Le Monde - 23.02.2020 - 24.02.2020

(Brent) #1

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DIMANCHE 23 ­ LUNDI 24 FÉVRIER 2020


IDÉES


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Les ministres des finances français,


espagnole, italien et allemand


Pour Bruno Le Maire, Nadia Calviño, Roberto Gualtieri
et Olaf Scholz, il est temps de parvenir à un accord international
afin de taxer à leur juste valeur les entreprises du numérique.
Et imposer un taux minimum pour lutter contre le dumping fiscal

C


réer une nouvelle fiscalité internationale,
adaptée aux réalités du XXIe siècle, est un des
grands défis de notre temps. Nous avons une
responsabilité collective à trouver un accord
international sur ce sujet d’ici à fin 2020. Une
chance historique nous est donnée de refonder la
fiscalité internationale de manière juste et efficace.
Saisissons­la!
La fiscalité internationale actuelle souffre de deux
défauts majeurs.
Le premier est qu’elle ne permet pas de taxer à leur
juste valeur les profits qui sont réalisés par les plus
grandes entreprises du numérique qu’elles soient
américaines, européennes ou chinoises. Ces entrepri­
ses réalisent des profits importants dans des territoi­
res où elles n’ont qu’une présence physique limitée.
Elles sont peu ou pas imposées là où elles créent de la
valeur, à partir des données de millions d’utilisateurs.
Au bout du compte, les entreprises les plus profitables
se retrouvent être les moins taxées et ne contribuent
pas de manière équitable au financement de nos ser­
vices publics. C’est à la fois inacceptable et inefficace.
La taxation internationale du numérique doit
nous permettre de remédier à cette situation en

définissant une fiscalité internationale juste
adaptée à l’économie numérique. Cette nouvelle fis­
calité donnera aux entreprises une plus grande
prévisibilité. Nous nous félicitons d’ailleurs que plu­
sieurs grandes entreprises du numérique soutien­
nent la solution internationale développée à l’Orga­
nisation de coopération et de développement éco­
nomiques (OCDE).

Le second défaut concerne le dumping fiscal et les
distorsions de concurrence qui en découlent. Le dum­
ping fiscal permet à certaines des plus grandes entre­
prises du monde de transférer les profits réalisés d’un
Etat vers un autre où les impôts sont moins élevés.
Cette optimisation fiscale est intolérable pour nos
compatriotes. Elle nourrit une colère légitime. Elle fra­
gilise le consentement à l’impôt, qui est une base de
nos démocraties. L’impôt minimum est la seule solu­
tion efficace contre l’optimisation fiscale agressive
exercée par une poignée de grandes multinationales.

Une attente forte de nos concitoyens
L’OCDE travaille depuis plusieurs mois sur des pro­
positions détaillées qui répondront à ces deux fai­
blesses de la fiscalité internationale. Il est temps de
parvenir à un accord international, tant sur la fisca­
lité numérique et que sur la fiscalité minimale.
Nous sommes déterminés à aboutir à cette solu­
tion internationale dans le cadre de l’OCDE d’ici à fin


  1. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour y
    parvenir, car c’est une attente forte de nos conci­
    toyens. L’inaction n’engendrera qu’une consé­
    quence : la création d’un système fiscal international
    encore plus fragmenté qu’aujourd’hui.
    Les enjeux sont considérables : ils se chiffrent en
    dizaines de milliards d’euros de recettes fiscales,
    qui sont nécessaires pour la construction d’écoles,
    d’hôpitaux et pour l’investissement dans la transi­
    tion écologique. Surtout, la légitimité des Etats
    face à la montée en puissance des géants du numé­
    rique est engagée. Alors agissons, agissons
    ensemble et agissons vite.


Bruno Le Maire, ministre
de l’économie et des finances
français ; Nadia Calviño, ministre
de l’économie et de la
transformation numérique
espagnole ; Roberto Gualtieri,
ministre de l’économie et des
finances italien ; Olaf Scholz,
ministre des finances allemand

Il faut faire entrer l’Union


européenne à la télévision


Alors que débute, mercredi 26 février, l’examen de la réforme


de l’audiovisuel au Parlement français, un collectif


de députés et de personnalités appelle à une plus grande


couverture des sujets européens dans les médias


N


ous sommes à la veille d’une évo­
lution de taille dans le secteur des
médias. Le projet de loi sur l’au­
diovisuel, dont l’examen com­
mence mercredi 26 février au Parlement,
dépoussière avec modernité et ambition
le secteur de l’audiovisuel français. Numé­
rique, régulation, égalité femmes­hom­
mes, protection des publics, soutien à la
création comptent parmi les thèmes es­
sentiels au cœur de cette réforme.
Alors que les Britanniques viennent de
nous quitter, la loi à venir est une occasion
unique de se saisir d’un enjeu trop sou­
vent laissé dans l’ombre : l’Europe. A la
suite des élections européennes de 2019
au taux de participation record, un nouvel
exécutif s’est mis en place. A Bruxelles et à
Strasbourg, Commission et Parlement ont
décidé d’agir de concert sur les thèmes
que nous, citoyens, avons à cœur : le cli­
mat, la protection, le numérique.
Et, pourtant, force est de constater que le
vote d’investiture d’Ursula von der Leyen
comme présidente de la Commission
européenne, première femme à occuper
ce poste, fut mentionné quelques secon­


