0123
VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 sports| 13
remonte aux oreilles du DTN, Patrice Ger
gès, qu’en mars 2019.
La jeune femme fournit, à l’appui de ses
dires, des conversations sur WhatsApp dans
lesquelles elle écrit, entre autres : « Tu m’as
forcée, c’était horrible », et « Je n’ose même
pas penser à ce que tu m’aurais fait seul dans
une chambre. » Elle assure que ce même
sprinteur lui aurait ensuite adressé des re
gards insistants et aurait eu un comporte
ment inapproprié visàvis d’elle, notam
ment lors d’un stage en Espagne, en 2019.
Convoqué par la commission de disci
pline d’appel, le sprinteur a assuré avoir
entretenu une relation sentimentale gar
dée secrète avec elle. Selon la décision, il
reconnaît « avoir enlacé l’athlète avec une
certaine insistance dans le couloir menant
à leur chambre respective ». Mais il con
teste l’avoir embrassée de force. Après
avoir invité « M. X à faire preuve d’écoute et
de vigilance dans ses rapports humains », la
commission disciplinaire d’appel lui a
adressé un « avertissement ». Au Monde,
M. Giraud a précisé que l’athlète en ques
tion était désormais privé de stages fédé
raux. Cela ne figure cependant dans
aucune décision officielle.
Si les dirigeants de la FFA répètent qu’ils
n’ont « pas les pouvoirs de la justice », aucun
n’a saisi le procureur des allégations de la
jeune femme, comme le permet l’article 40
du code pénal. « A ce momentlà, on saisirait
le procureur tous les jours! Je pense que nous
n’avons pas fait d’erreur », estime André Gi
raud. « Les faits n’étaient pas forcément très
clairs, ajoute Clément Gourdin, directeur ju
ridique de la FFA. Cet athlète n’avait pas l’air
d’être un danger pour la société et pour tou
tes les filles en sa présence. L’article 40 sup
pose des faits d’une certaine gravité. »
Dans un mail envoyé le 13 février à des di
zaines d’athlètes, le DTN Patrice Gergès leur
enjoint pourtant de lui « faire part immédia
tement » de cas de violences sexuelles dont
ils auraient connaissance. Et leur rappelle
qu’ils s’exposent dans le cas contraire à des
poursuites pénales.
yann bouchez
et anthony hernandez
Soudain, les fédérations s’affolent
Certains dirigeants sollicitent dans l’urgence des associations de prévention des violences
sexuelles, même si tous n’ont pas attendu les récentes révélations pour se saisir de la question
C
ertains ne dorment pas sur
leurs deux oreilles. » De
puis fin janvier, le télé
phone de Sébastien Boueilh ne
cesse de sonner. Au bout de la li
gne du fondateur de l’association
Colosse aux pieds d’argile, des fé
dérations sportives, parfois de
premier plan, qui se précipitent
vers lui pour justifier leur implica
tion dans la défense des victimes
de violences sexuelles.
« Ce n’est pas une prise de cons
cience, c’est une peur, avance Véro
nique Lebar, médecin du sport et
présidente de l’association Comité
éthique et sport, qui œuvre aussi
sur ce sujet. Les fédérations se pro
tègent, car elles savent qu’elles se
raient mises au ban par le ministère
des sports si des accusations simi
laires à celles révélées sur la Fédéra
tion française des sports de glace
(FFSG) sortaient à leur propos. »
Depuis les révélations d’agres
sions sexuelles dans le patinage
artistique, et le livre Un si long si
lence (Plon, 198 pages, 17 euros), de
l’ancienne patineuse Sarah Abib
tol, qui accuse de viol son exen
traîneur Gilles Beyer, les révéla
tions de violences sexuelles se
multiplient. Pour les fédérations
ne s’étant guère attelées à la tâche,
c’est le branlebas de combat.
A l’instar de Didier Gailhaguet,
l’exprésident de la FFSG, certains
dirigeants n’hésitent pas à mettre
en avant une collaboration avec
Colosse aux pieds d’argile, même
si celleci n’a encore rien de con
cret. « Qu’on se serve de nous
comme d’un paravent nous dé
range », déplore Sébastien
Boueilh. « Certains sont dans la
réaction, ils ne peuvent plus recu
ler », poursuitil, listant quatre fé
dérations olympiques l’ayant
contacté a posteriori – comme
l’équitation, secouée par des accu
sations de viol. Pour opérer un
état des lieux de la situation, la
ministre de la jeunesse et des
sports, Roxana Maracineanu, a
convoqué l’ensemble des acteurs,
vendredi 21 février, à une conven
tion sur les violences sexuelles.
Une action hétérogène
Le monde du sport n’a cependant
pas attendu les récentes révéla
tions pour se saisir de la ques
tion. « Beaucoup de fédérations
ont lancé des conventions et il y a
énormément d’actions de préven
tion dans les projets fédéraux »,
relève Philippe Bana, directeur
technique national (DTN) du
handball et président de l’asso
ciation des DTN. « Le développe
ment de ces programmes est hété
rogène », concèdetil.
