Le Monde - 23.02.2020 - 24.02.2020

(Brent) #1
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Confidences


fromagères


« Vade retro, pâtes molles » fut


longtemps son credo. Au fil des ans,


notre spécialiste de la gastronomie


a affiné son goût en la matière


Stéphanie Noblet

J


e vous parle d’un temps d’avant les selfies, #duckfaces,
#fishgapes et autres moues instagrammables. En ce
temps­là, pour les photos officielles de groupe ou de fa­
mille, il était de coutume d’inciter l’assistance à pronon­
cer « cheese » (« fromage », en anglais) pour provoquer
une pose souriante. D’aucuns souriaient franchement,
d’autres plus jaune à l’évocation de cette spécialité odorante qui ne
fait pas que des heureux. Nous étions deux, mon frère et moi, à forcer
notre nature pour la photo, bien plus que chez le crémier où l’on se
bouchait le nez sans ambages : naître en terre de pâturages n’octroie
pas toujours un passeport tous fromages.
Dans ce pays où le fromage est roi, ne pas être courtisan relève
du crime de lèse­majesté. Bouder un brillat­savarin, résister au
munster, blêmir devant un bleu, frémir face à une fourme, éconduire
un brin d’amour, répudier un picodon, conjurer un saint­félicien ou
se liquéfier à la vue d’un vacherin, c’est risquer la déchéance de natio­
nalité. On ne mesure pas la pression sociale, la violence faite aux in­
soumis de la République fromagère. Vraiment, tu n’en manges pas?
Aucun? Pourtant, toi qui as bon goût... Tu ne sais pas ce que tu rates


  • si, j’imagine un peu, justement, puisque, à chaque fois, on m’en fait
    tout un fromage.
    Les réflexions désobligeantes, les suspicions perfides (« elle
    fait gaffe à sa ligne »), les regards envieux (le glouton de frometon qui
    aimerait bien l’aimer un peu moins depuis qu’il est passé sous stati­
    nes), les situations embarrassantes (la tarte quatre fromages en plat
    unique), les épreuves récurrentes (ouvrir le frigo des autres en ap­
    née)... : on veut bien se montrer bonne pâte, mais tout cela endurcit
    la croûte.


Heureusement, notre minorité rebelle n’est pas isolée. Le fro­
mage est en effet l’aliment pour lequel l’aversion est la plus fréquente,
selon une étude menée en 2016 par des chercheurs en neurosciences
de Lyon (6 % des personnes interrogées, soit deux fois plus que celles
qui confessent un dégoût pour le poisson). De l’appréhension timorée
face à ces forts en gueule à la détestation épidermique et définitive, la
répulsion s’exprime à des degrés divers. Et ça se soigne, docteur? Oui,
parfois (nous parlons ici de goût, pas des cas pathologiques d’allergie
ou d’intolérance). La rémission est rarement complète, mais, avec un
peu d’audace, de persévérance et le concours d’artisans de qualité
pour contribuer à la réconciliation, les papilles et les plateaux peuvent
s’ouvrir à de nouveaux venus : la cause n’est pas perdue!
Il faut dire que le champ d’expérimentation est vaste : au bas
mot 400 variétés en France, jusqu’à 2 000 avancent certains, 1 200 se­
lon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. Un
immense chariot potentiel, dont le contenu ne cesse d’évoluer au gré
des résurgences de fromages anciens ou des innovations de l’industrie
agroalimentaire, très imaginative en matière de spécialités laitières.
Que la police du bon goût se rassure : aussi capricieux ou rigolards
soient­ils, les produits industriels n’emballent pas nécessairement les
réfractaires de mon espèce.
Pour surmonter mon handicap, j’ai choisi de compenser cette
absence d’appétence par un surcroît d’intérêt, de curiosité, envers
l’univers fromager. Etudier la géographie des terroirs, visiter des pro­
ductions artisanales, tâter le cul des vaches, observer les cuves fuman­
tes accueillant la traite du petit matin, suivre les étapes de fabrication,
humer les caves d’affinage... Et surtout, prendre le conseil de froma­
gers affineurs, afin d’élargir mon modeste champ de dégustation et de
composer, pour les autres, les meilleurs plateaux au fil des saisons.
Au­delà du trio de base comté­emmental­mimolette, j’ai ap­
pris à apprécier la quasi­totalité des pâtes pressées, cuites ou non, au
naturel ou fondues, gratinées, cuisinées, ce qui permet de ne pas être
ostracisée lors des soirées raclette ou fondue. J’ai découvert avec bon­
heur leurs cousins des alpages suisses (etivaz, appenzeller, sbrinz),
apprivoisé sans me forcer les poids lourds italiens (mozzarella, par­
mesan, pecorino) et développé un goût prononcé pour les fromages
de brebis basques. Bel effort, non? Mais, à ce jour, ça s’arrête là. Les
persillés, les chèvres et les pâtes molles surtout – les plus redoutables,
que leur croûte soit lavée ou fleurie − demeurent un continent hos­
tile, malgré plusieurs approches bienveillantes. Dommage pour mon
Normand de mari qui, avec son neufchâtel fermier, célèbre la Saint­
Valentin toute l’année, mais en solo.
Par petites touches, copeaux, lichettes, languettes voire bons
quartiers et avec une sincère bonne volonté, j’accrois comme je peux
mon adhésion à une tradition patrimoniale, à un symbole national.
« Le fromage est bien plus que ce corps gras optionnel coincé entre plat
et dessert, il est un miroir de son terroir, un paysage, un morceau d’his­
toire et un vecteur d’émotion », résume François Robin, Meilleur
Ouvrier de France en crèmerie­fromagerie et auteur du Fromage pour
les nuls (First, 2019). Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Mais libre à chacun de choisir le sien.