des en juillet dans le journal de 20 heures
de France 2, évoquant des « nouvelles de
l’étranger : à Strasbourg, le Parlement
européen »... Curieuse géographie politi­
que! Alors que s’est tenu le vote sur l’en­
semble du collège de commissaires en no­
vembre, la chaîne n’en fit mention, le jour
même, ni à 13 heures ni à 20 heures. Il est
frappant de constater que les rédactions
nationales ne couvrent pas davantage les
principales actualités européennes, alors
même que les correspondants perma­
nents de l’audiovisuel public à Bruxelles
et à Strasbourg sont d’une qualité rare.
Nous tous, Français, bénéficions de la
citoyenneté européenne. Or, il n’est pas
de démocratie saine ni de débat public
éclairé sans une connaissance des enjeux
avancés, des acteurs concernés, des poli­
tiques conduites. C’est la raison même de
la formation aux enjeux environnemen­
taux des personnes tirées au sort pour
prendre part à la convention citoyenne
pour le climat. C’est également la raison
pour laquelle nous regrettons la dépro­
grammation de plusieurs émissions
européennes telles qu’« Avenue de l’Eu­

rope » (France 3) ou « Le téléphone sonne
Europe » (France Inter), et nous réjouis­
sons de la récente naissance de « Nous, les
Européens » (France 3) et de « La faute à
l’Europe? » (Franceinfo). C’est enfin la rai­
son pour laquelle nous affirmons l’im­
portance de la couverture approfondie
des enjeux européens dans les médias.
Rappelons les mots de Jean Monnet, père
de la construction européenne, pour qui
« nous n’expliquerons jamais assez (...) les
progrès de l’union que nos concitoyens vi­
vent chaque jour sans le savoir » (in Mé­
moires, Le livre de poche, 2007).

Mal informés
En 2017, trois Français sur quatre se décla­
raient mal informés sur les sujets euro­
péens (Eurobaromètre Standard 88, 2017),
au dernier rang des vingt­huit Etats mem­
bres d’alors. Or, près de deux tiers des son­
dés disent se sentir citoyens européens
(Eurobaromètre 88, 2019) : ce ne sont donc
pas un désintérêt ni un éloignement hos­
tile qui expliquent cette méconnaissance.
Au contraire! 65 % des Français souhaite­
raient voir le Parlement européen jouer

un rôle plus important (Eurobaromètre
92.2, 2019). Et s’il jouait en effet ce rôle plus
important au fil des années, comme c’est
le cas depuis le traité de Lisbonne en 2009,
nos concitoyens en auraient­ils connais­
sance? Puisque seulement un quart d’en­
tre eux se considèrent bien informés sur
ce qui touche à l’Europe, la question mé­
rite d’être posée. L’enjeu est donc de taille
pour le projet de loi à venir, lorsque
l’on constate par ailleurs que seul un Fran­
çais sur trois fait confiance à la télévision!
(Eurobaromètre 88, 2017).
L’Union européenne vient de vivre le
départ inédit de l’un de ses membres à la
suite d’un débat public dont nombre d’ob­
servateurs reconnurent les limites, en rai­
son d’une méconnaissance de l’Europe de
la part des citoyens britanniques. Le len­
demain du référendum, la question la
plus posée au moteur de recherche Goo­
gle au Royaume­Uni sur l’Europe était :
« Que cela signifie­t­il de quitter l’UE? » Un
questionnement un peu tardif. Il n’est pas
de débat public éclairé sans connaissance
des enjeux considérés. Notre citoyenneté
européenne ne pourra s’exercer pleine­
ment qu’en connaissance de cause.
Cette année 2020 verra également se
mettre en place la Conférence pour l’ave­
nir de l’Europe, une idée que la France a
portée et que l’Union européenne a re­
prise. L’objectif? Rendre le projet euro­
péen plus démocratique. La méthode? As­
socier des agoras citoyennes à la réflexion
sur la direction que doit prendre l’Union
européenne après le Brexit. Cette initia­
tive est une chance. Mais elle n’a de
chance d’être efficace que si les médias y
jouent tout leur rôle, aussi bien pour four­
nir une information de qualité que pour
animer un débat approfondi sur l’Europe.
Nous appelons donc à une meilleure in­
clusion des thématiques européennes

dans les médias français – à commencer
par l’audiovisuel public, dont la mission
de service public l’honore et l’oblige. La ci­
toyenneté européenne est d’ores et déjà
une réalité juridique et démocratique : il
est temps d’en faire une réalité informa­
tive. Les décisions européennes sont pri­
ses par le Parlement européen, par nos mi­
nistres nationaux réunis en Conseil. Les
orientations de l’Union sont décidées par
nos chefs d’Etat et de gouvernement. Les
politiques européennes sont conduites
par une Commission européenne où siège
le Français Thierry Breton et où travaillent
plusieurs milliers de nos compatriotes.
Faisons entrer l’Union européenne à la
télé : l’Europe est bel et bien notre affaire.

Premiers signataires :
Yves Bertoncini, président du Mouve-
ment européen en France ; Laurence
Farreng, députée européenne (Mouve-
ment démocrate) ; Jean-Dominique
Giuliani, président de la Fondation
Robert-Schuman ; Bernard Guetta,
député européen (Renaissance) ;
Caroline Janvier, députée du Loiret
(LRM) ; Enrico Letta, président de
l’Institut Jacques-Delors, ancien prési-
dent du Conseil italien, ancien député
européen ; Nathalie Loiseau, dépu-
tée européenne (LRM) ; Catherine
Lalumiere, présidente de la Maison
de l’Europe de Paris ; Alain Lamas-
soure, président du comité scientifi-
que de la Fondation Robert-Schuman ;
Pascal Lamy, président émérite de
l’Institut Jacques Delors ; Stéphane
Séjourné, député européen (LRM)
La liste complète est sur Lemonde.fr

NOUS SOMMES


DÉTERMINÉS À ABOUTIR


À CETTE SOLUTION


DÉVELOPPÉE DANS


LE CADRE DE L’OCDE


D’ICI À FIN 2020


Saisissons la chance historique

qui nous est donnée de refonder

la fiscalité internationale
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