Environ un tiers des directions
régionales et départementales
de la jeunesse des sports et de la
cohésion sociale (DRJSCS) de
métropole se sont déjà emparées
du sujet. « C’était pendant #me
too, nous avions eu une très
bonne écoute », raconte ainsi
JeanMaurice Dradem, conseiller
à la lutte antidopage en Ilede
France, qui apporte son concours
sur ce sujet depuis 2018.
De la formation des cadres tech
niques sportifs d’IledeFrance à
l’article 40 du code de procédure
pénale – qui impose aux fonction
naires ayant connaissance d’un
délit d’en alerter le procureur – à
l’organisation de journées de sen
sibilisation pour les jeunes spor
tifs et les encadrants en Nouvelle
Aquitaine, dès 2017, les mesures
sont variées. Grâce à l’article 40,
plusieurs cas de violences sexuel
les sont remontés depuis les pre
mières révélations dans la presse.
En NouvelleAquitaine, on envi
sage pour 2020 d’intervenir
auprès des présidents de club et
de comité, « ceux qui peuvent em
baucher les prédateurs », souligne
ton à la DRJSCS.
De nombreux sports scrutent
aussi l’expérimentation de la Li
gue de football du CentreVal de
Loire de vérifier les casiers judiciai
res des bénévoles de tous les clubs
pour repérer les profils inaptes à
travailler avec des enfants. Son
président, Antonio Teixeira, pré
sentera vendredi un premier bilan
de cette initiative, menée en colla
boration avec l’association Comité
éthique et sport. « Ce n’est pas nor
mal » que les actions de préven
tion ne relèvent que de quelques
associations, déplore Gildo
Caruso, représentant du Syndicat
Sports de glace : MarieReine Le Gougne
se pose en candidate antisystème
L’ancienne juge internationale, qui avait été au cœur du scandale de tricherie lors des JO
de 2002, postule à la présidence de la fédération pour succéder à Didier Gailhaguet
L
e petit monde du patinage
artistique continue d’assu
rer le spectacle. Mais pas
comme il l’aurait souhaité. Nou
vel épisode : l’élection à la prési
dence de la Fédération française
des sports de glace (FFSG), le
14 mars. Soit cinq semaines seule
ment après la démission de
Didier Gailhaguet, le 8 février,
alors que le ministère des sports a
ouvert une enquête sur les accu
sations d’agressions sexuelles sur
mineures dont font l’objet plu
sieurs anciens entraîneurs.
Dès le 12 février, l’expatineuse
Nathalie Péchalat a présenté sa
candidature. Une seconde femme
annonce au Monde son intention
de se porter candidate : Marie
Reine Le Gougne, l’ancienne juge
internationale, qui avait été au
cœur du scandale de tricherie aux
Jeux olympiques 2002 de Salt
Lake City, aux EtatsUnis. « Je me
présente comme étant la seule can
didate antisystème Gailhaguet. Je
ne dépends de personne, avance
celle qui a été présidente de la Li
gue de l’Est jusqu’en 2010 et an
cienne membre du conseil fédé
ral. Je suis libre et je pense qu’il est
urgent de modifier en profondeur
le mode de gouvernance de cette
fédération en plein marasme. »
Défendre « tous les sports »
Alors qu’elle se prépare à une cin
quième candidature (après celles
de 2004, 2006, 2010 et 2014),
Mme Le Gougne met en avant sa
connaissance de « toutes les com
posantes de cette fédération ». « J’ai
toujours défendu tous les sports et
toutes les disciplines, le patinage de
vitesse, le curling et le bobsleigh »,
ajoutetelle, tout en cherchant à
minimiser le savoirfaire de l’autre
candidate : « J’ai un profond respect
pour Nathalie Péchalat, qui est une
très bonne danseuse. Etre sportive
de haut niveau et diriger une fédé
ration, ce n’est quand même pas la
même chose. » Derrière cette can
didature, Mme Le Gougne dit aussi
voir la main de M. Gailhaguet :
« J’entends que ses plus fidèles
soutiens appellent à voter pour
Nathalie Péchalat. »
Le nom de Mme Le Gougne reste
pourtant associé à celui de
M. Gailhaguet, pour le scandale de
Salt Lake City. L’ancienne juge
avait été suspendue pendant trois
ans par la fédération internatio
nale, tout comme M. Gailhaguet.
« Moi, je n’ai pas triché à Salt Lake
City », se défendelle. Si c’était à re
faire, elle referait le même choix,
ditelle : elle mettrait à la première
place la Russie devant le Canada
dans l’épreuve de couples artisti
ques. Dixhuit ans plus tard, l’an
cienne French judge assure tou
jours avoir voté pour la Russie en
son âme en conscience.