— pour 4 personnes —

Pelez 4 panais, 1 petit
morceau de céleri-rave
et 1 pomme de terre
(700 g au total). Rincez-
les et coupez-les
en cubes. Faites revenir
1 échalote pelée et
émincée avec 20 g de
beurre demi-sel dans
une casserole, sans colo-
ration. Ajoutez les cubes
de légumes et 1 gousse
d’ail pelée, remuez pour
les enrober, salez,
poivrez, puis couvrez
avec 1 litre de bouillon
de volaille (maison ou
bio). Immergez 1 bran-
che de thym, couvrez et
laissez cuire à feu doux
25 minutes. Prélevez
1 louche de bouillon,
ôtez la branche de thym
et mixez finement en
velouté. Réintroduisez
une partie du bouillon
pour obtenir la texture
souhaitée. Râpez 120 g
d’abondance AOP avec
une râpe très fine (type
Microplane). Répartissez
le velouté dans 4 assiet-
tes, couvrez d’un nuage
de fromage et dégustez
bien chaud.

Velouté


tout blanc


CUISINE


CARMEN MITROTTA POUR « LE MONDE »

Lancée en 2011 pour lutter contre la cyberdépendance, la
Journée mondiale sans Facebook, fixée au 28 février, est un défi
lancé aux internautes : 24 heures de déconnexion afin de s’interro-
ger sur sa relation aux écrans, et spécifiquement aux réseaux so-
ciaux. Le temps moyen passé sur le premier réseau social du monde,
bien que boudé par les jeunes internautes, est de 38 minutes par jour
en France (étude eMarketer, 2019), 38 étant également le nombre de
mots par minute saisis en moyenne sur le clavier par les utilisateurs
de smartphones qui sollicitent leurs pouces (étude des universités
d’Aalto et de Cambridge, 2019). Ce chiffre avoisine les 40 mots par
minute chez les 10-19 ans, 26 chez les quinquagénaires.
Ces chercheurs suggèrent deux recettes pour devenir le
Lucky Luke du clavier : se servir de ses deux pouces, après avoir dé-
sactivé la saisie prédictive et activé la correction automatique ; ou
utiliser le swipe, à savoir saisir son texte en balayant le clavier d’une
lettre à l’autre sans lever le doigt, jusqu’à ce que le mot soit prédit par
le système. Enfin, bas les pattes, on peut « faire péter son score » en
passant par la saisie vocale. Autre option, dans le sillon du maratho-
nien, mettre ses doigts à l’entraînement. Plusieurs applis, à installer
sur son smartphone, proposent d’améliorer sa saisie-clavier.


Type Fast
> « Pour jouer à taper » parmi un choix de 16 langues, permet aux
habitués de l’index de s’essayer aux pouces : un mot à l’écran, les
deux pouces sur le clavier, et on tapote. Quand la lettre est cor-
rectement saisie, elle s’affiche en vert, et en rouge si le doigt
tombe à côté de la plaque. Que ce soit rouge ou vert, les pouces
doivent poursuivre et enchaîner, mot après mot, jusqu’à l’issue
de cette course folle, à savoir le décompte du nombre de mots
convenablement entrés.
Les plus joueurs peuvent agrémenter leur parcours de challen-
ges, tels que taper 20 mots de 3 lettres ou 100 lettres dans un
temps donné. Profitez des publicités pour reposer vos chères
extrémités, mises à rude épreuve si vous jouez le jeu.
Appli gratuite sous iOS, avec achats intégrés

Dactylo Zoo Lite
> Graphiquement moins épurée et plus ludique, accessible en
14 langues, cette appli permet elle aussi d’apprendre à dactylo-
graphier, avec pour objectif de décrocher un trophée. Plus la
saisie est rapide et plus l’animal totem du joueur est rapide, du
hérisson à la gazelle, en passant par la poule et le chat.
Avant de prétendre atteindre le niveau guépard, les doigts
doivent en passer par des gammes, au fil d’une trentaine de
leçons, sans perdre le fil d’une suite de lettres ponctuée de
retours chariot et de barres d’espace. A chaque raté, l’animal
tombe pour signifier que les pouces n’ont pas visé juste ; chaque
fois que la précision est au rendez-vous, l’animal se mue en un
plus rapide. Ce 28 février, pas de Facebook, mais la perspective
de donner de l’entrain à ses doigts. Et, pour peu qu’on gagne en
rapidité de saisie, le temps passé derrière l’écran en serait
proportionnellement réduit.
Appli gratuite sous iOS, avec achats intégrés

T E S T É E T A P P R O U V É

Tape toujours, tu m’intéresses


Marlène Duretz
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