées
du pays et Lagardère Studios, qui
détient ses droits à l’international,
espère bien réitérer c e succès e n France.
Une saison 2 devrait suivre.n
d’« Arctic Circle ». Mis-
sion accomplie pour
son réalisateur Hannu
Salonen qui souhaitait
que les spectateurs res-
sentent « la désolation, le vent violent, le
goût du sang et du froid ». Souvent, le
tournage de la saison a eu lieu par –
degrés... Une véritable expérience.
Située à Ivalo – c’est d’ailleurs son titre
original – la série créée par Olli Haikka,
patron de la société de production Yel-
low Films, nous promène dans ces gran-
des étendues glacées du « Lapland », où
l’on ne croise que quelques chalets iso-
lés, des troupeaux de rennes et des
forêts de sapins. On y fait la connais-
sance de Nina, policière de haut vol et
mère divorcée, retournée dans son très
tranquille village natal pour pouvoir
mieux s’occuper de sa fille trisomique.
Evidemment, son choix ne va pas se
révéler très judicieux p uisqu’un trafic de
prostituées russes – la frontière n’étant
pas loin – va être mis au jour et la mettre
sur la piste d’un virus inquiétant.
C’est là qu’entre en
scène Thomas (Maxi-
milian Brückner), un
éminent virologue alle-
mand avec qui elle va
faire équipe pour découvrir les ressorts
d’une épouvantable vengeance... Leur
duo marche à merveille et permet de
distiller au passage quelques détails
savoureux sur la culture lapone – « Nous
castrons nos rennes avec nos dents. C’est
pourquoi nous avons toujours une
expression si aigre sur nos visages » , lui
raconte-t-elle sans rire. Mais entre ces
deux-là, l’ambiance va v ite se réchauffer.
Sc ènes d’actions et émotions
Av ec son cadre polaire et la menace de
contagion qui plane, « Arctic Circle »
rappelle bien sûr la série britannique
« Fortitude » dont l’action se déroulait
sur une île similaire au Svalbard, cet
archipel norvégien ouvert aux cher-
cheurs du monde entier, et qui devait
faire face à la présence d’un horrible
virus libéré par le dégel du permafrost.
SÉRIE
Arctic Circle, saison 1
Créée par Olli Haikka
et diffusée sur Canal+.
Le virus qui venait du froid
SÉRIE// Première coproduction finno-germanique, cette série en dix épisodes diffusée sur Canal+
commence comme un classique polar nordique avant de bifurquer vers le thriller politico-sanitaire,
le tout dans les paysages somptueux de la Laponie finlandaise par -30 °C.
FILM FRANÇAIS
Une sirène à Paris
de Mathias Malzieu
Avec Nicolas Duvauchelle,
Marilyn Lima,
Rossy de Palma.
Le féminisme en roue libre 1 h 38.
- Gaspard (Nicolas Duvauchelle), un crooner pari-
sien fâché avec l’ordre social, mène une existence
solitaire entre s on appartement de vieux garçon et le
bar de son paternel aménagé sur une péniche où il
pousse chaque soir la chansonnette. L’apparition
inattendue dans le paysage de Lula (Marilyn Lima),
une ravissante sirène sortie de la Seine bouleverse sa
vie monotone... Mathias Malzieu, le leader talen-
tueux du groupe Dionysos, aime arpenter tous les
territoires de la création : musique, littérature,
cinéma. Amateur revendiqué de Tim Burton et de
Jean-Pierre Jeunet, le metteur en scène donne libre
cours à son imaginaire foisonnant dans « Une sirène
à Paris » (d’après son propre livre), une comédie
romantique déjantée qui multiplie les zigzags scéna-
ristiques et les surenchères visuelles pour créer un
univers à la fois onirique et burlesque. Le film, hélas,
souffre d’une cruelle absence de rythme et, à force de
vouloir privilégier à tout prix la fantaisie, s’abîme
dans u n volontarisme qui nuit à ses ambitions poéti-
ques. Sympathique, mais frustrant. — O. D. B.
film en bref
Q
uand on propose à Marjane Satrapi
d’adapter « Radioactive », exceptionnel
roman graphique de Lauren Redniss
(Fleuve éditions), elle y voit comme une évidence.
Dans son enfance en Iran, sa mère lui avait donné
Marie Curie et Simone de Beauvoir en exemple.
De cette injonction, on trouve la trace dans son
propre roman graphique « Persépolis » : « Et moi
qui voulais devenir chimiste! Moi qui voulais faire
comme Marie Curie! Je voulais être une femme
savante et émancipée. Je voulais attraper un cancer
pour la science. » A défaut, elle fera un film.
En anglais, avec des stars internationales,
Rosamund Pike (Marie) et Sam Riley (Pierre).
Qu’on ne s’attende pas à un biopic classique,
ce n’est pas le genre de Marjane dont on sait
les coups de génie-folie. Après « Persépolis »,
prix du jury à Cannes, César du meilleur premier
film, elle adapte, en images réelles cette fois,
son « Poulet aux prunes » (c’est moins bien...).
Entre une pochette d’album pour Iggy Pop,
une chanson pour Arielle Dombasle ou
une exposition de ses toiles chez Jérôme de
Noirmont, elle réalise des films déjantés : « La Bande
des Jotas » et « The Voices ». « Radioactive » adopte
une forme plus classique, parfois même un peu
engoncée. En 1891, à l’âge de vingt-quatre ans, Marie
Sklodowska, arrive à Paris. En Pologne, l’université
est interdite aux femmes. Adepte de la doctrine
positiviste d’Auguste Comte, elle parle parfaitement
le français. En 1895, elle épouse Pierre Curie. En
1903, premier Nobel (de physique) partagé avec son
époux et Henri Becquerel. En 1911, second Nobel, de
chimie, seule cette fois. Après la mort accidentelle
de Pierre, en 1906, elle a une aventure avec son jeune
collègue Paul Langevin qui fera scandale, ce dernier
étant marié. Des manifestations se tiennent sous
ses fenêtres aux cris de « Sale polonaise, rentre chez
toi! ». Des duels ont lieu en son nom. A l’université,
tenue par des pontes peu enclins à laisser une
femme piétiner leurs mâles plates-bandes, elle doit
se battre. Elle fera preuve d’une énergie sans limite
pour renverser les forteresses. Marjane Satrapi
dévoile une personnalité hors du commun, bien
sûr, complexe, pas toujours sympathique.
Mais il fallait durcir sa carapace face au machisme
et au nationalisme ambiant. « Radioactive » souffre
d’une volonté de montrer les effets des découvertes
des Curie avec des projections vers l’avant :
Hiroshima, Tchernobyl... Non que la question
ne se pose pas, mais elle méritait autre chose que
ces clips maladroits. Sur ce point, le film en dit trop
ou pas assez.
Radioactive de Marjane Satrapi,
avec Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin
Barnard, Anya Taylor-Joy. 1 h 50.
Chimie Satrapi
LA
CHRONIQUE
de Thierry Gandillot
Cette série a été la plus chère jamais tournée par la Finlande, pays en train de rattraper ses voisins scandinaves dans la production télé de qualité.
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