En février 2002, juste après
l’épreuve, MarieReine Le Gougne
livre une confidence terrible. Elle
se tourne vers SallyAnne Staple
ford, la présidente anglocana
dienne du comité technique de pa
tinage artistique, et lui explique
avoir fait l’objet de pressions de la
part de M. Gailhaguet. La recom
mandation de ce dernier, selon
elle : favoriser le couple de la Rus
sie, afin que ce pays retourne la pa
reille à la France dans l’épreuve de
danse sur glace, au profit du tan
dem Gwendal PeizeratMarina
Anissina. La Française aurait voulu
que l’affaire se règle en interne.
SallyAnne Stapleford choisit de la
médiatiser. Battage suivi d’une dé
cision surréaliste : l’attribution au
Canada d’une deuxième médaille
d’or pour la même épreuve.
Aujourd’hui, Mme Le Gougne se dé
fend toujours d’avoir obéi à ces
pressions qu’elle a dénoncées. Elle
raconte pour la première fois les
circonstances des propos qu’elle a
prêtés à Didier Gailhaguet. Il
s’agissait d’un coup de fil à quel
ques jours de son départ pour Salt
Lake City, assuretelle, alors que
M. Gailhaguet s’y trouvait déjà en
qualité de chef de mission de toute
la délégation française.
« En substance, Gailhaguet m’a
dit sur un ton impératif qu’il fallait
que je mette le couple russe à la pre
mière place car la fédération russe
de l’encadrement de la jeunesse et
des sports (SEJS) et inspecteur de la
jeunesse et des sports en Proven
ceAlpesCôte d’Azur. « L’Etat ne
peut pas tout faire tout seul, mais il
ne peut pas se désengager au profit
d’une ou de quelques associa
tions. Tout ne peut pas reposer sur
la simple volonté de quelques béné
voles qui ont été victimes. »
Travailler « à tous les niveaux »
Constat partagé au ministère de
la jeunesse et des sports. « On ne
veut pas de monopole, explique
ton dans l’entourage de Roxana
Maracineanu, qui s’est engagée
sur la question depuis sa prise de
fonction. On travaille notamment
avec Sébastien Boueilh, mais il ne
peut pas se dédoubler. Il faut des
acteurs à tous les niveaux car le
champ est gigantesque. »
Depuis les révélations de Sarah
Abitbol, les différents acteurs re
censent un accroissement des si
gnalements de violences sexuel
les. « Des personnes qui s’étaient
tues ont décidé de parler », constate
Véronique Lebar, citant « les sports
à maturité précoce (sports de glace,
natation ou gymnastique), où les
enfants sont faibles et manipula
bles. Mais tous les sports sont tou
chés ». Vendredi, la convention
tentera de mobiliser tout le
monde sur un domaine trop long
temps laissé à l’arrièreplan.
clément martel
et chloé ripert
était prête en contrepartie à céder
le titre olympique en danse sur
glace. » La conversation n’est pas
enregistrée. Mais elle est sur haut
parleur et un membre de l’entou
rage de MarieReine Le Gougne dit
en avoir été témoin. « Gailhaguet
essaye de m’en dire plus mais je
mets fin à la conversation, aba
sourdie, écœurée. » Le jour suivant,
Mme Le Gougne dit avoir reçu un
second coup de fil. Celuici, affir
metelle à présent pour la pre
mière fois, émanerait de Jésus Za
zoui, le mari de Muriel Boucher
Zazoui. Cette dernière entraînait, à
Lyon, le tandem AnissinaPeizerat.
Une rencontre avec la ministre
« Jamais il ne m’avait téléphoné
auparavant. Là encore, je fais signe
à la même personne de mon entou
rage et je mets le hautparleur. Un
peu gêné, Zazoui se perd d’abord en
conjectures. Puis il me dit en subs
tance que ce serait bien que je
mette le couple russe à la première
place. Là encore, je mets fin à la
conversation. » Pourquoi alors
n’en parler qu’aujourd’hui? « J’ai
voulu protéger le couple Anissina
Peizerat pendant toutes ces an
nées! », s’exclame Mme Le Gougne.
Contacté par Le Monde, M. Gailha
guet n’a pas répondu à notre solli
citation. Pour sa part, M. Zazoui,
très « surpris », dément formelle
ment. « Mais pourquoi elle dit des
choses pareilles? Quel poids
j’aurais eu sur elle? Je vous garantis
que je ne l’ai pas appelée. »
MarieReine Le Gougne souhai
terait désormais rencontrer la mi
nistre des sports, Roxana Maraci
neanu, pour s’entretenir avec elle
du fonctionnement de la FFSG.
adrien pécout
LE PROFIL
Marie-Reine Le Gougne
Agée de 58 ans, Marie-Reine
Le Gougne a été juge de 1988 à
2002, après une carrière de pati-
neuse (vice-championne de
France junior) et une courte ex-
périence d’entraîneuse. Membre
du bureau exécutif de la Fédéra-
tion des sports de glace (1992-
1998), elle a aussi siégé au co-
mité directeur, devenu conseil
fédéral (1988-2010). Elle a présidé
la Ligue de l’Est (de 1992 à 2010).
SÉVERIN MILLET